Accueil > Actualités > Énergie > Programmation pluriannuelle de l’énergie : les ONG craignent que la question du nucléaire soit écartée du débat public
Lundi 19 mars, s’ouvre le débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie. Mais le dossier de maître d’ouvrage remis le 5 mars dernier par le gouvernement, semble écarter certaines trajectoires et thématiques. Les associations environnementales attirent notamment l’attention sur l’éloignement de l’objectif de réduction de la part du nucléaire.
A la veille de l’ouverture du débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), les associations environnementales regroupées dans le Réseau action climat (RAC), s’inquiètent de ne voir leurs propositions prises au sérieux. Un point en particulier les interpelle : la place de l’énergie nucléaire dans le dossier du maître d’ouvrage, remis le 5 mars dernier par le gouvernement à la Commission nationale du débat public (CNDP). Alors que « l’objectif de 50 % de part de nucléaire à l’horizon 2025 a été remis en cause et qu’aucun réacteur ne fermera avant celui de Fessenheim en 2029, le dossier de maître d’ouvrage n’évoque ni l’acceptabilité du nucléaire auprès de la population, ni les quantités de déchets nucléaires qui continueront d’être produits avec la prolongation de la production d’énergie nucléaire en France », alerte Anne Bringault, coordinatrice transition énergétique au sein du RAC et membre du CLER réseau pour la transition énergétique. Ce dossier ne retient en effet que deux scénarios sur les quatre établis par le gestionnaire de réseau RTE, ce qui « biaise » le débat public.
D’autant que les scénarios retenus ne font pas état de l’évolution de la consommation. Pourtant, d’après RTE, « une stabilisation, voire une baisse de la consommation est à prévoir », relève Jean-David Abel, vice-président de France nature environnement (FNE). Par ailleurs, « le dossier ne fait pas état de l’évolution des coûts des installations des énergies alors que les derniers appels d’offres d’installation d’énergies renouvelables (ENR) ont montré des coûts en baisse », fait remarquer le vice-président de FNE. Notamment comparé au coût du nucléaire existant « qui ne cesse d’augmenter et qui est passé selon la Cour des comptes, de 49,6 euros/MWh en 2010, à 59,8 euros/MWh en 2013, puis à 62,6 euros/MWh au second semestre 2014 », relèvent les ONG. « La baisse des coûts des ENR dégage des marges de manœuvre importantes, qui ne sont pas présentes dans le dossier de maître d’ouvrage », regrette Jean-David Abel.
Le mythe de la France qui décarbone l’Europe
Ainsi, le dossier remis par le gouvernement table, selon les deux scénarios sélectionnés, sur la fermeture de neuf ou seize réacteurs d’ici 2035, et ne fait pas part d’une « réelle volonté de diminution de la part du nucléaire », souligne Anne Bringault. « Au contraire, il fait naître le mythe selon lequel la France va décarboner l’Europe, en misant sur l’exportation du surplus de production nucléaire vers les pays voisins », explique-t-elle. Ainsi les deux scénarios retenus « prévoient l’équivalent de la production de 20 réacteurs nucléaires pour l’exportation d’électricité vers les pays voisins, une hausse d’un facteur de 2,5 par rapport à la situations actuelle », alertent les ONG : « C’est 25 à 30 % de la production d’électricité, qui dans ces scénarios, est à terme exportée ». Mais Anne Bringault fait remarquer que « cela implique que ces voisins mettent en place une taxe carbone et que les citoyens acceptent ces importations alors même que l’Allemagne par exemple, a fait le choix de sortir du nucléaire ». Le ministre de la transition écologique et solidaire Nicolas Hulot, explique que ces deux scénarios ont été choisis car ce sont les seuls qui ne prévoient pas d’augmentation des émissions de CO2, rapportent les associations. « Mais on pourrait avoir des variantes de ces scénarios avec RTE », s’agace Anne Bringault.
D’autant que la question de la durée de vie des réacteurs nucléaires et des déchets nucléaires se pose également au premier plan. « C’est inquiétant car nous découvrons sans cesse de nouvelles anomalies et non conformités, par exemple sur la centrale du Creusot », souligne Charlotte Mijeon, porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire. Sans compter que les associations se posent la question de la faisabilité économique de la prolongation du parc nucléaire français, compte tenu de « la situation économique et financière extrêmement fragile d’EDF », si l’on en croit notamment son chiffre d’affaires 2017, « le plus bas depuis 2006 », soulignent les associations.
Un nécessaire calendrier de fermeture des réacteurs
Les ONG craignent que la future révision de la PPE n’apporte pas de « trajectoire et de calendrier clairs sur la fermeture des réacteurs nucléaires ». Selon Alix Mazounie, chargée de campagne Climat-énergie de Greenpeace, « il est nécessaire de commencer à planifier la fermeture des réacteurs : cela enverrait des signaux très clairs aux investisseurs, pour qu’ils choisissent d’investir en masse sur les énergies renouvelables ». Pour elle, le dossier du gouvernement « pourrait faire croire à une réelle volonté de développement des ENR, mais il s’agit de gesticulations, c’est l’arbre qui cache la forêt du nucléaire ». Et de s’interroger : « Qui décide de la politique énergétique en France ? » Tout en remettant en question la place d’EDF dans les décisions et la dépendance de l’État à l’égard du producteur d’énergie.
« Les Français sont favorables au développement des énergies renouvelables et leurs coûts d’installation sont en baisse… Toutes les conditions sont réunies, à condition que les dés ne soient pas pipés par le gouvernement », estime Célia Gautier, responsable Climat-énergie à la Fondation pour la nature et pour l’homme (FNH). « On veut que nos propositions aient leur place dans ce débat public ». D’autant que, rappelle Anne Bringault, « cette PPE est aussi importante pour anticiper et développer la transition sociale et des emplois dans les territoires ».
Site nucléaire du Cruas-Meysse (Ardèche), en 2010 / Wikimedia Commons