Stimuler le développement économique des territoires par l'innovation, telle est l'ambition des 71 pôles de compétitivité créés à partir de 2005 par le gouvernement. De manière originale, ils avaient vocation à devenir les lieux de convergence entre des acteurs qui ne se côtoyaient pas : grands groupes industriels, petites entreprises et organismes de formation et de recherche. Les trois pôles du secteur eau sont entrés dans ce cercle lors d'une deuxième vague de labellisation, en mai 2010, parmi six pôles dédiés aux écotechnologies. Chacun d'eux possède sa spécificité, géographique et thématique. Dream (Durabilité de la ressource en eau associée aux milieux), implanté en région Centre, s'est spécialisé sur l'eau et les milieux naturels. Hydreos, qui s'étend sur deux régions, l'Alsace et la Lorraine, est plutôt orienté qualité de l'eau (infrastructures durables, gestion intelligente et écosystèmes humides). Enfin, le Pôle Eau, initialement identifié comme pôle à vocation mondiale, rayonne sur trois régions (Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées). Sa situation géographique « plein sud » l'a naturellement tourné vers la gestion de la ressource.
Prenant le train en marche, ces trois jeunes pôles se sont lancés directement dans la course aux projets avec, en ligne de mire, la deuxième évaluation des performances des pôles de compétitivité fixée en 2012. « À notre création, la phase 2.0 des pôles de compétitivité (2009-2012) était déjà partie. Comme elle mettait la priorité sur le développement de projets, nous nous sommes concentrés sur le lancement rapide de cette activité, ainsi que sur la structuration du pôle en vue de l'évaluation », observe Gaëtane Suzenet, directrice générale du pôle Dream en région Centre. Sur cette évaluation, seul Dream a obtenu le niveau A Écotechnologies. Les deux autres se sont vus attribuer un niveau B, soulignant une nécessaire montée en puissance de leurs activités. « Il semble que certains critères n'aient pas été interprétés correctement, notamment la présence, pourtant avérée, de PME dans notre gouvernance, et le montage de projets de recherche et développement (R&D). Nous nous en étions émus auprès de l'État, et le ministre Arnaud Montebourg avait à l'époque relativisé les résultats de cet audit, en particulier pour les jeunes pôles dont nous faisions partie », affirme Jean-Loïc Carré, directeur général du Pôle Eau. Le Pôle Eau a également été désigné coordinateur des trois pôles du secteur de l'eau via une charte signée fin 2010, pour 3 ans, qui n'a pas été renouvelée depuis. Un rôle qu'il n'a pu réellement endosser : « Nous avions déjà beaucoup à faire pour coordonner nos actions, et monter nos projets à l'échelle des trois Régions qui nous financent. Chacune désire légitimement bénéficier des retombées économiques des projets, et nous devons jongler. La relation interpôles s'est donc faite de manière plus informelle qu'énoncée, mais cela ne l'empêche pas de fonctionner », juge encore le responsable du Pôle Eau. Interventions, journées de conférence, formations, les pôles organisent des événements communs. Des projets interpôles émergent même actuellement entre le Pôle Eau et Hydreos, comme Duranet, candidat au dix-septième appel à projets du Fonds unique interministériel (FUI), qui s'intéresse au développement de revêtements anti-corrosion sur les réseaux d'assainissement.
Car l'ADN des pôles, c'est bien le montage de projets collaboratifs entre laboratoires de recherche et entreprises. Un pôle de compétitivité labellise les projets qui lui paraissent les plus innovants, et les propose ensuite à divers financements : appels à projets ANR, Eco-Industries, Programme d'investissements d'avenir (PIA), Ademe, autant au niveau européen (programme Horizon 2020) que des Régions (fonds R&D, PME Innovation, Atelier transfert innovation). « Pour attribuer la labellisation, nous statuons sur les intérêts techniques et économiques des projets. Nous sommes attentifs à ce que les objectifs et les produits soient bien cernés », explique Catherine Gonzales, professeur à l'École des Mines d'Alès, et présidente du comité d'évaluation du Pôle Eau. L'État soutient également les projets labellisés par l'intermédiaire du FUI, un outil dédié aux projets de R&D collaboratifs des pôles qu'il finance pour partie (entre 25 et 75 %), avec le soutien des collectivités locales. Pour y accéder, le projet doit être piloté par une entreprise, et regrouper au moins deux entreprises indépendantes et un organisme de recherche ou de formation.
Par exemple, chez Hydreos, qui compte quatre projets lauréats d'appels à projets FUI, celui nommé Sirena + s'est organisé autour de Saint-Gobain PAM, Arkema, Veolia Envi-ronnement, deux PME (AcXys et Ferry) et les partenaires académiques CRITT TJF&U (Centre régional de l'innovation et du trans-fert de technologies / Techniques jet fluide et usinage), LCPME (Laboratoire de chimie physique et microbiologique pour l'environnement), LRGP (Laboratoire réactions et génie des procédés) et IS2M (Institut de science des matériaux de Mulhouse). Son objectif est d'élaborer de nouveaux revêtements de canalisations d'eau potable minimisant les dépôts et limitant la chloration. Le pôle vise l'export comme marché prioritaire. « C'est un projet sur lequel le risque technologique est assez important. La Chine, qui n'a pas une réglementation aussi contraignante que la nôtre vis-à-vis de l'innovation, pourrait être intéressée avant la France », analyse Georges Pottecher, directeur général d'Hydreos.
