L'expérimentation pour un tarif social de l'eau est enfin lancée. L'instruction du gouvernement définissant la procédure à suivre pour les collectivités volontaires a été signée début mars. Une solution pour deux millions de ménages qui reçoivent une facture d'eau dépassant 3 % de leurs revenus, un seuil limite selon l'OCDE. Car pour garantir l'accès à l'eau aux ménages en difficulté, les services d'eau et d'assainissement disposent de peu de moyens. Certes, en cas d'impayés, le fonds de solidarité pour le logement (FSL) géré par les conseils généraux et auquel les services d'eau et d'assainissement peuvent contribuer à hauteur de 0,5 % de leurs recettes, prend le relais. Mais un quart des départements français n'a pas mis en place le volet eau du FSL. Le distributeur, qu'il soit public ou privé peut aussi choisir de renoncer aux créances d'un abonné. « Trois millions d'euros sont abandonnés chaque année par les distributeurs privés. Cela représente environ 35 000 dossiers », a détaillé Tristan Mathieu, délégué général de la FP2E (Fédération professionnelle des entreprises de l'eau) à Rennes lors d'un atelier du Carrefour des gestions locales de l'eau. Pour agir en amont, plusieurs collectivités, comme Libourne (33) ou Dax (40), ont déjà adopté une tarification progressive selon les volumes consommés. Elle est permise depuis la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 (Lema). Alors que ce dispositif visait plutôt à réduire les consommations, elles espèrent, en instaurant une première tranche à prix très bas, aider les plus démunis. Mais le dispositif a des effets pervers : il pénalise les familles nombreuses ou les immeubles collectifs à compteur unique. Mieux vaudrait identifier les usagers (composition du foyer, revenus) pour proposer une aide préventive ciblée ou une tarification différenciée selon le type d'usagers. Une démarche illégale jusqu'à la loi Brottes du 15 avril 2013. « Le texte permet de distinguer une catégorie d'usagers spécifique, les ménages, occupants d'immeubles à usage principal d'habitation. Elle autorise des dérogations à certaines réglementations dans le cadre d'une expérimentation », précise Catherine Gibaud, chef du bureau de la planification et de l'économie de l'eau au ministère de l'Écologie. Il est ainsi possible de définir des tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer mais aussi d'attribuer une aide au paiement des factures d'eau imputée sur le budget du service.
La collectivité a aussi la possibilité de déroger au montant maximal de la subvention attribuée au FSL jusqu'à 2 %. Enfin, le budget général de la collectivité peut exceptionnellement abonder le budget annexe réservé à l'eau et l'assainissement pour financer tout ou partie de ces actions. Tout un panel d'outils dans lequel les collectivités peuvent piocher pour mettre en place une expérimentation jusqu'en 2018. Certaines collectivités n'ont pas attendu ce texte pour se lancer. Le syndicat de l'eau du Dunkerquois, avec l'aide de son délégataire, la Lyonnaise des eaux, a lancé sa propre expérimentation fin 2012. Outre une tarification éco-solidaire, c'est-à-dire le couplage d'une tarification par tranches avec la prise en compte d'un critère social (éligibilité à la CMU-C) dans la première tranche, elle distribue des chèques eau aux familles nombreuses (12 euros par an à partir de la 6e personne) pour compenser une consommation supérieure. Le critère CMU-C permet d'obtenir automatiquement le tarif préférentiel de la première tranche. Ce n'est pas le cas pour le chèque eau car la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) refuse de transmettre les données de composition des foyers. « En restant déclarative, notre aide pour les familles nombreuses est peu efficace. Sur 1 800 familles ciblées nous avons eu seulement trente-huit demandes. L'automatiser serait un plus », explique Céline Lericque, directrice du syndicat qui espère que son inscription dans le dispositif facilitera l'accord de la Cnil. « La loi Brottes ne gère pas cet aspect. Chaque collectivité devra faire sa demande en direct et nous ferons un bilan une fois l'expérimentation terminée », rappelle néanmoins Catherine Gibaud. Pour le syndicat des eaux du Vivier (Sev) qui dessert la ville de Niort (79), l'expérimentation va permettre d'être plus proactif. Avec un prix de l'eau élevé (environ 4,50 euros par mètre cube), du fait d'une ressource dégradée, le syndicat travaille depuis 2008 sur cette question sociale avec des chercheurs. Dès 2001, il avait converti 20 % de logements sociaux collectifs à la facture individuelle. Il a ensuite mis en place une tarification progressive et un accompagnement social optimisé pour la gestion des impayés grâce à une convention tripartite entre le syndicat, le Trésor public et les centres communaux d'action sociale (CCAS). Le syndicat consacre 3 % de ses recettes à l'aide sociale. « Pour l'instant, nous agissons après facturation. En supprimant, par exemple, la part fixe de l'abonnement sur la base de critères sociaux, nous ciblerons plus de ménages en amont pour peut-être limiter les abandons de créances », explique Marc Lambert, son directeur. De son côté, Brest métropole océane (BMO) – qui considère les frais de gestion d'une tarification sociale trop élevés – souhaite s'orienter vers des chèques eau sur critères de revenus.
Selon le ministère de l'Écologie, une dizaine de collectivités souhaiteraient intégrer le dispositif. La publication de l'instruction devrait accélérer les démarches. D'autant que les collectivités doivent se faire connaître avant la fin 2014. Le Grand Angoulême, qui souhaite lancer son dispositif en fin d'année en s'inspirant des outils utilisés à Dunkerque, a déjà déposé son projet en préfecture. Il est assorti d'une délibération du conseil communautaire comme le prévoit l'instruction. Accès aux données, financement de l'aide sociale ou encore efficacité des actions auprès des populations concernées, l'expérimentation devra tenter de répondre à de multiples questions. « L'objectif est d'en déduire les bonnes idées qui pourront peut-être être généralisées dans le cadre d'une loi », conclut Catherine Gibaud.