Dès les années quatre-vingt-dix, un dispositif collaboratif est mis en place pour que chacun puisse enregistrer ses données sur l'eau et les mettre à la disposition des autres acteurs (services de l'État, agences de l'eau…). Il est alors piloté par la direction de l'eau et son secrétariat est assuré par l'Office national de l'eau. « En 1992, à la création de la direction de l'eau au ministère de l'Écologie, le dispositif est formalisé via la création d'un réseau national des données de l'eau (RNDE), alimenté sur la base du volontariat des services public », rappelle Christian Jourdan, chargé de mission SIE à la direction de l'eau et de la biodiversité. À cette époque démarrent les premiers travaux de référencement des données sous l'égide du Service d'administration nationale des données et référentiels sur l'eau (Sandre). Car un système d'information repose sur des échanges de données qui nécessitent une standardisation et un langage commun.
En 2000, la publication de la directive-cadre sur l'eau (DCE) va accélérer les besoins en données pour qualifier et suivre l'état des différentes masses d'eau et réaliser un rapportage régulier à l'UE. Le ministère, les six agences de l'eau et Météo-France signent en 2003 un protocole d'accord pour la création du système d'information sur l'eau (SIE). De volontaire, la démarche va devenir progressivement obligatoire pour les partenaires. Fin 2006, c'est à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), tout juste créé par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema), qu'est confiée la coordination technique du dispositif. Le SIE est introduit dans le Code de l'environnement à l'article L213-2. Deux ans plus tard, la révision générale des politiques publiques (RGPP) incite à l'optimisation de la gestion des données entre les agences de l'eau et l'Onema. En découle un schéma national des données sur l'eau (SNDE) publié par un arrêté du 26 juillet 2010. Le texte distribue les rôles pour la mise en œuvre réglementaire du SIE autour de trois volets : production de données, bancarisation et valorisation. Aujourd'hui, le dispositif s'appuie déjà sur une quinzaine de banques nationales de références accessibles via des sites nationaux thématiques, six sites nationaux multithématiques et douze portails de bassin. Le tout est accessible sur internet sur un portail unique : Eaufrance.
Le modèle de gouvernance du SNDE place l'Onema au cœur du dispositif. « Nous avons trois niveaux de responsabilité, schématise René Lalement, directeur de la connaissance et de l'information sur l'eau. Nous sommes chargés de piloter le référentiel technique du SIE, qui doit assurer sa cohérence. Nous sommes également opérateurs de certaines de ses applications (SEEE, Sispea…) et nous produisons une partie des données (continuité écologique, poissons, hydro-morphologie, suivi des étiages) ». Autour de l'Onema, gravitent de nombreux acteurs publics. Ils sont alors producteurs de données, opérateurs des banques de données et/ ou en charge de la diffusion des données sur Eaufrance. L'Ifremer agit par exemple à différents niveaux sur les eaux littorales (banque Quadrige). Le Schapi (Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations) gère la banque Hydro sur l'état quantitatif des cours d'eau. Quant au BRGM, il s'occupe du réseau piézométrique national via 1 500 stations de mesure DCE, il est responsable de la diffusion des données eaux souterraines sur le portail national Ades et intervient en appui technique de l'Onema pour l'hébergement informatique de plusieurs serveurs du SIE. « Ades qui est ouvert depuis 2000 est la première banque à avoir fédéré les données de différents producteurs (agences de l'eau, Dreal, collectivités, industriels…). Aujourd'hui, elle est bien remplie avec près de 75 000 stations de mesure en eau souterraine répertoriées, 10 millions de niveaux d'eau en ligne et 40 millions d'analyses, précise Laurence Chery, responsable de l'unité évaluation, valorisation des connaissances sur l'eau au BRGM. Ces données sont très utiles pour les bureaux d'études, les collectivités, les universitaires, les agences de l'eau ou même les préfets. Nous enregistrons 10 000 visiteurs par mois ». Sur Ades, des webservices permettent d'alimenter automatiquement d'autres applications plus locales que ce soit des observatoires de l'environnement ou des portails de bassin.
À l'échelle des bassins, les agences de l'eau sont responsables de l'organisation de la production des données qualitatives et les Dreal de bassin le sont sur les données quantitatives. Les analyses peuvent être réalisées en interne ou confiées à des prestataires extérieurs ou à des organismes de recherche publics. « Nous produisons nous-mêmes les données d'hydrobiologie et de débit sur les eaux superficielles pour alimenter différentes banques (Hydro et à terme, Naïades) », explique Thérèse Rivière, chargée de mission connaissances et information à la Dreal Nord-Pas-de-Calais qui assure ses compétences par extension sur l'ensemble du bassin Artois-Picardie. De son côté, l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée et Corse (RMC) pilote la production de 3 millions d'analyses physico-chimiques et biologiques par an réalisées en majorité par des laboratoires privés. « Sur la chimie, cela revient en moyenne à près de 8 000 prélèvements par an. Nous recevons des résultats d'analyses tous les jours et nous les validons », résume Laurent Gasnier, responsable du service des données techniques à l'agence de l'eau.
