Après avoir navigué à la recherche de la pollution plastique en mer Méditerranée puis sur l’océan Pacifique Nord, la goélette Tara met les voiles sur une nouvelle mission : identifier les sources de cette pollution plastique et prédire le devenir ainsi que l’impact des plastiques de la terre vers la mer.
Le 23 mai prochain, la goélette de la fondation Tara Océan (ex-Tara Expéditions) prendra le large depuis le port de Lorient (Manche), pour une nouvelle mission sur trois mers et dix fleuves européens. « Nous allons nous intéresser aux flux de plastiques qui arrivent dans la mer et à l’apport des fleuves dans la pollution aux microplastiques », explique le directeur général de Tara Océan, Romain Troublé. En dix ans de recherche sur les microplastiques, la fondation Tara Océan et ses partenaires scientifiques, tels que le CNRS ou l’Ifremer, ont pu établir un constat édifiant : « 80% des déchets plastiques en mer sont d’origine terrestre et 94% d’entre eux sont des microplastiques. Nous disposons de peu de connaissances sur la dispersion et le flux de ces microplastiques », alerte Romain Troublé. Cette nouvelle mission a donc pour objectif d’identifier la source de cette pollution, mais également de comprendre son impact sur la biodiversité et d’orienter les mesures à prendre. « Nous devons comprendre d’où vient ce flux : des caniveaux, des industries ? Et par où il passe, pour pouvoir agir et l’arrêter », ajoute le directeur général de la fondation.
3 mers, 10 fleuves, 40 scientifiques, 18 escales
Pour cela, la goélette Tara parcourra jusqu’au 23 novembre prochain, les eaux des mers du Nord, Baltique et Méditerranée, ainsi que de la Tamise (Angleterre), de l’Elbe (Allemagne), du Rhin (Pays-Bas), de la Seine, de la Loire, de la Garonne (France), du Tage (Portugal), de l’Ebre (Espagne), du Rhône (France) et du Tibre (Italie). 40 scientifiques vont se relayer et 18 escales seront effectuées pour présenter le projet dans les pays traversés. Des filets seront tirés sur la surface et dans la colonne d’eau, jusqu’à 50 mètres de profondeur, afin de collecter les microplastiques. « Des prélèvements d’eau permettront de montrer les différences entre les espèces trouvées sur les plastiques avec celles vivant dans l’eau et voir leur évolution en fonction de la salinité du fleuve vers la mer », explique la fondation Tara Océan. Enfin, des cages seront disposées un mois avant l’arrivée de Tara « pour évaluer l’accumulation de polluants sur des périodes courtes et leur effet sur les organismes ». Jean-François Ghiglione, directeur scientifique de la mission et directeur de recherche au CNRS à l’observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), rappelle que « 60% des plastiques sont déjà fragmentés à la sortie des fleuves ». La mission devra donc « identifier les processus qui favorisent la fragmentation », explique-t-il. Le directeur scientifique ajoute que l’analyse de la composition des microplastiques, « devrait donner des indices sur leur source ».
« Bioaccumulation dans la chaîne alimentaire » ?
Par ailleurs, ces microplastiques ont des impacts non négligeables sur la biodiversité, et il s’agira d’observer s’ils deviennent de nouveaux habitats, s’ils peuvent être vecteurs de bactéries pathogènes pour les animaux ou les hommes, ou encore quelle est leur toxicité pour les organismes le long du gradient terre-mer. « Nous souhaitons savoir s’il y a une bioaccumulation dans la chaîne alimentaire, et quels types de plastiques ou additifs sont le plus retrouvés », souligne Jean-François Ghihlione. D’autant que, comme le rappelle Alexandra Ter-Halle, chercheur au CNRS à Toulouse, « quand le plastique vieillit dans l’environnement il devient friable et se casse en de nombreux petits morceaux invisibles à l’œil nu : les nanoplastiques, un million de fois plus petits que les microplastiques ». L’un des défis de cette mission sera de comprendre la signature chimique de ces particules nanométriques ainsi que leur impact dans les fleuves.
Agir auprès des pouvoirs publics et des industriels
Pour le directeur général de la fondation, « il s’agit d’un défi scientifique mais aussi sociétal : nous devons apporter une expertise scientifique de haut niveau, pour que les dirigeants politiques puissent prendre cet enjeu en main ». Les chercheurs soulignent déjà des avancées encourageantes. « Le plastique est désormais reconnu comme indicateur de la pollution chimique dans la directive-cadre stratégique européenne sur les milieux marins, et ce grâce à la recherche scientifique », se félicite André Abreu, directeur des relations internationales de Tara Océan. Ce dernier rappelle également que la fondation est signataire du Pacte national sur les emballages plastique, signé par treize industriels – dont Nestlé France, Danone, Unilever ou Monoprix – le 21 février 2019. « La solution est à terre et nous devons connecter les mondes de l’industrie et de la gestion des déchets à celui de la biodiversité, notamment en développant l’écoconception et en trouvant des solutions de substitutions aux additifs les plus dangereux », conclut-il.
La goélette Tara le 23 août 2009 devant Port Lay, Île de Groix / DR / Wikimedia Commons