Cette semaine, la directrice coopération d’Enercoop, Fanélie Carrey-Conte, revient sur le rôle de l’économie sociale et solidaire dans la transition énergétique : elle estime notamment qu’il faut "une puissance démocratique et une mobilisation des citoyens pour transcender les intérêts particuliers, résister et agir face à de puissants lobbies".
Le mois de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) vient de s’achever, durant lequel, partout en France, de nombreuses initiatives ont été organisées pour mettre en valeur cette autre manière de penser et de faire de l’économie. Associations, coopératives, mutuelles, entreprises sociales… depuis plus d’un siècle, le mouvement de l’ESS s’attache à développer un entrepreneuriat au service de l’humain et non de la recherche incessante de profit.
Or, s’il est encore un lien insuffisamment souligné, c’est celui existant entre cette économie sociale et solidaire et la transition énergétique. En effet, plusieurs principes fondateurs de l’ESS sont en réalité indissociables de cette transition et constituent autant de leviers pour sa réussite.
Développer un entrepreneuriat collectif et durable, avec les collectivités locales
Pour réussir la transition énergétique, il faut mettre en œuvre une vision de temps long, à rebours des prismes court-termistes ; il faut une puissance démocratique et une mobilisation des citoyens pour transcender les intérêts particuliers, résister et agir face à de puissants lobbies ; il faut enfin construire un modèle économique et social dégagé de la seule logique d’une course sans fin au productivisme et à l’augmentation des profits. Les entreprises de l’ESS s’inscrivent pleinement dans ces nécessités. Elles développent un entrepreneuriat de la tempérance, une logique de « capital patient » tournée vers la durée ; un entrepreneuriat fondé sur la gouvernance démocratique des organisations, la volonté de rendre les citoyens acteurs des choix d’orientation ; un entrepreneuriat caractérisé par la lucrativité limitée, avec des bénéfices orientés vers le financement de projets d’intérêt collectif.
Parmi les modèles d’entreprise de l’ESS permettant de faire vivre ces principes, il en est un particulièrement fécond et innovant, celui de la Société Coopérative d’intérêt Collectif (SCIC). Ce modèle permet, à travers le « multisociétariat », de réunir au sein d’une même entreprise des catégories d’associés aux intérêts a priori différents, pour créer du commun au service d’un projet partagé. Dans notre cas, consommateurs d’électricité, producteurs, salariés de la coopérative, partenaires, collectivités locales, sont sociétaires d’Enercoop au service de la réappropriation citoyenne des questions énergétiques. Et ce, au travers des « circuits courts » de l’énergie, un réseau de coopératives, organisant ce multisociétariat à l’échelle de plusieurs régions.
Autre spécificité de cette forme coopérative qu’est la SCIC : les collectivités locales peuvent en être sociétaires. Cela permet d’organiser de nouvelles relations entre puissance publique locale et initiatives citoyennes et de faire sortir les questions portant sur l’activité du seul champ du tout marché. Ainsi, des collectivités comme les régions Occitanie, Languedoc-Roussillon, ou les villes de Malaunay en Normandie, Romainville en Île-de-France… sont sociétaires d’Enercoop.
Répondre à l’ubérisation par la coopération, une perspective d’avenir
Au-delà du seul secteur de l’énergie, les initiatives issues de l’Économie Sociale et Solidaire au service de l’écologie sont nombreuses : le mouvement des coopératives citoyennes de production d’énergie renouvelable, les associations luttant contre la précarité énergétique, les acteurs du recyclage et du ré-emploi, les associations œuvrant pour l’éducation à l’environnement.
C’est également dans le champ de la mobilité que se développent de nombreux projets. Le 23 novembre dernier, était annoncée à Paris la création de Mobicoop, plateforme coopérative, citoyenne, écologique et solidaire, qui offrira des services de covoiturage et d’auto-partage pair à pair : les initiatives de l’ESS, si elles s’ancrent dans une longue histoire, sont aussi pleinement tournées vers l’avenir en œuvrant aujourd’hui à proposer des alternatives écologiques et solidaires aux dérives de l’ubérisation croissante de nombreux pans de notre économie. Il est donc essentiel que ces acteurs continuent de se faire connaître, d’innover, d’appuyer leur développement mutuel. Mais au-delà, il est indispensable que les pouvoirs publics, à tous les niveaux, soutiennent le développement de cette économie, par des politiques globales et cohérentes. En France il y a quelques jours, le Gouvernement a présenté plusieurs mesures d’un « pacte de croissance » pour l’ESS. Mais les choses vont également se jouer à un niveau supérieur À quelques mois des élections européennes, les institutions de Bruxelles viennent de reconnaître dans les textes européens la notion de « communautés énergétiques citoyennes » (citizens energy community), offrant aux Etats membres un potentiel nouveau cadre réglementaire de soutien aux projets de développement d’énergie renouvelable portés par des collectifs de citoyens. Espérons que ce signal positif en amènera bien d’autres...
Fanélie Carrey-Conte, directrice coopération d'Enercoop / DR