Sur ce bassin comme partout en France, les agences de l'eau et les Dreal récupèrent les résultats des laboratoires prestataires via des scénarios d'échange électronique au format Sandre. Cœur névralgique du SIE, le Sandre tisse les standards d'échange des données sur l'eau. Hébergé à Limoges par l'Office international de l'eau, le secrétariat technique du Sandre produit les référentiels sur l'eau. Ainsi, près de 10 000 pages de dictionnaires de données sont actuellement disponibles. Il élabore également la codification informatique des données et leurs scénarios d'échange. « Chaque donnée, du lieu de prélèvement à la masse d'eau, a son code et ce langage permet d'éviter les confusions dans les échanges, explique Dimitri Meunier, responsable du Sandre. De la même façon, les dictionnaires sont extrêmement utiles pour pouvoir construire une base de données. Ils définissent les termes clés et fournissent des modèles. Au final, nous avons vraiment la mission de structurer l'information ». Comme l'illustre le responsable de l'agence de l'eau RMC, « nous ne recevons pas juste un résultat de laboratoire mais une matrice d'informations (température de l'échantillon, délai d'acheminement, accréditation de l'analyse, limite de quantification…) encadrant la donnée. Par ce biais, nous pouvons vérifier leur fiabilité grâce à un logiciel qui nous alerte sur d'éventuels éléments anormaux. En cas de doute, nous demandons confirmation aux laboratoires ». Car grand principe du SIE, une donnée fait toujours l'objet d'une double validation, par son producteur et par l'opérateur de la banque concernée. La démarche qualité du SIE est ainsi décentralisée, chaque acteur de la chaîne mettant en œuvre ses propres outils de qualité pour valider les données échangées (agrément des laboratoires, certification ISO 9 001).
Les données validées peuvent alors alimenter les portails de bassins et les portails nationaux du SIE. Comme par exemple Naïades, une nouvelle banque de données nationale sur l'état qualitatif des eaux de surface continentales alimentée en partie par les données des agences de l'eau. Les six agences vont ainsi passer d'un fonctionnement autonome via leurs six banques de bassin à une mutualisation de leurs données au niveau national. « Mais nous sommes déjà toutes accréditées ISO 9001 sur la production de données et malgré certaines fluctuations de pratique, la mise en cohérence de nos données dans Naïades ne demandera que peu d'ajustement », estime Laurent Gas-nier. La bascule vers la base nationale sera effective fin 2014 pour les données biologiques et fin 2015 pour la chimie. Opérée par l'Onema, la banque Naïades fait partie des six grands projets prioritaires du SIE, avec Sispea (l'observatoire national des services d'eau et d'assainissement), SEEE (le système d'évaluation de l'état des eaux), la BNPE (la banque nationale sur les prélèvements en eau), Osmose (outil national de suivi des mesures opérationnelles sur l'eau) et Eaufrance. Mais peu d'entre eux sont aujourd'hui totalement opérationnels.
D'après le rapport Levraut publié en juin 2013 par le Conseil général de l'environnement et du développement durable sur l'évaluation de la politique de l'eau dans le cadre de la MAP (modernisation de l'action publique), « en janvier 2013, sur l'ensemble des trois années précédentes, trois quarts des outils attendus avaient été livrés, souvent avec retard ». Ce retard avait d'ailleurs été pointé sévèrement par la Cour des comptes qui soulignait « la mise en œuvre défaillante du SIE » dans son rapport de février 2013 sur l'Onema. « À la création de l'Onema, il y a eu une vague d'enthousiasme autour du SIE. De nombreux projets ont été lancés mais les moyens ont été sous-évalués. Du fait de nos difficultés de recrutement, il a également fallu réduire le nombre des projets afin de respecter les échéances », rappelle René Lalement. Certains projets ont aussi dû composer avec des processus de décision qui ont leur propre rythme. Ainsi, concernant la BNPE, le secret fiscal sur les données des redevances empêchait depuis près de deux ans d'utiliser les volumes prélevés déclarés aux agences de l'eau pour l'alimenter. « La levée du secret fiscal, adoptée par le Parlement fin 2013, permettra une meilleure connaissance partagée des pressions », précise le responsable de l'Onema. La nouvelle banque va donc pouvoir monter en puissance entre 2014 et 2015. Le BRGM qui la gère va initier dès à présent un gros travail pour définir un référentiel unique des ouvrages de prélèvement en collaboration avec les agences de l'eau et les directions départementales du Territoire.
