Benoit Dulac, président du groupe Les ECO-Isolateurs. Crédits : DR
Le président du groupe Les ECO-Isolateurs, Benoit Dulac, revient sur la situation de la filière de l’isolation et son déploiement dans le cadre des rénovations énergétiques. « La jeune filière de l’isolation est en passe d’être condamnée par les pouvoirs publics », alerte-t-il.
La Loi énergie-climat vise l’éradication des passoires thermiques à l’horizon 2028, soit la rénovation énergétique globale des 4,8 millions de logements ayant une étiquette F ou G au Diagnostic de Performance Énergétique (DPE). Il faudrait pour cela isoler de façon performante plus de 500.000 logements par an. C’est 10 fois plus que cette année ! En réponse, les restrictions de MaPrimeRénov’, la disparition avancée au 30 juin 2021 des opérations « Coup de Pouce Isolation » et la suspension du dispositif d’Action Logement ne peuvent qu’interroger. L’absence chronique de contrôles massifs, malgré leur efficacité, aussi. L’administration et le gouvernement souhaitent-ils vraiment, au-delà d’une communication bien rodée, soutenir et intensifier la rénovation énergétique des bâtiments ? Difficile d’accélérer en serrant le frein à main continuellement…
La filière de l’isolation dans l’impasse
En dépit de l’impérieuse nécessité de limiter le réchauffement climatique, notre pays ne parvient pas à réduire significativement la consommation énergétique de ses bâtiments, qui représentent pourtant 44 % des consommations en France. Ainsi, seules 6 % des 20 millions de maisons individuelles françaises sont considérées comme thermiquement performantes (étiquette A ou B du DPE). Faute de revoir, de la cave aux combles en passant par les façades, l’isolation des 94 % de maisons restantes, la France n’atteindra pas ses objectifs. Cette situation est d’autant plus alarmante que la jeune filière de l’isolation est en passe d’être condamnée par les pouvoirs publics.
Les évolutions proposées récemment par la Direction Générale de l’Énergie et du Climat (DGEC), service en charge de la rénovation énergétique au Ministère de la Transition Énergétique, rognent massivement sur l’ensemble des aides à l’isolation pour les années 2022 à 2025. La DGEC propose même la fin anticipée au 30 juin 2021 du « Coup de Pouce Isolation » ! Ce dispositif a pourtant permis de lancer la massification des travaux d’isolation en France. Le stopper net, sans la moindre concertation avec les entreprises de l’isolation et les industriels de l’isolant, c’est prendre le risque de détruire entre 5 000 et 10 000 emplois, de précipiter vers la faillite des entreprises qui depuis plusieurs années recrutent dans les territoires, forment leurs collaborateurs à de nouveaux métiers - non délocalisables - et investissent massivement afin de proposer des offres d’isolation performantes et accessibles.
Les Français, friands d’isolation … quand elle est gratuite ou presque !
Les Français ont les plus grandes difficultés à appréhender les avantages de l’isolation : économie de chauffage, gain en confort, amélioration de la qualité de l’air et valorisation de la maison. Ce manque d’appétence pour l’isolation est l’une des explications au retard chronique en matière de rénovation énergétique du parc de logements, lancée il y a près de 15 ans.
Il existe pourtant une solution. Le succès des dispositifs d’isolation à 1€ l’a bien montré : lorsque le reste à charge est très faible, voire nul, les Français passent à l’action, tous, sans exception ! Cette aide, bien qu’imparfaite, a déclenché la première et unique massification des chantiers d’isolation en France. Selon les derniers chiffres de la DGEC, 1,5 million de logements ont bénéficié d’une isolation des combles ou des sols entre janvier 2019 et décembre 2020 grâce au « Coup de Pouce ». C’est considérable !
Autre exemple, le dispositif mis en place par Action Logement, organisme paritaire mieux connu sous le nom de « 1% logement ». Cette aide, qui permettait d’intervenir sur plusieurs postes de travaux avec un reste à charge très faible, a convaincu des dizaines de milliers de salariés du privé aux revenus modestes de se lancer dans l’isolation globale de leur maison.
Des conditions d’éligibilité qui changent sans cesse
La rénovation énergétique des bâtiments a connu en 2020 d’incessants changements réglementaires, réduisant fortement la capacité des entreprises de l’isolation à mener leur mission. Le Crédit d’impôt pour la transition énergétique a fusionné le 1er janvier 2020 avec l’aide Agilité de l’Anah, devenue MaPrimeRénov’ (MPR) ; mais avec des primes rabotées et des restes à charge d’au moins 10% du montant des travaux. En juillet, les surfaces éligibles ont été plafonnées à 100 m2.
