Pierre Verzat, président de Syntec-Ingénierie. Crédit : Voyez-vous/Vinciane Lebrun
Alors que le GIEC a récemment, et une fois de plus, rendu un rapport alarmant sur la situation climatique et l’urgence d’agir et de s’adapter, force est de constater un étonnant manque de réaction politique que la situation ukrainienne n’explique pas seule. Pierre Verzat, président de Syntec-Ingénierie, revient sur les enjeux soulevés par le rapport du GIEC et sur le manque de réactions politiques suscitées.
De nombreuses personnalités et associations s’en sont émues, mis à part quelques articles factuels et quelques tweets de personnalités politiques, le rapport du GIEC n’a pas suscité l’émoi qu’il méritait. La sphère politique a, en majorité, finalement choisi de rejouer Don’t Look Up, une fiction qui pointe du doigt l’inaction des politiques face à une fin du monde à venir, une météorite prête à s’écraser sur terre, métaphore évidente du dérèglement climatique. Bien sûr, la situation en Ukraine occupe légitimement l’espace médiatique et les débats publics ; urgence humanitaire, proximité territoriale, questions d’approvisionnement qui touchent notre quotidien, enjeu de sécurité immédiate pour la population… autant de facteurs qui en font une priorité.
Sarah Nedjar, reporter pour Radio France, a apporté sur cette hiérarchisation de l’actualité un éclairage intéressant en décryptant sur Twitter la « loi de proximité », aussi appelée froidement loi de la « mort kilométrique ». Plus le sujet est proche de son lectorat, plus il est jugé intéressant ; et cela se mesure en le positionnant sur 4 grands axes - géographique, temporel, affectif, sociétal. Aussi un sujet portant sur ici et maintenant, sur la sphère domestique et avec un enjeu de sécurité immédiate rassemble-t-il toutes les cartes pour séduire. A contrario, parler d’après-demain, de pays lointains, et de politique place le sujet au plus loin de son lectorat.
Si les actualités en lien avec l’Ukraine sont au cœur de ce diagramme, où se situe le rapport du GIEC ? Dans l’imaginaire collectif, et relativement à d’autres actualités, il parle d’un avenir au mieux lointain, au pire hypothétique ; il évoque des conséquences néfastes mais qui, elles aussi lointaines, concerneraient d’autres populations, ailleurs. Le verdict est sans appel, lorsqu’il est jugé au regard de la loi de proximité, le rapport du GIEC et plus globalement les changements climatiques passent au second plan.
Hic et nunc, du média au politique
Or, dans une société où l’agenda politique peut être dicté par l’agenda médiatique, à l’heure où sont formés aujourd’hui les talents de demain, conçues les technologies de demain, la question de faire de l’urgence climatique un sujet en soi, à traiter et adresser, doit se poser.
Ainsi, la loi de la proximité pose la question d’expliciter l’impact local des changements climatiques afin de favoriser leur meilleure appréhension. Car oui, la France, l’Europe et leur population en souffriront aussi. Le GIEC n’a de cesse de le dire, les changements climatiques vont impacter notre sécurité alimentaire, notre accès à l’eau, et bien sûr la sécurité même de nos infrastructures avec des pluies diluviennes de plus en plus récurrentes, et les inondations qui les accompagnent.
Rappelons aussi que si le GIEC nous parle d’anticipation, c’est pour rappeler que c’est bien ici et maintenant qu’il faut agir. La neutralité carbone mondiale ne se fera pas en un jour et le changement climatique produira ses effets longtemps après qu’elle aura été atteinte. Cela appelle donc à la mise en place dès aujourd’hui de politiques de long terme, qui se fondent sur des actions à court terme.
Une multitude d’acteurs privés comme publics entrent alors en jeu, notamment en ce qui concerne la décarbonation de l’industrie, des transports et de l’énergie, la construction de villes et bâtiments écoresponsables... et, pour orchestrer cette adaptation que le GIEC appelle de ses vœux, il faut un plan (de transformation de l’économie française, pour citer l’impressionnant ouvrage de The Shift Project) et un chef d’orchestre.
Puissance régalienne… et écologique ?
Alors, à l’approche de ce nouveau mandat, faisons le vœu que la personne qui sera élue à la fonction suprême prenne pleinement ses responsabilités. L’État peut jouer un rôle extrêmement important dans la relève de ce défi ultime qu’est le changement climatique, et il a toutes les cartes en main pour le faire avec efficacité.
Travailler à la résilience de nos territoires devrait ainsi être une priorité car, nous le savons bien, les territoires ne sont pas égaux face au dérèglement climatique. Intégrer l’adaptation au changement climatique dans les politiques publiques et dans les outils réglementaires et de planification devient alors une nécessité. La commande publique peut aussi être un levier efficace pour lutter contre le changement climatique, notamment en accélérant l’application de mesures déjà existantes au sein de la loi Climat et résilience, et en rendant la commande publique plus vertueuse écologiquement.
Enfin, ce sont bien les jeunes qui non seulement subiront le plus ces changements climatiques, mais en plus seront aux manettes demain, ingénieurs ou décisionnaires. Alors qu’ils font actuellement leurs études, il est impensable aujourd’hui de ne pas inclure de formation aux enjeux de la transition écologique dans l’enseignement supérieur technique et scientifique.
Ces quelques pistes ne sont bien sûr pas exhaustives. Il manque par exemple à l’appel la question terriblement actuelle de l’énergie et de notre souveraineté énergétique ; question qui, elle aussi, plaide pour une action rapide. Donc rappelons-le : oui le changement climatique est à notre porte, voire dans le vestibule, et il appelle à une action imminente. Imaginons dès maintenant ce que doit être la feuille de route de notre prochain ou de notre prochaine présidente, et ce dès le premier jour de son mandat.