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Les agences de l'eaumilieu du gué

PUBLIÉ LE 1er NOVEMBRE 2014
LA RÉDACTION
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Le magazine des professionnels de l’eau et de l’assainissement.
La création des six agences de l'eau Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône Méditerranée Corse, Seine-Normandie émane de la loi sur l'eau du 16 décembre 1964 qui souhaitait doter la France de « banques mutualistes » au service des gestionnaires et des usagers de l'eau. Une loi avant-gardiste à plusieurs égards. Elle introduisait un nouveau modèle de gestion de l'eau à l'échelle du grand bassin hydrographique en s'affranchissant des découpages administratifs. Le périmètre d'action des agences correspond dès lors à une réalité physique, celle du bassin versant, dont les vertus ne seront jamais contredites avec le temps. Même la réglementation européenne s'en inspirera en introduisant les districts hydrographiques dans la directive cadre sur l'eau en 2000. « Au départ, ce découpage a pourtant fait débat chez les élus locaux. Dans un même département, certains élus voisins pouvaient ainsi se retrouver rattachés à des bassins différents et se voyaient appliquer des priorités d'actions différentes », observe Patrick Février, secrétaire délégué au comité d'histoire du CGEDD. Autres particularités des agences, leur indépendance financière et leur gouvernance concertée. Ces établissements publics de l'État à caractère administratif territorialisé sont en effet dotés de ressources affectées, les redevances, qui leur permettent de financer des programmes pluriannuels d'intervention. Dans l'esprit de la loi de 1964, les redevances et les programmes doivent être approuvés par des comités de bassin. Ces « parlements de l'eau » réunissent à proportion égale les élus, les usagers, qui sont essentiellement des industriels, et l'État. « Avec le temps, la composition des comités de bassin et des conseils d'administration des agences s'est élargie. La part de l'État a baissé au profit de la société civile. Mais on s'est périodiquement interrogé sur les conditions optimales permettant d'assurer la représentativité des différentes catégories d'usagers et l'adéquation de la représentation des élus aux évolutions démographiques », rapporte Patrick Février. Depuis plus de vingt ans qu'il siège au comité de bassin Loire-Bretagne, Bernard Rousseau, porte-parole du réseau eau de l'association France nature environnement, a vu évoluer le système. « Quand je suis arrivé, le comité de bassin était encore un milieu fermé où les décisions se prenaient dans les couloirs. Mais avec les années, la culture de débat s'est vraiment imposée au sein des comités, notamment par le biais des commissions. Cela a sûrement aussi à voir avec la vigueur des associatifs bien que pour nous, le rôle de la société civile dans cette gouvernance reste problématique. Mais quel poids peut bien avoir le milieu associatif alors qu'il est minoritaire dans la représentation des usagers ? » Si l'exercice de la démocratie reste toujours difficile, les comités de bassin ont toutefois réussi à appliquer la politique publique de l'eau sur leurs territoires. « En imaginant le système, la loi de 1964 a été extrêmement novatrice en matière de gestion de l'eau. Les agences de l'eau sont l'une des seules applications en France du principe de subsidiarité et c'est pourquoi elles en ont par la suite subi les conséquences. Car la subsidiarité fiscale n'est pas constitutionnelle », observe Bernard Barraqué, directeur de recherche émérite au CNRS. Les redevances des agences ont en effet été considérées comme des impositions de toute nature par le Conseil constitutionnel en 1982. En tant que telles, elles devaient être votées annuellement par le Parlement et non par un comité de bassin tous les cinq ans. « Il aurait à mon avis fallu modifier l'article 34 de la Constitution pour sortir du débat stérile impositions/service rendu, comme le suggérait l'avis du Conseil d'État dès 1967 », poursuit l'expert des politiques publiques de l'eau. Il faudra attendre 2006 pour que la Lema (loi sur l'eau et les milieux aquatiques) régularise le dispositif en instaurant l'encadrement des taux de redevance par le Parlement. De nombreux acteurs considèrent que cette fragilité juridique a constitué une véritable épée de Damoclès pour les agences et paralysé l'évolution des redevances. À leur création, les agences mettent prioritairement en place des redevances pour les pollutions industrielles et domestiques, ainsi qu'une redevance prélèvement. Durant les Trente Glorieuses, la priorité est alors de trouver des financements partagés et mutualisés à l'échelle du bassin pour le traitement des pollutions ponctuelles provoquées par les rejets des industries et des grandes villes. « Progressivement, les redevances pollution