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Une gestation difficile pour la filière

PUBLIÉ LE 1er MAI 2015
LA RÉDACTION
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Restaurer les cours d'eau, entretenir les espaces naturels ou requalifier des sites pollués grâce à la phytoréhabilitation sont autant de compétences bien différentes, qui relèvent pourtant toutes du génie écologique. « Cette filière répond à des enjeux environnementaux devenus incontournables pour les acteurs publics comme pour le secteur privé, en satisfaisant à des besoins, par exemple d'accompagnement au changement dans le cadre de la mise en place de grands projets d'infrastructures ou d'aménagements urbains, ou de remise en état de milieux après des pollutions… », explique Virginie Dumoulin, sous-directrice de l'action territoriale à la Direction de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie. Pour ces motifs, le génie écologique a été intégré aux 18 filières industrielles stratégiques de l'économie verte identifiées début 2010 par le ministère. Il a aussi été associé au contrat de filière Eau, l'une des trois conventions finalisées par le Comité stratégique de filière des éco-industries (Cosei) et signées entre les industriels, les ministres de l'Écologie et du Redressement productif en octobre 2013. Le génie écologique est donc une filière verte en très forte croissance, qui a bénéficié d'un sérieux coup de pouce gouvernemental. Ainsi, en 2011, le ministère de l'Écologie a mis sur pied un plan d'action national, avec la volonté de favoriser son développement et sa structuration. Ce plan s'articule autour de trois axes déclinés en 12 objectifs : proposer une offre lisible et identifiée par tous, organiser et développer les filières locales de fournitures et d'équipements pour les opérations réalisées en France, et faire de la France l'un des pionniers du génie écologique dans les pays émergents et en développement. La feuille de route était particulièrement ambitieuse. Mais, quatre ans plus tard, il faut reconnaître que, malgré quelques évolutions significatives, les choses patinent un peu. L'un des premiers objectifs du plan était la structuration de la filière par la création d'une fédération professionnelle. Toutefois, le paysage d'acteurs existants et les dynamiques en place s'y prêtaient assez mal. La filière ressemble en effet à une supernova agitée par des luttes intestines. Elle regroupe des acteurs très hétérogènes. Certains, organisés à travers des organisations professionnelles, ou des associations mixtes, ont vraiment le génie écologique pour cœur de métier, mais ils n'ont pourtant que peu de choses en commun. On peut citer, par exemple, l'Union professionnelle du génie écologique, le Groupe des acteurs de l'ingénierie écologique et l'Association française pour le génie biologique ou le génie végétal. La première, l'UPGE, regroupe principalement des entreprises de travaux spécialisés et des bureaux d'études naturalistes et des écologues. Le deuxième, le réseau Gaié, fédère en majorité des enseignants-chercheurs. La troisième, l'Agébio, est une communauté de spécialistes, regroupant des bureaux d'études, des entreprises de travaux, des fournisseurs, des chercheurs, se reconnaissant entre eux du fait de la spécificité de leur activité : le génie végétal. « C'est une sorte de spécialité au sein du génie écologique. Il consiste, pour faire simple, à protéger les berges, les sols et les talus des phénomènes érosifs par la mise en œuvre de techniques et de stratégies basées sur les végétaux », précise Freddy Rey, chercheur à l'Irstea et président de l'Agébio. D'autres acteurs de la filière relèvent plutôt de structures profes-sionnelles généralistes. Des représentants de la profession des bureaux d'études, comme Syntec-Ingénierie ou le Cinov TEN (Territoires & Environnement), des entreprises du paysage comme l'Unep, etc. Il y a aussi les gestionnaires d'espaces naturels et des associations de protection de l'envi ron nement ayant des activités concrètes en la matière. Et puis il y a les pôles de compéti ti vi té : pôle Dream en région Centre et pôle Hydreos en Alsace-Lorraine, qui se sont mobilisés sur la restauration des milieux et le génie écologique. Également le pôle Eau en Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Paca qui, avec le Pôle mer Méditerranée, est lauréat d'un appel à projets