Avec le projet Sirhyus, qui travaille au développement des services d'information pour la gestion de la ressource en eau, en utilisant la détection satellitaire de l'eau, le Pôle Eau associe Veolia, EDF, ACRI-ST, G2C environnement, le CNES, l'Irstea et Cisbio. « D'ici deux ans, Sirhyus se traduira par la commercialisation d'un service très utile pour les pays soumis au stress hydrique, comme le Moyen-Orient et l'Inde », estime Michel Dutang, président du Pôle Eau, dont le siège est à Montpellier. Pour promouvoir leurs produits et services à l'export, et assurer une veille sur les appels d'offres locaux, le Pôle Eau envisage également de monter un volontariat international en entreprise (VIE), qui permettra de gérer de manière mutualisée les intérêts des PME adhérentes. « Nous comptons installer ce VIE dans les Émirats, un marché porteur et solvable pour le secteur de l'eau, en profitant de la présence et de la logistique de certains de nos membres "Grands groupes" dans le cadre de notre action Groupes/PME », précise Jean-Loïc Carré.
Pour les TPE, PME et même les entreprises de taille intermédiaire, les pôles permettent donc non seulement d'identifier des partenaires de projet, laboratoires de recherche et grands groupes qu'elles n'auraient pas rencontrés seules, mais également de profiter de l'expérience et de l'implantation des grands groupes. De plus, au sein des pôles, les projets sont encadrés de manière à protéger les intérêts de chacun, notamment des petites entreprises. Le bureau d'études Rive, situé à Chinon (37), collabore ainsi activement au fonctionnement du pôle Dream en tant qu'administrateur. Cette TPE de 9 salariés a participé en mai dernier, avec Suez Environnement et le BRGM, à un voyage en Chine organisé par Dream dans la province du Hunan, pour nouer une collaboration avec le cluster Asem Water, et trouver de nouveaux marchés. « Pour nous, être intégré à la délégation, c'est très enrichissant. Ensuite, bien sûr, le pôle nous a permis d'accéder aux financements du FUI, et d'approcher des grands groupes comme Suez Environnement, l'un de nos partenaires au sein du projet de Zone Humide artificielle (Zhart) », souligne Michel Bacchi, gérant de la société et prestataire de service sur le développement des projets Zhart pour Lyonnaise des eaux. « Les grands groupes jouent le jeu en mettant les petites entreprises en relation avec leurs structures stratégiques (services achat, R&D, services export), confirme Yves Bernheim, président d'Hydreos et du groupe IRH Environnement. Mais le secteur de l'eau se distingue d'autres secteurs économiques comme l'automobile, où la sous-traitance domine. Notre premier client à tous, c'est la collectivité par le biais de la commande publique. Et faire évoluer cette commande pour qu'elle intègre l'innovation, c'est LE challenge partagé par toutes les entreprises du secteur, PME et grands groupes. »
Face à la frilosité de la commande publique, l'union fait la force. « L'un de nos messages prioritaires est bien d'appeler les collectivités à innover, car le marché français de l'eau et de l'assainissement repose à 80 % sur la commande publique », confirme Daniel Villessot, président de Dream et directeur scientifique de Lyonnaise des eaux. « Pour exporter, nos entreprises ont besoin de références nationales, et il est très difficile pour les PME de réussir à vendre des démonstrateurs aux collectivités. Les pôles ont vocation à stimuler ce type d'initiative », poursuit Georges Pottecher, qui cite en référence le consortium monté entre la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS), quatre PME et trois laboratoires, pour répondre au premier appel à projets de l'Onema sur les micropolluants via le projet Lumieau-Stra (Lutte contre les micropolluants des eaux urbaines-Strasbourg).
De l'avis de la CUS, qui fait aussi partie des financeurs d'Hydreos, le mode partenarial est une bonne façon d'avancer. « Une collectivité ne peut se permettre de prendre directement des risques sur la commande publique. Alors, en nous impliquant dans les projets du pôle, nous participons au développement de l'innovation, et nous soutenons la dynamique économique impulsée par la présence des pôles », juge Nicolas Pellerin, responsable de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation à la direction du développement économique de la CUS. Car avoir un pôle sur son territoire, c'est aussi un avantage concurrentiel de taille pour les collectivités. Il attire les nouvelles entreprises qui y voient des opportunités de financements et de mise en réseau. En région Centre, les PME adhérentes de Dream ont ainsi appris à se connaître, et elles commencent même aujourd'hui à répondre en groupement aux appels d'offres. « S'associer à une entreprise avec laquelle nous avons des complémentarités peut être gagnant-gagnant. Cela nous permet de nous différencier des autres concurrents grâce à des réponses techniques plus complètes. Par exemple, pour la gestion des rejets industriels et ses impacts dans le milieu, nous avons formé un groupement avec DSA Technologies, spécialiste en métrologie environnementale », explique encore Michel Bacchi, gérant de Rive.
