Un travail de longue haleine que mène l’Andra depuis les années 2000 à Ganagobie. La commune accuse les coûts d’une contamination radioactive engendrée par un « entrepreneur peu scrupuleux ». Spécialisée dans la production de molécules pharmaceutiques marquées au Carbone 14 (14C), l’usine Isotopchim a été « plusieurs fois mise en demeure pour des rejets radioactifs non autorisés dans l’environnement ». La société a été placée en liquidation judiciaire en 2000, et le laboratoire a été abandonné en l’état par ses responsables. Quid de la pollution sur le site ? Lorsque le responsable est insolvable, l’Andra, au titre de sa mission de service public, est sommée de prendre en charge l’assainissement et la gestion des déchets radioactifs qui en découlent.
L’Andra a pour rôle d’évaluer l’étendue de la pollution, de déterminer le meilleur scénario d’assainissement, son coût, et d’assurer le suivi du chantier, jusqu’à la prise en charge des déchets et la remise en état des lieux. L’Agence a depuis sa création traité des sites pollués comme les Établissements Charvet de l’Île Saint-Denis et le quartier des Coudraies à Gif-sur-Yvette (marqué par l’industrie du radium), mais Ganagobie constitue un dossier hors du commun pour l’Andra. La complexité de ce site réside dans l’absence de données sur ce qu’il contient comme produits chimiques et radioactifs. Un manque d’informations qui complique et retarde depuis de nombreuses années le travail d’assainissement.
Un industriel peu suivi par les autorités
La contamination que subit le Belvédère de Ganagobie est la conséquence des rejets atmosphériques du laboratoire d’Isotopchim de 1989 à 1997. Pour rappel, cette installation était soumise à déclaration de la quantité de radioactivité manipulée « avec un suivi léger de la part des pouvoirs publics », compte tenu de sa taille. L’activité de cet industriel consistait à marquer les molécules avec de la radioactivité pour que les industries pharmaceutiques puissent étudier l’efficacité de leurs médicaments. L’opération consiste à remplacer un atome de carbone stable par un carbone radioactif (carbone 14), un travail qui nécessite de multiples réactions chimiques pour parvenir au résultat souhaité.
Toutefois, ce laboratoire a poursuivi son activité sans respecter les autorisations de détention, c’est-à-dire « qu’il avait beaucoup plus de radioactivité, avec une grande quantité de carbone 14, qu’il s’est procuré de manière illégale », précise Nicolas Benoît, responsable de l’assainissement des sols pollués à l’Andra. De plus, l’exploitant ne gérait pas ses déchets selon les normes. Ce dernier a rejeté massivement ses effluents gazeux par la cheminée de son installation sans aucun contrôle, a vidé ses effluents liquides dans les égouts du village « et il a contaminé la station d’épuration ».
C’est dans les années 1992-1995, que les pouvoirs publics ont été alertés car l’usine a « besoin de l’Andra pour évacuer un certain nombre de déchets ». Les soupçons ont été effectivement éveillés lorsque l’exploitant a demandé une grande prise en charge de ses déchets, « mais lorsque nous avons vu la demande avec les niveaux d’activité, au début on a cru que l’exploitation s’est trompé dans sa déclaration ! », commente Nicolas Benoît. Une fois le contrôle réalisé, l’Andra a alerté les autorités.
Contamination en carbone 14
Des états de lieux ont été réalisés au début des années 2000 pour constater l’étendue de la contamination. La Direction générale de la prévention des risques (DGPR) et la Commission Nationale des Aides dans le domaine Radioactif (CNAR) de l’ANDRA ont demandé à l’IRSN d’examiner la question du devenir des arbres situés dans le « Parc », à proximité et sous les vents dominants de l’ancien local d’Isotopchim. En 2001, l’activité spécifique du 14C d’échantillons de bois du parc « variait de 9 500 à 25 000 Bq/kg de carbone (Bq/kg C) et celle de la matière organique des sols de 6 000 à 66 000 Bq/kg C », peut-on lire dans le rapport. L’activité spécifique observée en 2001 « perdure dans le bois formé durant la phase d’exploitation du laboratoire et diminue très lentement dans les sols ».
Néanmoins, il faut « relativiser la contamination radiologique », parce qu’on est sur du carbone 14 qui « est un élément très peu dosant. Il y a des études d’impact qui ont été faites et qui ont montré que l’impact était proche de 0 », souligne le responsable de l’assainissement des sols pollués à l’Andra.
Un site abandonné sans références
Après un inventaire des substances laissées sur place, les produits et déchets non radioactifs ont été évacués en 2003. Areva, CEA (Commissariat à l’énergie atomique) et l’Andra ont ensuite travaillé ensemble en 2006 pour mettre en sécurité le site. Première étape : couper l’électricité au sein du bâtiment qui contient des produits chimiques frigorifiés et congelés dont des solvants fortement contaminés, afin d’éviter un départ de feu.
L’Andra a pris la main sur le site en 2008. L’Agence a mené différentes opérations liées à la caractérisation et l’évacuation des déchets radioactifs et chimiques fortement contaminés qui se trouvent au sein de l’installation. « Il fallait faire un grand travail de caractérisation et d’identification de ces déchets », ce qui nécessite d’investir plus de temps et plus de moyens financiers.
Courant 2010, 40 m3 de déchets solides très faiblement radioactifs ont été évacués par l’Andra. Depuis 2018, l’Agence mène tous les deux ans une grande opération, « car il faut du temps pour étudier, trouver des solutions, et les mettre en œuvre ». D’abord, une opération de caractérisation, suivie par l’évacuation de certains déchets, et prochainement une opération d’évacuation de tous les déchets liquides restants sur le site. La facture de ces travaux s’élève à 4 millions d’euros et pourrait même atteindre les 8-10 millions d’euros « pour un petit site, c’est un chantier exceptionnel », commente Nicolas Benoît.
Zone de surveillance et analyse
Après une vingtaine d’années, l’Andra commence à voir la fin du tunnel. En effet, il ne reste que 1m3 de déchets liquides et près de 40 kg de déchets solides à évacuer. Mais avant cette dernière étape, il faut lever les doutes sur toutes les pollutions chimiques, faire réagir les produits liquides en petite quantité et les caractériser radiologiquement et chimiquement : « leur caractérisation permettra de choisir la meilleure filière de gestion possible ». L’Andra a notamment fait appel à la société Curium spécialisée en chimie avec une compétence en radioactivité.
Cellule chaude permet de prélever les échantillons et de maintenir le risque de dispersion de la contamination chimique/radioactive. Crédit : A.A.
Curium mène le travail d’extraction d’échantillons et d’analyse et de caractérisation des produits in situ. Un petit laboratoire a été installé au sein de l’usine, celui-ci est équipé de barboteurs pour surveiller et mesurer le taux de carbone 14 dans l’air. On y trouve également un minéralisateur pour la préparation d’échantillons en vue des caractérisations chimiques, et un scintillateur liquide pour extraire le radionucléide et pouvoir mesurer en différé les échantillons. « Ici on va faire de la caractérisation radiologique avant le départ de ces déchets, et on mesure les métaux de façon grossière pour savoir le facteur de dilution que l’on doit apporter à nos échantillons pour pouvoir les caractériser plus finement sur Montagny », indique Severine Permingeat, chargée d’activités Nucléaire chez Curium.
Barboteurs pour surveiller et mesurer le taux de 14c. Crédit : A.A.
Une fois que ces étapes de caractérisation des produits solides et liquides seront finalisées, l’Andra s’attend à terminer l’ensemble de ses opérations à l’horizon 2025 avec une probable démolition du site.