Unité de désalinisation de l’eau de mer. Crédit : AdobeStock
Dans un numéro spécial de la revue « Water Alternatives », des chercheurs remettent en question le discours « techno-triomphaliste » entourant certaines solutions techniques pour faire face à la raréfaction de l’eau, dont la désalinisation et la réutilisation des eaux usées traitées.
Les solutions technologiques pour lutter contre le stress hydrique, telles que la désalinisation de l’eau de mer et le traitement des eaux usées, suscitent un intérêt croissant. Considérées comme des alternatives « évidentes » pour maintenir un modèle productiviste tout en garantissant l’accès à une ressource en eau de qualité, ces eaux dites non conventionnelles se répandent dans de nombreuses régions du monde confrontées à des conditions arides ou côtières. Des scientifiques soulignent dans un numéro spécial de la revue Water Alternatives, la nécessité d’un débat collectif sur ces approches et mettent en évidence les implications sociales et politiques complexes qui en découlent.
Le numéro spécial Desalination and the Reproduction of Water Injustices in the San Andrés Island Water Crisis met en exergue dix études de cas, de différentes régions du monde, documentant les aspects sociaux des solutions technologiques mises en œuvre. Parmi les exemples cités, on retrouve les externalités négatives de la réutilisation des eaux usées à Dar Es Salaam en Tanzanie, où des petits agriculteurs risquent de perdre leur accès à cette ressource en eau en raison de la création d’unités de traitement officielles. Un autre exemple concerne l’île colombienne de San-Andrés, qui a abandonné un projet de collecte des eaux de pluie au profit d’une usine de dessalement priorisant les infrastructures touristiques. Plusieurs implications potentielles de la désalinisation sont révélées dans cette étude, notamment la réduction de l’autonomie de l’île de San Andrés sur son eau et la promotion d’une consommation illimitée des ressources en eau, ainsi qu’une dépendance croissante à l’expertise technique qui entrave la possibilité de prise de décision participative par les habitants. D’autres préoccupations émergentes comprennent l’augmentation des prix de l’approvisionnement en eau et l’aggravation potentielle de l’accès.
Malgré la promesse « d’abondance pour tous » véhiculée par ces projets, ces techniques peuvent « perpétuer voire aggraver les inégalités » au lieu de résoudre les crises socio-économiques et environnementales auxquelles elles prétendent s’attaquer. « C’est symptomatique de la mal-adaptation : on perd du temps pour s’attaquer aux racines du problème », souligne Pierre-Louis Mayaux, chercheur en science politique au sein de l’UMR G-EAU.
Un sujet à débattre
Les chercheurs alertent sur la prédominance de ce discours « techno-triomphaliste » auprès des décideurs et gestionnaires de ces eaux non conventionnelles. Ils mettent ainsi en évidence le besoin urgent de « politiser ces eaux » en les plaçant au cœur des débats démocratiques sur l’avenir de cette ressource vitale. « Ces solutions peuvent s’avérer utiles, au cas par cas. Il ne s’agit pas de s’y opposer par principe. Mais plutôt que de les considérer comme allant de soi, l’essentiel est d’en débattre », ajoute Pierre-Louis Mayaux. Et de conclure : « Les processus de concertation et de délibération doivent être les plus précoces, transparents et inclusifs possibles, relève Pierre-Louis Mayaux, qui a co-coordonné la publication. Et s’autoriser à remettre en cause nos usages, au lieu de continuer coûte que coûte à produire toujours plus d’eau pour pérenniser des modèles néfastes. »