du ministère de l'Écologie visant à faire émerger une filière de génie écologique côtier en Méditerranée. Difficile de dessiner une cartographie et d'identifier le positionnement de chacun. Comment fédérer des acteurs qui ne partagent pas une vision commune du génie écologique ? Car s'il y a des convergences indubitables entre eux, il y a aussi des points de réelle divergence. Bon gré mal gré, le ministère de l'Écologie aiguillant le mouvement, la situation a lentement évolué, aboutissant à la création, en mai 2014, d'une association fédérative des acteurs de l'ingénierie et du génie écologique : l'A-IGéco. Finalement, plutôt que se doter d'une fédération professionnelle, la filière s'est au moins trouvé un interlocuteur unique. Cela a pris du temps, car un certain nombre de questions devaient être tranchées au préalable. Il fallait notamment convenir d'une définition consensuelle du génie écologique et des activités qui en relèvent. Or l'enjeu sémantique est affreusement compliqué. Au-delà du débat d'experts sur la différence entre « génie » et « ingénierie », entre « biologique » et « écologique », la difficulté vient de l'incroyable diversité des applications : allant des aménagements hydrauliques ou urbains utilisant les mécanismes et processus naturels des écosystèmes, à certains aspects de la sylviculture et de l'agriculture s'appuyant sur la manipulation des processus vivants, en passant par la phytoremédiation. « Ces questions de terminologie sont fondamentales dans un secteur en émergence. L'enjeu est de faire en sorte de créer une famille d'acteurs qui se reconnaissent, et de faire reconnaître le génie écologique comme une spécialité pouvant venir en appui, par exemple, de projets du BTP, d'aménagement », commente Freddy Rey. Conscient de l'enjeu, le ministère de l'Écologie a mis en place un groupe de travail pour réfléchir sur la terminologie. L'aboutissement de ces réflexions devait dessiner une sorte de colonne vertébrale à la filière et donner lieu à la publication de définitions au Journal officiel. Pour l'instant, rien n'a été publié. Toutefois, l'A-IGéco s'est appliquée, dans ses statuts, à reprendre les définitions dégagées au cours de ces travaux : le génie écologique est défini comme « l'ensemble des activités d'études et de suivi, de maîtrise d'œuvre et de travaux favorisant la résilience des écosystèmes et s'appuyant sur les principes de l'ingénierie écologique », cette dernière étant décrite comme « l'ensemble des actions par et/ou pour le vivant incluses dans une démarche de projet d'ingénierie ». On aurait pu penser que ces définitions, a priori consensuelles, seraient adoptées par tous les adhérents de l'A-IGéco. Mais ce n'est pas systématiquement le cas. Ainsi, l'UPGE promeut une vision du génie écologique dont « l'objet est la préservation et le développement de la biodiversité » par des « actions adaptées (études, travaux, gestion) sur des écosystèmes ciblés », en prenant en compte « leurs fonctionnalités, la diversité des habitats et l'ensemble des interactions qui les sous-tendent ». Sur le fond, il y a bien sûr une proximité. Cette définition se nourrit également du travail sur la terminologie piloté par le ministère. Mais sur la forme, l'UPGE marque sa singularité et démontre qu'il n'y a pas de consensus sur une vision du génie écologique. Une autre tâche importante a mobilisé les bonnes volontés et retardé l'avènement de l'A-IGéco : la constitution de l'annuaire, premier acte concret pour donner de la visibilité aux acteurs face aux donneurs d'ordres. « Pour aider la filière à avancer, le premier enjeu, c'est la mise en visibilité. Puis, idéalement, il faudrait une revue professionnelle, des événements, des forums, pour faire exister une communauté opérationnelle », estime Georges Pottecher, directeur général du pôle de compétitivité sur l'eau Hydreos. Ces deux facteurs, la sémantique et l'annuaire, expliquent en grande partie les trois ans de gestation de l'A-IGéco. « De toute façon, il n'aurait servi à rien de vouloir passer en force, estime Freddy Rey. Au contraire, il fallait solidifier le socle avant de lancer l'association fédérative. Aujourd'hui, elle est prête à poursuivre le travail, à regrouper les initiatives au sein d'une même plateforme. On espère par exemple qu'elle pourra être la cheville ouvrière de la mise à jour de l'annuaire. Mais elle doit disposer de