On oppose volontiers, d’un côté des dératiseurs vénaux et sadiques et de l’autre des bobos candides. En réalité, tous s’accordent à dire qu’une régulation de la population de certaines espèces est indispensable. Les oppositions concernent plutôt les cibles et les méthodes employées. Loin des caricatures, le sujet mérite réflexion. Notre gestion des « nuisibles » conditionne notre capacité à nous nourrir, à protéger nos écosystèmes, à prévenir de futures pandémies, et tout simplement à occuper nos espaces, publics comme privés, en toute sécurité.
Peut-on réellement parler de nuisibles ?
« Rat » ou « surmulot » le débat a pu prêter à sourire. Il pointe cependant un problème essentiel : il n’existe pas de système objectif permettant de classer une espèce comme « nuisible ». D’ailleurs, historiquement, des espèces aujourd’hui emblématiques comme les dauphins, les loutres ou les loups l’ont été.
Culturellement, pour définir le statut d’une espèce, nous utilisons trois critères : est-elle utile ou inutile ? Est-elle inoffensive ou dangereuse ? Et est-elle autochtone ou allochtone ? S’ajoute souvent une variable émotionnelle : avons-nous de l’empathie pour les animaux en question ? Dans certains cas il est assez simple de placer le curseur. Exemple : le frelon asiatique. Il n’a quasiment aucune utilité dans nos écosystèmes, il représente un danger à la fois pour l’homme, les animaux domestiques et les populations de pollinisateurs (abeilles, guêpes...) et enfin il n’est apparu en France qu’en 2004.
Mais l’équation est rarement aussi simple. Par exemple comment classeriez-vous les guêpes ? Elles sont évidemment utiles aux écosystèmes : elles nourrissent les oiseaux et elles jouent un rôle de pollinisateur. Mais elles sont aussi dangereuses pour l’homme, en particulier pour les personnes allergiques. Comment pondérer objectivement la balance bénéfice-risque et définir les zones dans lesquelles les guêpes ont droit de cité ? Juridiquement, la plupart des animaux dits « nuisibles » (rats, cafards, punaises de lit...) ne le sont pas au regard du droit. Ils sont considérés comme « res nullius, res communis » : sans aucune protection ni aucun statut. Leur élimination ne fait donc l’objet d’aucun encadrement, si ce n’est d’éviter les « mauvais traitements ou actes de cruauté ». Une non-définition qui annihile toute discussion sur les objectifs de maitrise des populations, ou les méthodes utilisées.
Il existe une catégorie administrative « d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts », comme le renard, qui sont définies par arrêté ministériel. Des quotas et des méthodes d’élimination sont alors définis et révisés régulièrement. Pour cela il doit être démontré, études scientifiques à l’appui, qu’elles portent des « atteintes significatives ». Mais même cette classification reste subjective : qu’est ce qui caractérise une atteinte significative ? Comment faire une balance objective entre les nuisances et les bienfaits causés par une espèce ?
Un concept flou, mais des risques bien réels
Tout aussi subjective que soit la définition des espèces « nuisibles », leurs impacts sur la santé humaine, les écosystèmes et nos économies sont eux objectifs, massifs et en croissance. C’est avant tout un enjeu de santé publique. 30 % des rats parisiens sont porteurs de pathogènes dangereux pour l’homme comme la leptospirose qui contamine plus d’un million de personnes et fait 60 000 victimes dans le monde chaque année. En France on dénombre 600 cas graves par an, un chiffre qui a doublé entre 2017 et 2022. Plus généralement, tous les nuisibles qui circulent dans nos égouts peuvent être porteurs de germes et de bactéries dangereuses. De nombreuses espèces inquiètent aussi par leur capacité à propager des épidémies. Le moustique tigre, désormais bien installé en France, peut porter de nombreux virus comme la dengue, Zika ou le chikungunya. En 2022 en France métropolitaine, 65 cas autochtones de Dengue ont été recensés, un chiffre en constante progression.
S’ajoutent aux maladies, les impacts psychologiques. Par exemple, les punaises de lit poussent chaque année 72 000 personnes à consulter leur médecin, dont près de 40 % pour des troubles psychologiques associés. De nombreuses espèces menacent aussi la biodiversité et nos écosystèmes. On peut notamment citer la punaise diabolique, le frelon asiatique, la pyrale du buis, la fourmi électrique, la coccinelle asiatique...Le dernier impact des nuisibles est bien sûr économique.
