Une fois encore, les scientifiques placent les politiques devant leurs responsabilités. Contenir à 1,5°C le réchauffement climatique d’ici 2100, « c’est faisable géophysiquement ». Concrétiser l’objectif « dépendra des choix collectifs », selon Valérie Masson-Delmotte, coordinatrice du rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, adopté le 8 octobre en Corée du Sud.
Tenir l’objectif de 1,5°C « n’est pas impossible mais requiert des transitions sans précédent », pose Valérie Masson-Delmotte, qui a coordonné le rapport spécial du GIEC sur le « Réchauffement planétaire de 1,5 °C » (1), commandé à l’issue de la COP21 de 2015 et publié le 8 octobre. « Les évolutions disruptives dans les énergies renouvelables et leur stockage sont à étendre aux transports et à l’utilisation des terres », poursuit la paléoclimatologue.
Au rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre (GES), le réchauffement atteindra + 1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle entre 2030 et 2052. Valérie Masson-Delmotte souligne les « fortes différences » d’impacts selon que l’atmosphère gagne 1,5 ou 2°C d’ici 2100. Dans la seconde hypothèse, le risque de pénurie d’eau est ainsi doublé par rapport à la première. Les écarts se mesureront aussi en termes de « dégâts politiques et sociaux », appuie Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne sur le climat.
Passer le pic d’émissions en 2020
Stabiliser le climat à + 1,5°C exige de réduire les émissions de 45 % en 2030 par rapport à 2010 (- 20 % dans un scénario + 2°C) et d’atteindre zéro émission nette en 2050 (2075 en cas de hausse de + 2°C), précise Valérie Masson-Delmotte. En d’autres termes, il faudrait diviser par deux les rejets (à 20 milliards de tonnes de CO2/an), selon Roland Séférian. « Le pic doit être atteint en 2020 », poursuit le représentant du centre de recherche de Météo-France et co-auteur du rapport. Il faudra aussi « extraire de l’atmosphère du CO2 émis au 20ème siècle, notamment grâce à la reforestation et au changement d’affectation des sols », complète Valérie Masson-Delmotte.
Les différences entre scénarios s’apprécient aussi en termes économiques : « Au plan mondial, le coût de la tonne de CO2 évitée est trois à quatre fois supérieur si l’on tend vers 1,5°C que vers 2°C, avertit Jean-Charles Hourcade, directeur de recherches au CNRS. Cela rend pressante la réforme fiscale globale, qui réorienterait la taxation du travail et de la productivité vers celle des pollutions. » Pour le co-auteur du rapport, la réorientation rapide des investissements vers les solutions bas-carbone doit mobiliser 10 à 15 %/an de l’augmentation des revenus du capital dans le monde.
Sachant que « retarder l’action aggraverait le risque de destruction économique », note Michel Colombier. Il faut se focaliser sur les actions réellement transformatrices » – et non simplement un peu moins émettrices. Le cofondateur de l’Institut de développement durable et des relations internationales pointe les objectifs français et européens, clairement insuffisants par rapport aux voies que trace le rapport – et dont l’atteinte est pourtant incertaine.
Les signataires de l’accord de Paris appelés à la cohérence
Publié à la veille d’un Conseil des ministres européens de l’environnement, le rapport apparaît à Laurence Tubiana comme un « guide de l’action ». L’ancienne ambassadrice chargée des négociations climatiques rappelle que les Etats ont avancé, en amont de la COP 21, des propositions « minimales » de réduction d’émissions « dont la révision, prévue en 2020, se prépare dès 2019 ». Elle interpelle les gouvernements, grandes entreprises, collectivités et investisseurs « qui disent soutenir l’accord de Paris : êtes-vous cohérents avec ce texte dans vos décisions de tous les jours ? »
Le rapport du GIEC fournit aux ONG françaises l’occasion de répéter que « l’on n’est pas en déficit de solutions mais de volonté politique », comme le martèle Morgane Créach, directrice du Réseau action climat. La Fondation pour la nature et l’homme défend l’affectation intégrale du produit de la contribution climat-énergie (2,8 mds € en 2018, 30 sur le quinquennat) à l’accompagnement vers la transition énergétique des ménages et des petites entreprises. Outre le crédit d’impôt compétitivité-emploi, la fiscalité sur le carbone finance aussi la réduction du déficit public. « Du côté de la dette écologique, il n’y a pas le même souci d’équilibre », observe Pascal Canfin.
Pour le directeur du WWF-France, « le prochain projet de loi de finances doit s’aligner sur l’accord de Paris, avec un effet domino sur le logement, l’agriculture, le transport ». Si le traité international figurait dans la constitution, toute loi devrait s’y conformer. C’est tout l’enjeu de la réforme constitutionnelle, que le Parlement examinera en février 2019. Après avoir adopté la loi de finances.