En cours de déploiement lui aussi, le SEEE est un outil informatique mis en place par l'Onema avec le ministère, les missions interservices de l'eau, les agences de l'eau et les Dreal pour fournir des indicateurs d'évaluation de l'état des masses d'eau en fonction des données brutes rentrées par les acteurs. « Son élaboration a demandé trois ans de mise au point. À terme, le SEEE a vocation à devenir un outil de diagnostic et de pilotage de la DCE très puissant », observe Christian Jourdan au ministère. En parallèle, l'agence de l'eau Rhin-Meuse a été choisie par la direction de l'eau pour piloter l'outil Osmose qui permet de planifier et de suivre les programmes de mesure DCE et les plans d'action opérationnels territorialisés. « La base est ouverte depuis début janvier. Nous sommes donc en cours de bascule, précise François Bigorre, au département planification, étude et milieux de l'agence de l'eau. Cet outil recensera au niveau national l'ensemble des actions programmées pour atteindre le bon état. Tout sera renseigné, localisé, daté. Nous pourrons ainsi suivre l'avancement des programmes de mesures mis en œuvre sur chaque masse d'eau et coupler l'utilisation d'Osmose avec celle du SEEE pour vérifier l'efficacité des actions réalisées sur l'état des masses d'eau ». Finalement, Sispea, accessible sur Eaufrance, est ainsi le seul des projets prioritaires déjà opérationnel. Cet observatoire permet depuis 2009 d'accéder aux indicateurs des services (prix, performance) sur la base des éléments inscrits dans les rapports sur le prix et la qualité de service. Cependant, comme les maires n'étaient pas tenus réglementairement d'alimenter la banque, « les saisies sont encore très incomplètes sur l'exercice 2010 », relevait le rapport du CGEDD. Mais la proposition de loi Doligé de simplification des normes devrait changer la donne en imposant la déclaration systématique des indicateurs de performance dans Sispea. « En contrepartie, la saisie des indicateurs dans Sispea facilitera le travail des services en leur permettant d'éditer directement un rapport conforme au décret », précise René Lalement.
En parallèle, le dispositif s'enrichit également d'outils plus grand public. Par exemple, l'agence RMC a lancé en novembre 2013 une application iPhone innovante pour mettre les données de qualité des rivières françaises à disposition des citoyens. Et déjà quelques milliers de téléchargements ont été dénombrés. L'Ifremer a mis en ligne en 2013 une nouvelle version plus grand public de Quadrige. Le BRGM réfléchit lui aussi à des évolutions futures pour faciliter l'accès des données sur Ades au grand public. L'idée est de répondre aux besoins des citoyens (avec accès à des données de synthèse) tout en poursuivant l'accès aux experts ou à un public averti (données brutes et outils de calculs). Cet esprit d'ouverture illustre les préoccupations actuelles de l'Onema et de la direction de l'eau en faveur d'un système d'informations plus transparent. Leur objectif : appliquer les recommandations de la deuxième feuille de route de la conférence environnementale en faveur « d'un accès simplifié et fiabilisé des citoyens à des données sur l'eau facilement compréhensibles ». « Il est vrai qu'à l'heure actuelle, l'accès aux données sur Eaufrance n'est pas très didactique. Il faut “connaître” pour trouver », reconnaît Laurence Chery au BRGM. « Toutes les données qui touchent de près ou de loin au porte-monnaie de l'usager sont pourtant essentielles. Elles intéressent les citoyens et ils ont besoin de pouvoir mieux se repérer sur Eaufrance », estime Claude Réveillault, animatrice du réseau national eau à l'association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV) qui a participé aux dernières réunions du comité permanent des usagers du SIE au sein du Comité national de l'eau (CNE).
Faire évoluer l'architecture du SIE représente donc un enjeu de taille pour l'avenir du dispositif. Cette priorité est même inscrite dans le plan d'action pour la France issue de la charte du G8 pour l'ouverture des données publiques. C'est dans ce contexte qu'un plan d'actions pour l'accès aux données sur l'eau a été adopté le 18 décembre dernier par le CNE. Organisé autour de neuf actions, celui-ci introduit notamment la refonte complète du portail Eaufrance d'ici à la fin 2015 pour simplifier l'accès aux données « en distinguant les besoins des citoyens et ceux des experts ». La révision de la page d'accueil du portail Eaufrance est déjà en cours de validation. Dans les évolutions prévues, le plan d'alimentation de la plateforme des données ouvertes sur l'eau, data.eaufrance.fr (en ligne depuis début 2012), va devenir le point d'entrée unique pour l'ensemble des jeux de données sur l'eau ouvertes et librement réutilisables. Enfin, un audit technique sur la fiabilité des données sera lancé par l'Onema dès le printemps 2014. « On a encore du mal à imaginer ce que sera le SIE du futur. L'ouverture des données publiques conjuguée à l'évolution rapide des outils et des pratiques sur internet vont forcément influencer les systèmes d'information publics », conclut René Lalement. Inside, le nouveau pôle de recherche et d'innovation sur les systèmes d'information distribués sur l'eau créé par l'Onema et le BRGM contribuera à cette évolution. Il se penchera dès 2014 sur les nouvelles pistes de valorisation des données acquises par le SIE.