moyens et pour l'instant, c'est là que le bât blesse. » En attendant d'hypothétiques subsides, la méthode très pragmatique retenue par l'A-IGéco est d'agir en complémentarité avec ses adhérents. Certains d'entre eux ont su vraiment trouver des synergies : c'est le cas par exemple entre l'Unep et l'Agébio, qui se sont associées pour rédiger des règles professionnelles pour les travaux du génie végétal. Ce travail de fond, sur deux ou trois ans, a permis aux deux partenaires de mettre les choses à plat, de construire un langage commun et une vision réellement partagée. « C'est vraiment le genre d'outil de structuration de la filière qui fait avancer les choses », remarque Manuel De Matos, membre du groupe métier génie végétal de l'Unep. Les deux structures continuent les initiatives en duo, en organisant notamment tous les deux ans un colloque commun. Un peu dans le même esprit, à l'initiative cette fois du Cinov TEN avec Syntec-Ingénierie et l'Agébio, un groupe de travail est en train de se constituer pour étudier le domaine des questions d'assurance des bureaux d'études. « C'est un problème de taille qui se pose aux maîtres d'œuvre : on ne trouve pas d'assurance couvrant correctement nos activités », souligne Ghislain Huyghe, ingénieur d'études chez Biotec et membre du bureau de l'Agébio. Parmi les autres chantiers stratégiques qui attendent la filière figure le volet sur les compétences et la qualité des prestations. « Les acteurs qui offrent une qualité d'intervention, qui respectent les normes et les chartes, qui emploient des gens qualifiés, peuvent avoir du mal à faire leur place sur ce marché, face à des opérateurs économiques ou à des associations qui se positionnent comme moins-disants et bien moins regardants, souligne Marine Roman, animatrice à l'UPGE. Il faut crédibiliser la filière en matière de qualité de prestation, et pour cela, attirer l'attention des donneurs d'ordres sur les dangers du moins-disant. » En la matière, on peut distinguer deux axes. Le premier concerne le rôle de la maîtrise d'ouvrage pour structurer la filière. Dans ce registre, il y a beaucoup à faire pour voir émerger un cadre plus adapté : encourager des marchés allotis pour les aspects exigeant des compétences très spécifiques, proposer des cahiers des charges types spécifiques à la partie génie écologique d'un chantier, apporter un soin particulier au choix de l'AMO (assistance à maîtrise d'ouvrage) et du maître d'œuvre. Le second concerne les référentiels et, éventuellement, la labellisation. Le plan d'action du ministère prévoyait la création de référentiels communs à l'ensemble de la filière afin d'orienter et de dynamiser la demande pour des réalisations de qualité. C'est ainsi qu'en octobre 2012 a été publiée la norme Afnor X10-900, qui définit une méthodologie de conduite de projet en génie écologique sur les zones humides et les cours d'eau. Pour de nombreux acteurs, cette norme a le mérite d'exister. Mais elle est souvent jugée à la fois insuffisamment aboutie et peu utilisable. Il n'y est d'ailleurs quasiment jamais fait référence dans les appels d'offres ou dans les cahiers des charges. Des voix s'élèvent pour demander sa révision. Par ailleurs, dans des perspectives à plus long terme, des réflexions s'engagent sur d'éventuelles labellisations (plus des chantiers que des structures elles-mêmes, a priori). Enfin, sur deux autres dossiers sensibles, celui du développement d'une filière française de production de géofilets destinés aux activités de génie écologique et celui visant à favoriser l'utilisation de matériel végétal d'origine locale, deux objectifs importants du plan d'action du ministère, des groupes de travail ont rendu leur copie. Sur le premier, des propositions ont été faites ; la filière espère maintenant avoir des opportunités pour les mettre en œuvre (appels à projets, financements). Le second, malgré des initiatives intéressantes (lancement du label Végétal local à l'initiative de la Fédération des conservatoires botaniques nationaux et de Plante & Cité), se heurte encore à des réalités de terrain peu favorables. « Le problème s'aggrave : la demande pour les travaux de restauration de milieux ayant littéralement explosé, il y a de plus en plus de chantiers où l'on ne peut plus nous garantir des végétaux locaux », confirme Ghislain Huyghe.
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