appliquent le principe pollueur-payeur, l'objectif étant également d'inciter les usagers taxés à modifier leurs comportements », précise Anne-Marie Levraut, présidente de la Commission permanente des ressources naturelles (CPRN) au CGEDD et auteur d'un rapport sur l'évaluation de la politique de l'eau publié en juin 2013. Pour les industriels, le calcul de la pollution produite se basait sur le jour moyen du mois maximum de pollution et l'assiette reposait sur la différence entre les pollutions produites et éliminées. Concernant la pollution domestique, les choses se sont compliquées. S'il était initialement prévu que les communes soient redevables, c'est finalement les usagers qui acquitteront la redevance sur leurs factures d'eau via un système de calcul complexe dit de contrevaleur. Cette redevance était alors calculée sur la base de la pollution domestique moyenne du jour le plus pollué du mois le plus peuplé d'une commune, aboutissant à un montant au prix du mètre cube, variable d'une commune à l'autre. Mais, au lieu de déduire de la redevance la fraction éliminée par les stations d'épuration, les agences ont versé des primes pour épuration aux collectivités. Ce qui a créé avec le temps une certaine disjonction entre les usagers payeurs et les collectivités aidées. Jugé incompréhensible pour les consommateurs, ce mécanisme de calcul est revu par la loi en 2006. « Par souci de simplification, la Lema a finalement éloigné les redevances du principe pollueur-payeur », juge Anne-Marie Levraut. Calculée sur un flux annuel, la contribution des industriels à la redevance pollution baisse. A contrario, celle des usagers domestiques reste quasi constante. « Pourtant en 2006, la compétence assainissement était déjà devenue obligatoire pour les collectivités et il aurait été possible de repenser le dispositif pour que le service public d'assainissement devienne directement redevable d'une part de pollution domestique. Ce qui aurait permis de responsabiliser davantage les collectivités et d'améliorer la lisibilité de la contribution de chacun », analyse la présidente de la CPRN. Aujourd'hui, dans le cadre du 10e  programme (2013-2018), dont les recettes ont été plafonnées à 13,8 milliards d'euros, les agences collectent sept redevances différentes. Mais le montant des redevances pour pollution représente encore plus de 50 % de leurs recettes, soit 1 219 millions d'euros sur 2012 dont 1 013 millions liés aux pollutions domestiques. À titre de comparaison, la redevance sur les élevages génère 3,5 millions d'euros et celle pour pollutions diffuses – introduite par la Lema en remplacement de la TGAP – 95,5 millions d'euros. Et les engrais minéraux ne sont toujours pas taxés. En revanche, les enjeux à relever pour la protection de l'eau ont largement évolué. Initialement conçues pour agir sur le petit cycle de l'eau, les agences s'y emploient avec succès, et elles font de même lorsqu'elles entrent dans le champ des obligations communau taires avec la directive sur les eaux résiduaires urbaines (Deru) de 1991. Elles ont dans leurs rangs une majorité d'ingénieurs et elles sont armées pour fournir des réponses techniques et des aides adaptées. Le chantier Deru n'en demeure pas moins long, périlleux et jalonné de contentieux, mobilisant près de 60 % des programmes durant vingt ans. Mais avec 96 % des stations d'épuration urbaines conformes et un taux de DBO réduit de moitié entre 1998 et 2014, les résultats sont là. La loi sur l'eau de 1992 produit une première inflexion dans la politique des agences. Les comités de bassin gagnent une fonction de planification en se voyant confier l'élaboration des Sdage (schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux). C'est aussi l'époque du sommet de Rio où la prise de conscience écologique se cristallise. La politique de l'eau s'étend progressivement à de nouveaux champs, notamment celui des milieux aquatiques, avec le Plan de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA) en 1994, le plan des zones humides pour la période de 19952000, les plans migrateurs… « La décennie 1990-2000 correspond à la deuxième grande vague de recrutements dans les agences, avec des personnes présentant des profils beaucoup plus tournés vers l'environnement que ceux des ingénieurs embauchés dans les années 1970-1980. C'est également au début de cette période, en phase avec le processus qui conduira à l'adoption de la loi sur l'eau de 1992, que Michel Rocard, alors Premier ministre, va autoriser le doublement du volume des programmes et le triplement en conséquence des budgets annuels des agences de l'eau », observe Paul Michelet, directeur général de l'agence de l'eau Rhin-Meuse. Moins de dix ans plus tard, la directive cadre sur l'eau marque un véritable changement de paradigme du petit vers le grand cycle de l'eau, en imposant des objectifs de résultats sur la