Environnement-magazine.fr poursuit la publication de vos réflexions et de vos idées via notre nouveau format en ligne "Tribune". Cette semaine, Laurent Roy, directeur général de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse explique comment cette dernière agit dans les territoires qui font face à la sécheresse.
Alors que les nations sont en ordre de marche pour accélérer la transition vers un monde plus résilient aux changements climatiques, l’eau doit être plus que jamais au cœur des débats. L’été 2017 a été la proie de sécheresses et de feux de forêts à répétition, leur corollaire. A l’automne, une soixante de départements souffraient encore de manque d’eau. Nous pouvons hélas prendre la mesure de ce qui nous attend avec le changement climatique : un climat plus sec, plus chaud, qui assoiffera les sols et videra l’eau des rivières et des nappes. Cette eau indispensable à l’alimentation en eau potable des populations, au développement économique et à la santé même de nos rivières va se raréfier alors que la demande ne faiblira pas.
Des plans de bassin pour identifier les secteurs où il faut agir plus vite ou plus fort
La nécessité d’adapter les modes de gestion dans le domaine de l’eau n’est plus à démontrer. Des plans climats territoriaux portés par les collectivités aux négociations internationales des COP, les initiatives se multiplient à toutes les échelles. Les solutions techniques sont désormais bien identifiées et nombreuses : restaurer les zones humides, décloisonner les rivières, diversifier les approvisionnements en eau potable, désimperméabiliser les sols, réutiliser les eaux usées traitées des stations d’épuration, réparer les fuites des réseaux d’eau et mieux partager l’eau. Dès 2014, le premier plan de bassin d’adaptation au changement climatique français, adopté par le préfet coordonnateur de bassin Rhône-Méditerranée, proposait un panel de 60 mesures concrètes pour y arriver. Et l’agence de l’eau a déjà mobilisé 820 millions d’euros pour le grand quart Sud-Est dans son programme 2013-2018 « Sauvons l’eau ! », pour aider les collectivités et le monde économique à engager ces actions. Son 11ème programme (2019-2024) proposera des aides spécifiquement dédiées à l’adaptation au changement climatique.
Face au constat d’une vulnérabilité généralisée de nos territoires pour la disponibilité en eau, la question n’est donc plus de savoir s’il faut agir, ni même comment, mais où et quelles priorités se donner pour investir. Nous connaissons les secteurs où agir plus vite ou plus fort. L’agence de l’eau a en effet établi des cartes de vulnérabilité pour identifier les territoires les plus exposés. C’est là qu’il faut concentrer l’effort en mettant en œuvre des mesures adaptées et à coûts maîtrisés.
Investir à la hauteur du degré de vulnérabilité des territoires
Le premier réflexe est souvent de chercher à contrer les effets du changement climatique. On veut ainsi par exemple renforcer les digues, lorsque les villes sont menacées d’inondations ou de submersions par la mer, ou créer des réserves d’eau pour pallier la sécheresse estivale. Mais ces ouvrages nécessitent plusieurs millions d’euro de travaux. Ils coûtent cher à la collectivité et doivent être entretenus pour être efficaces sur la durée. Par exemple, le stockage de 200.000 m3 d’eau coûte près d’un million d’euros. Gardons en tête que répondre au changement climatique par ce type d’ouvrage implique une prise de risque et une possible mal-adaptation : une retenue peut être surdimensionnée si le changement climatique s’avère moins marqué, ou à l’inverse si le cours d’eau est moins abondant que prévu, au point de ne pas pouvoir remplir les réserves en hiver. Chaque cas est différent et des analyses coûts-bénéfices sont indispensables pour justifier la pertinence et l’efficience économique des ouvrages à long terme.
Les décideurs sont habitués à investir en situation d’incertitude. Il faut en premier lieu miser sur toutes les mesures « gagnant-gagnant » déjà mobilisables pour rendre les territoires moins vulnérables : économiser l’eau, redonner aux zones humides leur fonction d’éponge pour atténuer les sécheresses et les inondations, ré-utiliser les eaux usées traitées, remettre de la nature en ville…. Lorsqu’il y a moins d’eau pour tout le monde, organisons-nous dans les territoires ! Le simple fait de s’entendre sur la part que chacun peut prélever, la part à réserver pour le bon fonctionnement des milieux aquatiques et éventuellement les périodes de prélèvements, permet souvent de retrouver un équilibre entre l’eau disponible et les volumes prélevés. C’est du bon sens et le premier levier d’action. Ce sont les mesures que l’on qualifie de « sans regret », car elles profitent à la société quelle que soit l’ampleur du changement climatique. Le Plan de gestion de la ressource de Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique publié le 9 août dernier, met en évidence cette graduation de la réponse au changement climatique en évoquant d’abord les principes de partage de l’eau comme premier levier, ainsi que les économies d’eau, et ensuite, là et quand c’est nécessaire, le recours à des investissements lourds.
Prenons exemple sur les pays africains qui ont été nombreux à la COP 22 de Marrakech à rappeler qu’il faut toujours commencer par s’interroger sur la capacité à réduire la vulnérabilité avec des économies d’eau et engager des analyses coûts-bénéfices avant d’envisager des ouvrages de retenues ou de substitution d’eau.