En pleine réflexion sur l'avenir de son outil de production en France, l'industrie du raffinage doit affronter une difficulté supplémentaire : l'arrivée prévue, au 1er janvier 2011, d'une nouvelle classe de carburants, le gazole non routier, ou « fioul traction ». En effet, une directive européenne du 23 avril 2009 impose aux engins agricoles, du BTP et de navigation intérieure, d'utiliser un fioul à basse teneur en soufre, 10 ppm maximum (parties par million, soit 1 mg/ kg). Le but : réduire la pollution en dioxyde de soufre (SO2) à l'échappement des tracteurs, bulldozers et autres péniches, tout en préservant leurs pots catalytiques, le SO2 étant un poison pour les catalyseurs.
Jusqu'à présent, ces machines roulaient au fioul domestique, ou FOD. « Le FOD a deux usages : en chaudière et en engins non routiers. L'un comme l'autre sont soumis à la même fiscalité, donc tous deux sont colorés en rouge, et les distributeurs sont les mêmes », expose Frédéric Plan, délégué général de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage ( FF3C). Le hic : ce fioul affiche une teneur en soufre de 1 000 ppm. Or en raffinerie, les unités de désulfuration sont saturées. Deuxième os : « Les fioulistes devront investir dans des bras de chargement, des dispositifs de purge et des cuves séparées », redoute Frédéric Plan, chiffrant ce surcoût à 50 000 euros pièce. Des fioulistes qui ont toutefois obtenu de l'Europe une « tolérance de contamination », relevant la barre à 20 ppm de soufre en sortie camion.
La solution n'était-elle pas de convertir tous les fiouls domestiques à la très basse teneur en soufre, quel que soit l'usage ? « Impossible, et surtout trop cher », oppose Frédéric Plan. « Les cotations internationales font apparaître un écart d'un centime d'euro par litre entre le FOD à 1 000 ppm et le FOD à 10 ppm », confirme Olivier Gantois, délégué général de l'Union française des industries pétrolières ( Ufip). En revanche, il paraît plus réalisable d'aligner le fioul traction sur les caractéristiques du gazole routier. C'est vers ce schéma que s'orientent les pouvoirs publics. En effet, le gazole routier se trouve déjà à 10 ppm de soufre. Seul obstacle : la saisonnalité. En effet, les raffineurs ont organisé leur production en « campagnes », fabriquant alternativement gazole d'été et gazole d'hiver. Or le projet d'arrêté leur demande de fabriquer un gazole non routier aux caractéristiques hiver (tenue au froid jusqu'à - 15 °C) toute l'année. Avec un argument de poids : les remontées mécaniques de sports d'hiver qui appellent leur fiouliste pour remplir leurs cuves au printemps ne veulent pas prendre le risque de recevoir un produit spécial été ! Il semble donc qu'il faille maintenir deux saisonnalités, donc deux produits et deux logistiques distinctes. Avec le risque, comme le souligne le député Édouard Courtial dans une question écrite au gouvernement, de multiplier les trajets.
Seule consolation pour les pétroliers : en s'assimilant à un gazole, le fioul traction s'ouvre aux biocarburants. C'est là un nouveau débouché pour la filière des huiles végétales et un moyen, pour les raffineurs, de payer moins de TGAP. Pour autant, ce produit sera-t-il comptabilisé au titre des objectifs gouvernementaux d'incorporation ? A priori, non : les 7 % de biocarburants (en valeur PCI) prévus pour 2010 ne valent que pour les gazoles routiers. Toutefois, la directive européenne autorise l'entrée des gazoles « à usage spécifique » - le gazole non routier, donc, mais aussi le B30 de la SNCF - dans l'assiette. C'est heureux : sans eux, l'objectif ne pourra être atteint en France.