Depuis, les réticences des ménages - notamment les plus modestes - à engager des travaux sont devenues fortes. Le rythme de mise en chantiers a été très faible avec environ 15 000 primes MPR payées en 2020 pour l’isolation.
Quant au dispositif d’Action Logement, il a été arrêté net en décembre dernier. Depuis, c’est l’expectative la plus totale. Des dizaines de milliers de travaux sont bloqués, leur sort est incertain et l’incompréhension des ménages concernés, qui se sentent bernés, est totale.
Dans de telles conditions, comment voulez-vous que les Français prennent goût à l’isolation ? Et comment cette jeune filière pourrait-elle se structurer durablement, déployer des offres de rénovation énergétique globale de qualité, créer des emplois qualifiés, investir dans des équipements pour être en mesure de concrétiser les ambitions de notre pays ?
Lutter contre la fraude : le prérequis indispensable
La nécessaire générosité des aides à la rénovation thermique a eu pour corollaire l’apparition d’acteurs peu scrupuleux, ne respectant ni les lois en vigueur - démarchage téléphonique, main-d’œuvre non déclarée - ni les règles de l’art dans la réalisation des travaux. Le phénomène s’est répété à chaque nouvelle subvention, quels que soient les types de travaux : pompes à chaleur en 2007, panneaux photovoltaïques en 2008, isolations diverses à 1€ depuis 2017. Leurs piètres prestations aboutissent à une faible réduction des émissions de GES des maisons rénovées et dévalorisent toute la filière aux yeux du grand public.
Face à ces agissements, la réponse est toujours la même : on ferme le robinet des subventions précipitamment, tuant pour quelques années le marché. Cette réaction du gouvernement, liée à la volonté de réduire l’impact des "réno-délinquants", est compréhensible. Elle pénalise gravement les ménages précaires et réduisent drastiquement le nombre de chantiers engagés. Elle compromet également la pérennité des acteurs intègres qui ne peuvent adapter leurs équipes, leur appareil productif et leur outil informatique à ces incessantes évolutions non programmées. Un résultat à l’opposé de la massification recherchée ! Avec ce schéma de « Go and Stop » permanent, la rénovation énergétique des logements ne pourra jamais atteindre ses objectifs.
Davantage de contrôles pour éviter les abus et rassurer les Français
Il est pourtant possible d’anticiper les agissements frauduleux, et de les déjouer. Les contrôles de la qualité des travaux ont systématiquement apporté la preuve de leur efficacité sur les marchés de l’isolation. Suite à leur mise en œuvre, malheureusement souvent tardive, le volume des chantiers a baissé, les entreprises délictueuses ont fui le marché, et la qualité des travaux réalisés et contrôlés est devenue excellente. Par exemple, pour l’isolation des réseaux d’eau chaude, le contrôle systématique par un organisme certifié est devenu obligatoire en 2016. Depuis, les subventions aboutissent effectivement à des économies d’énergie, sans laisser la possibilité aux entreprises malhonnêtes d’intervenir. Pourquoi ce dispositif n’a-t-il pas été généralisé à l’ensemble des travaux subventionnés ? Une politique efficace consisterait à définir en amont un référentiel de contrôle par type de travaux, puis à instaurer une fréquence de contrôle très élevée, dès le lancement de toute nouvelle subvention, allant de 30% de contrôles aléatoires pour les chantiers les moins onéreux - combles, sols - à 100% des chantiers contrôlés dès lors qu’ils bénéficient de plus de 10 000€ d’aides.
Un cadre pérenne et favorable, enjeu essentiel pour assurer la rénovation de 500 000 logements par an
Pour que la France honore ses engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique, l’État doit définir un schéma de subventions pour l’isolation des bâtiments contrôlé, incitatif, et pérenne, sans lequel les Français ne passeront pas à l’acte. Il est urgent de réagir, car la jeune filière de l’isolation, composée de quelques rares ETI nationales et de PME régionales, est au bord du gouffre, suite à une année 2020 plombée par la COVID mais surtout par les changements réglementaires incessants. Si ces entreprises disparaissent, qui réalisera les isolations de demain ? L’enjeu est considérable en matière d’emplois, en termes de précarité énergétique et surtout d’un point de vue environnemental. Que dirons-nous à nos petits-enfants si nous échouons ?