qualité des masses d'eau. Et en mettant progressivement au premier plan les actions sur les pollutions diffuses d'origine agricole, sur l'hydromorphologie des cours d'eau ou la restauration des continuités écologiques. Mais pour relever ces défis, il faut inventer de nouveaux outils. « Face aux pollutions diffuses d'origine agricole, nos schémas d'actions préexistants pour réduire les pollutions ponctuelles ne sont plus valides. Nous sommes en interaction avec des groupes d'acteurs et il est généralement impossible d'identifier un maître d'ouvrage unique et un seul bénéficiaire des aides. L'efficacité de nos actions est en outre extrê-mement influencée par la Politique agricole commune et il faut envisager de nouveaux partenariats et de nouveaux leviers financiers pour avancer sur ce terrain », juge encore Paul Michelet. Bernard Rousseau, de FNE, n'hésite pas à dénoncer les ingérences du ministère de l'Agriculture dans la politique de l'eau et il juge « totalement hypocrite de penser que les agences de l'eau peuvent régler seules les problèmes de l'agriculture productiviste ». Pour le directeur général de l'agence de l'eau Rhin-Meuse, il serait éga-lement temps de réfléchir à faire évoluer les redevances pour les rapprocher du principe pollueur-payeur. « L'idée n'est pas de viser un juste retour de l'aide à la hauteur de la contribution de chaque famille d'acteurs. Ce serait vain et notre fonctionnement induit une mutualisation du risque. En revanche, il me paraît difficile de faire la politique des années 2010 avec les redevances des années 1970. Alors que le centre de gravité de nos priorités d'actions change et s'oriente vers les milieux, faire évoluer nos redevances pour qu'elles illustrent mieux ces priorités semble souhaitable. » De son côté, le ministère de l'Écologie reconnaît que les agences « amorcent un virage » en élargissant progressivement leurs actions à la biodiversité et n'exclut pas qu'elles aient un rôle à jouer dans la prévention des inondations. Mais pour Laurent Roy, « il s'agit d'une évolution progressive, pas d'une révolution ». Le directeur de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie préfère réaffirmer l'importance des aides à l'assainissement collectif qui restera « une des priorités de demain » pour soutenir la mise en conformité des petites collectivités à la Deru et intégrer le traitement du pluvial : « Les stations et les réseaux restent les investissements qui nécessiteront le montant d'aides le plus important. » Un point de vue qui fait réagir André Flajolet, nouveau président du comité de bassin Artois-Picardie et ancien rapporteur de la Lema. « Pourquoi inscrire les agences dans une vision passéiste qui les limiterait à faire de l'eau potable et de l'assai nis sement ? Nous héritons aujourd'hui de belles structures de la décentralisation qui ont un rôle important à jouer pour garantir la cohérence des politiques de l'eau, des milieux aquatiques et de la biodiversité sur les territoires. Leur futur peut s'ouvrir à des missions stratégiques nouvelles aussi diverses que la lutte contre les pollutions diffuses, la gestion du trait de côte, la protection des aires marines ou la lutte intégrée contre les inondations par bassin. Sauf évidemment si l'État leur retire les moyens d'agir. » L'inquiétude est tangible puisqu'au prélèvement exceptionnel de 210 millions d'euros réalisé sur leur budget par le Parlement en 2014 se confirment trois nouvelles ponctions de 175 millions d'euros par an entre 2015 et 2017. Un devoir de solidarité vis-à-vis de l'État qui devrait financer certains programmes du ministère de l'Écologie comme l'eau et la biodiversité. « Depuis la Lema, le budget des agences peut être changé chaque année par le Parlement, fortement influencé par Bercy, estime Bernard Barraqué. On en subit maintenant les conséquences. » Mobilisés contre cette mesure, les présidents métropolitains des comités de bassin dénoncent le caractère anticonstitutionnel de ces prélèvements puisque les redevances sont des produits affectés. Ils recommandent également d'intégrer les missions pratiques de la future Agence française de la biodiversité au sein même des activités des agences. Dans une motion du 19 septembre dernier, le comité Rhône Méditerranée proposait aussi que les agences soient « affirmées comme les agences de la gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, en soutien aux intercommunalités ». « Avec les prélèvements déjà réalisés en 2014 et les 170 postes rendus sur la même année, l'État a déjà pris dans le dur. Aujourd'hui, les agences sont sur l'os », avertit André Flajolet. C'est dans un climat tendu que les agences de l'eau passent le cap de la cinquantaine. Face aux défis à relever pour préserver les milieux aquatiques, elles sont assurément aujourd'hui au milieu du gué.
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