La crise de 2030 se prépare dès aujourd'hui. Et ce, grâce au schéma directeur d'alimentation en eau potable, ce document stratégique qui fournit aux collectivités compétentes les grandes orientations des investissements à réaliser sur les dix à quinze prochaines années pour garantir l'alimentation en eau potable de leur territoire. Les priorités financières fixées doivent répondre aux scénarios de crise, différents selon les territoires. En Bretagne, le syndicat départemental Eau du Morbihan a inclus dans son schéma directeur une étude de sécurisation à l'horizon 2030 sur la base de six scénarios liés à différentes pannes majeures de son système d'alimentation et d'un scénario basé sur une sécheresse touchant la ressource souterraine. « Lorsque nous nous projetons dans l'avenir, nous devons envisager les besoins liés à un fonctionnement normal et les besoins en cas de crise, souligne Françoise Jéhanno, directrice d'Eau du Morbihan. Et comme notre objectif est de privilégier l'optimisation des infrastructures existantes plutôt que de solliciter de nouvelles ressources, nous planifions essentiellement des stockages supplémentaires, de nouvelles interconnexions pour augmenter notre capacité hydraulique ou une densification du maillage du réseau de distribution dans certaines zones. »
Cette vision prospective des besoins est une priorité des services d'eau potable. Dans le département du Nord, Noréade, la régie du Siden-Sian (syndicat d'eau et d'assainissement), qui alimente près de 600 communes en eau potable, réalise actuellement le dernier tronçon de 75 kilomètres (en diamètre 700 mm) d'un réseau d'interconnexion de 250 kilomètres qui reliera d'ici à 2017 tous ses champs captants majeurs. « Cette infrastructure nous permet de faire face à la dégradation de l'eau souterraine causée par la présence de nitrates, de nickel et celle de perchlorates, mise en évidence récemment. À l'apparition problématique des perchlorates, qui s'est traduite par un arrêté préfectoral édictant des restrictions d'usage, nous avons pu réduire les zones touchées en diluant la production des unités de distribution (UDI) concernées par ce phénomène avec la production d'UDI non contaminées ou en l'arrêtant. Ainsi très rapidement, les restrictions d'usage ont pu être levées sur 10 des 48 UDI initialement concernées », précise Dominique Wanegue, directeur de l'exploitation du réseau d'eau chez Noréade.
En plus de ses trois usines alimentées en eau de surface par la Seine, la Marne et l'Oise, le syndicat des eaux d'Île-de-France ( Sedif) a investi dans les années 1980 dans trois forages d'eau souterraine et s'est constitué une capacité de secours totale de 50 000 m3 /an. En outre, les interconnexions réalisées dans les années 1980-1990 permettent au syndicat de couvrir l'arrêt total de l'une de ses trois usines sans interrompre l'alimentation. « Le coût de la sécurisation du service de l'eau est évalué à 25 centimes d'euros par m3 d'eau », précise Véronique Heim, directrice études, prospectives et systèmes d'information du Sedif. Le syndicat intègre les risques susceptibles de toucher le service dans son schéma directeur d'alimentation en eau potable via des plans de management et des projets opérationnels. Son plan de gestion des inondations a nécessité 5 millions d'euros d'investissement depuis 2005 pour protéger l'usine de Choisy d'une crue centennale et plus de 4 millions d'investissement sont planifiés jusqu'en 2015 à Neuilly-sur-Marne. Quant à son plan de sûreté, il consacre 24 millions d'euros entre 2012 et 2015 pour sécuriser les sites contre les intrusions via des systèmes de protection passive et active. « Tous nos dispositifs intelligents sont reliés à la supervision centrale d'un de nos trois centres opérationnels qui contrôlent en temps réel la sûreté de leur territoire, incluant des sites principaux et des sites secondaires (réservoirs, stations de pompage…) », souligne la responsable du Sedif.
De la station d'alerte placée en amont des usines en passant par des sondes qui contrôlent la qualité de l'eau dans les réseaux en temps réel jusqu'aux modèles de prévision météo reliés à la supervision, ces outils de surveillance sont stratégiques pour les exploitants. « Les stations d'alerte qui fonctionnent en continu sur les rivières peuvent signaler une anomalie globale du milieu (truitomètres, vairomètres, bactéries luminescentes) ou sur un paramètre de qualité précis (NH4, hydrocarbures, carbone organique…). Nous les adaptons aux spécificités du milieu. Globalement, cela nous laisse entre douze et vingt-quatre heures pour rechercher la cause et si besoin déclencher notre procédure de gestion de crise avant que la pollution n'atteigne l'usine », juge Jean-Paul Courcier, chef du pôle gestion du soutien opérationnel à la direction technique de Veolia Eau France. Dans la même logique de prévention, des sondes de niveaux placées sur les cours d'eau alertent les exploitants des risques de crue. « À l'approche d'épisodes de pluies cévenoles, nous pouvons ainsi anticiper la montée du niveau des rivières en protégeant nos installations », précise Josiane Pelat, responsable du service qualité environnement à la direction opérationnelle de Nîmes du groupe Saur. De son côté, le syndicat départemental d'alimentation en eau potable Vendée Eau utilise des modèles de prévision pluie-débit qui lui permettent de répartir les niveaux de ses dix grands barrages avant une crue. Idem pour les périodes de sécheresse annoncées, où le maître d'ouvrage fera tourner à plus grand régime ses interconnexions sur les secteurs menacés de déficit. « Sur les 40 millions de m3 produits par an, nous avons de 8 à 10 millions de m3 potentiellement transférables en cas de sécheresse sur l'un de nos barrages. Nous pilotons en fonction des données fournies par nos outils de prévision », explique Jérôme Bortoli, directeur général de Vendée Eau.