Cette semaine, Vincent Maillard, co-fondateur et président de Plüm Énergie, revient sur "l’urgence de réforme l’ARENH". Pour lui, "la transition énergétique doit être la finalité principale de ce changement".
Depuis plusieurs mois, le mécanisme de l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique) qui oblige EDF à vendre aux fournisseurs alternatifs 100 térawattheures de son électricité nucléaire au tarif de 42 euros le mégawattheure fait l’objet de vifs débats. S’il est urgent de réformer ce dispositif, la transition énergétique doit être la finalité principale de ce changement.
ARENH : retour sur la naissance du dispositif
Il fut un temps où le monde électrique français était simple : il y avait EDF, enfant de la loi de nationalisation de 1946 et, comme dans la grammaire française, il y avait quelques exceptions (quelques communes qui n’étaient pas fournies par EDF, quelques producteurs indépendants). Et puis, à la toute fin du siècle dernier est arrivée l’ouverture des marchés, permettant aux clients qui le souhaitaient de changer de fournisseur d’électricité ! Pas tout de suite et pas trop vite toutefois : il aura fallu attendre 2007 pour que ce droit soit accordé aux clients particuliers (et à ce jour, seuls 30% des clients résidentiels ont osé quitter l’opérateur historique).
Mais l’on s’est vite heurté à une autre exception de la grammaire électrique française : le nucléaire ! Imaginez : EDF était (est encore) le plus gros exploitant mondial, à la tête de 58 réacteurs, et le nucléaire fournissait les trois quarts de la production française (seule la Lituanie, qui disposait de la plus grande centrale type Tchernobyl, faisait mieux) ; et bien sûr et heureusement, il n’était question pour personne de démembrer EDF.
Or, le parc nucléaire, largement amorti et payé par les Français, permettait de fournir de l’électricité à un coût résiduel très faible (cette compétitivité résultant aussi du fait que l’Etat couvre la majeure partie des risques du nucléaire et que les coûts de long terme sont largement écrasés par l’effet des taux d’intérêt). Il était évidemment inconcevable que les Français ne puissent continuer de bénéficier de cette situation et c’est pourquoi les différents gouvernements ont maintenu des tarifs réglementés de vente à un niveau faible pour refléter ce qu’il est convenu d’appeler la compétitivité du nucléaire historique (la compétitivité du nucléaire nouveau est une toute autre histoire !).
Il est facile de comprendre que quelque chose n’allait pas : d’un côté on permettait aux clients finaux de changer de fournisseurs et de l’autre côté on maintenait un quasi-monopole sur la production. Et si un fournisseur souhaitait investir directement dans de nouveaux moyens de production pour s’affranchir du monopole historique, il devait soit être compétitif face à du nucléaire largement amorti, soit vendre plus cher que le tarif réglementé.
Ça clochait. Et comme ça clochait, on a mis des rustines ; la dernière en date, celle qui s’est accrochée le plus longtemps, s’appelle l’ARENH.
ARENH : un mécanisme imparfait
En principe, l’ARENH est un mécanisme simple : il permet à tout fournisseur d’acheter de l’énergie compétitive auprès du producteur EDF à proportion du volume consommé par ses clients. L’ARENH fait d’une pierre deux coups puisqu’elle résout à la fois le problème de l’accès (en permettant d’acheter à l’opérateur qui a de la production disponible) et celui du prix (en permettant réglementairement de concurrencer « à armes égales » le fournisseur historique).
Après tout, il est totalement légitime que les Français, quand bien même ils quitteraient EDF pour un autre fournisseur, puissent bénéficier de la « compétitivité » du nucléaire historique : ils en ont tous payé les coûts, en subissent tous les conséquences que ce soit comme citoyen ou voisin d’une centrale et ils en couvrent tout autant les risques en tant que contribuables.
Cependant l’ARENH ne fait que des insatisfaits.
EDF se plaint par exemple à juste titre du fait que l’ARENH est asymétrique : les fournisseurs peuvent acheter moins cher « sur le marché de gros » quand ceux-ci sont bas, et n’achètent auprès d’EDF que quand les prix de gros sont élevés. L’ARENH constitue ainsi une « assurance gratuite » contre la hausse des prix de gros.
Les fournisseurs alternatifs globalement se plaignent des limitations en volume (seul le quart de la production nucléaire est disponible via le mécanisme ARENH), ce qui engendre de nombreux effets pervers en cas d’écrêtement des volumes disponibles, effets pervers que la Commission de régulation de l’énergie ou l’Autorité de la concurrence dénoncent à juste titre.
On peut critiquer les arguments des uns ou des autres, celui d’EDF par exemple ne prend pas en compte d’autres éléments qui lui sont bien plus favorables. Il n’en reste pas moins que le mécanisme est imparfait et le Gouvernement a d’ailleurs prévu de le réformer.
ARENH : la nécessité d’une réforme… en soutien aux énergies renouvelables !
Cependant la réforme aujourd’hui envisagée ne cherche principalement qu’à régler les problèmes identifiés par EDF et dans une moindre mesure ceux des fournisseurs alternatifs classiques. Or, l’ARENH concerne en réalité aussi les producteurs d’énergies renouvelables.
En effet, les producteurs d’énergie renouvelable n’ont à ce jour, en simplifiant, que deux possibilités concrètes pour écouler leur production sur le long terme : soit ils vendent directement à des fournisseurs d’électricité verte, soit ils vendent via les mécanismes de soutien par l’État.
Et c’est là le piège tendu à ces producteurs renouvelable par le système actuel : s’ils vendent à un fournisseur il faut que leur énergie soit compétitive face à du nucléaire historique largement amorti, s’ils vendent via un mécanisme de soutien, on leur fait comprendre qu’ils n’existent que du fait du soutien de l’État.
Certains vrais fournisseurs verts croient sortir de ce piège en pratiquant des prix nettement supérieurs aux tarifs réglementés, mais bien sûr, le nombre de clients prêts à acheter leur énergie 20% à 30% plus cher est très limité. Et cela donne malheureusement la fausse impression que l’énergie renouvelable est une affaire de privilégiés, suffisamment riches pour accepter de ne pas boire la soupe radioactive, certes « compétitive », servie au commun des clients.
Il existe en réalité un choix, plus novateur : tout en achetant un kilowattheure auprès d’un producteur d’énergie renouvelable pour chaque kilowattheure fourni à un client, il est possible pour un fournisseur d’utiliser son droit d’achat ARENH auprès d’EDF et de revendre ensuite cette énergie sur les marchés de gros.
Ainsi, l’énergie issue de producteurs renouvelable est bien intégralement dédiée à ses clients et, par ailleurs, la plus-value financière réalisée dans l’opération d’achat/revente ARENH permet de maintenir à la fois une rémunération juste des producteurs et de vendre à un prix égal au tarif réglementé aux clients, sans surcoût donc pour ces derniers. Et ce faisant, le fournisseur ne contribue évidemment pas au financement du nucléaire nouveau.
Notre conviction est que la transition énergétique est justement… une transition, un passage progressif entre une situation de nucléaire historique hégémonique vers une situation où les énergies renouvelables et les économies d’énergie, prendront progressivement le relais. Il faut certes réformer le mécanisme ARENH, mais pas simplement pour répondre aux exigences, qu’elles soient légitimes ou non, d’EDF : il faut le réformer en le situant comme un instrument clé de la transition énergétique !
Vincent Maillard, co-fondateur et président de Plüm Énergie