Enfin, les pôles jettent des passerelles entre les petites entreprises et la recherche, facilitant des rencontres jusque-là inédites. « Le fonctionnement des PME nous a été longtemps méconnu, admet Jean-Claude Block, enseignant-chercheur au LCPME, CNRS/Université de Lorraine à Nancy, et vice-président d'Hydreos. Au sein du pôle, nous apprenons à mieux cerner leurs besoins et à valoriser nos études de recherche pour transférer des résultats vers les PME. »
Par l'intermédiaire d'Hydreos, Aco participe avec IRH et le laboratoire Icube/ENGEES au projet Simpluv, lauréat début 2014 d'un appel à projets Eco-Industries. L'objectif, mettre au point des solutions innovantes sur la gestion des eaux pluviales. « Typiquement, c'est un projet sur lequel nous n'aurions pas pu nous lancer seuls, car nous n'avons pas les moyens suffisants en R&D pour aller jusqu'à la rupture technologique. Nous pouvons faire de l'innovation graduelle pour améliorer nos gammes de produits, mais pour aller plus loin, nous avons besoin de nous appuyer sur l'expertise et les moyens de nos partenaires », souligne Cédric Fagot, responsable du département marketing et R&D chez Aco, qui mène de front développement et pré-industrialisation du produit.
Si les pôles affichent de nombreux atouts, il est encore trop tôt pour dresser le bilan de leur efficacité. « Deux premiers projets en lien avec l'épuration par des zones de rejet végétalisées arrivent à leur terme, l'un mené par IRH Environnement (Epec) et l'autre par Sinbio (Azhurev). Ils ont une vraie valeur ajoutée, mais nous n'avons pas encore le recul pour évaluer leur impact marché », précise Georges Pottecher, chez Hydreos. Même retour du côté du Pôle Eau, qui croit très fort dans les applications qui sortiront chez Bio UV, Polymem ou Acri. « Des produits sont presque prêts pour les pays émergents. Une fois qu'ils seront développés, on pourra parler emploi », juge Michel Dutang, avec sa double casquette Veolia/Pôle Eau. De son côté, Dream espère des débouchés sur les premiers projets bouclés comme Floc On Bio (chimie verte), ou Aquateam (outils d'aide à la décision pour l'irrigation de grande culture).
Car les pôles de compétitivité français sont entrés dans une phase 3.0 stratégique (2013-2018) qui exige du concret. Ils sont priés de devenir des « usines à produits », et de faire évoluer leurs projets « vers les débouchés économiques et l'emploi ».
Pour refléter ces ambitions, les contrats de performance qui formalisent la stratégie de chacun sur la nouvelle période doivent désormais afficher des indicateurs de performance des impacts économiques. Dans son nouveau contrat, Dream s'est ainsi fixé la création de 300 emplois, dont 100 liés à la structuration de la filière métrologie environnementale en région Centre d'ici à 2020, une hausse de 10 % des parts de marchés de ses PME adhérentes sur les marchés publics nationaux, et une augmentation de 3 % des parts de marché acquises à l'international grâce à la métrologie environnementale.
Hydreos se donne comme objectif, d'ici 6 ans, une hausse de 10 % pour l'emploi des 100 entreprises industrielles de son territoire, et de 25 % pour l'emploi des 300 entreprises de services.
Enfin, le Pôle Eau vise un potentiel de croissance à l'international de 15 % d'ici 5 ans. Pour atteindre ces objectifs, les pôles s'appuient sur leurs études de marché. Les besoins identifiés par le Pôle Eau sur la Reuse (réutilisation des eaux usées traitées), ou par Hydreos sur l'eau dans l'industrie, devraient constituer des leviers d'innovation. Le développement d'une filière française de métrologie environnementale a été évalué à 80 millions d'euros par Dream, qui étudie en outre aujourd'hui le potentiel marché de la phytoépuration et de la bioremédiation des sols. « Nous accompagnons dix entreprises adhérentes de nos trois pôles, afin de fédérer une filière sur la phytoépuration, en créant un syndicat ou une charte. L'objectif est de leur donner de la visibilité vis-à-vis des collectivités qui passent des marchés de travaux », explique Daniel Villessot, président du pôle Dream. C'est donc à l'issue de cette période que les pôles devront avoir fait leurs preuves, en termes de création de valeur, d'emplois, mais également de positionnement. Bruxelles les somme en effet d'augmenter la part des financements privés qui alimentent leur budget de fonctionnement, pour atteindre un équilibre public et privé d'ici à 2016. Face à cette contrainte, deux leviers sont possibles : augmenter le prix des cotisations - une option délicate- ou développer des prestations de service complémentaires payantes auprès de leurs adhérents. « Nous allons professionnaliser notre activité d'ingénierie de projet, et devenir un peu plus bureau de conseils sans toutefois perdre notre vocation initiale de service public. Nos adhérents étant en quelque sorte des usagers, une nouvelle relation client-fournisseur s'y ajoute. C'est une évolution importante », juge le directeur général d'Hydreos. Et un nouveau cap à passer pour les pôles.