Une étude du CNRS a estimé le coût annuel des dégâts causés par les dix d’insectes dits « nuisibles » les plus coûteux à près de 69 milliards d’euros minimum dans le monde. En France une autre étude de l’UICN et du CNRS chiffre le coût annuel des seules espèces exotiques envahissantes à 400 millions.
Comment faire mieux ?
Face à ces conséquences, on comprend bien qu’une politique coordonnée est indispensable pour un certain nombre d’espèces. Mais en l‘absence de critères totalement objectifs, et pour que cette lutte soit efficace et acceptable par le grand public un certain nombre d’évolutions sont souhaitables et nécessaires :
1- La liste des espèces problématiques et les objectifs les concernant doivent être clairement établis. Pourquoi pas au sein d’une commission regroupant des scientifiques, des associations de défenses des animaux, des victimes et des professionnels du secteur ?
2- Le recours aux pesticides doit être restreint autant que possible. Il existe aujourd’hui des traitements alternatifs pour la plupart des espèces. Mais ces derniers sont plus coûteux, car chronophages. Pour les particuliers, la généralisation de ces méthodes nécessite donc la mise en place d’aides et d’assurances. Pour les acteurs institutionnels, cela implique de repenser les appels d’offres, centrés aujourd’hui majoritairement sur le prix plus que sur les méthodes employées.
3- Dans l’espace public, il serait aussi possible de privilégier des méthodes de lutte non létales dans de nombreux cas. Il existe notamment des solutions contraceptives efficaces pour réguler les populations de rats ou de pigeons. Il s’agit là encore d’une question de prix et d’orientation des commandes publiques.
Les solutions ne manquent donc pas pour lutter humainement et efficacement contre les espèces invasives qui représentent un danger pour nous et nos écosystèmes. Mais leur mise en place nécessite que ce débat puisse avoir lieu, en bonne intelligence, afin d’orienter l’action publique et les acteurs privés. Avec à court terme l’arrivée des JO, mais aussi la multiplication des facteurs de risques, il devient urgent d’agir et de réfléchir.
1 Ipsos pour badbugs.fr – Les Français et les nuisibles – Aout 2022
2 Vivre avec les ”nuisibles”? Rémi Luglia
3 La louveterie et la destruction des animaux nuisibles : théorie et pratique en Lorraine et Barrois au XVIIIème siècle - Cyrille
Kolodziej
4 Izinovation – Docteur Romain Lasseur
5 Costa F, et al. (2015). Global Morbidity and Mortality of Leptospirosis: A Systematic Review. PLoS Negl Trop Dis 9(9):
e0003898.
6 https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/leptospirose
7 https://www.francetvinfo.fr/sante/la-leptospirose-maladie-mortelle-se-repand-en-france-et-dans-le-
monde_4003303.html
8 https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-a-transmission-
vectorielle/chikungunya/articles/donnees-en-france-metropolitaine/chikungunya-dengue-et-zika-donnees-de-la-
surveillance-renforcee-en-france-metropolitaine-en-2022#block-471871
9 Inserm - Punaises de lit : plus de 70 000 consultations en un an en France métropolitaine
10 Invasion des insectes : l’économie mondiale affectée - Priscilla Dacher & Franck Courchamp
11 UICN Comité français, CNRS, MNHN, Université Paris-Saclay, Université Rennes 1. 2021. Les coûts économiques des
espèces exotiques envahissantes. Un fardeau pour la société.
12 Assurance.badbugs.fr
13 Shuster, S.M., Pyzyna, B., Ray, C. et al. The demographic consequences of fertility reduction in rats and voles
2 Vivre avec les ”nuisibles”? Rémi Luglia
3 La louveterie et la destruction des animaux nuisibles : théorie et pratique en Lorraine et Barrois au XVIIIème siècle - Cyrille
Kolodziej
4 Izinovation – Docteur Romain Lasseur
5 Costa F, et al. (2015). Global Morbidity and Mortality of Leptospirosis: A Systematic Review. PLoS Negl Trop Dis 9(9):
e0003898.
6 https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/leptospirose
7 https://www.francetvinfo.fr/sante/la-leptospirose-maladie-mortelle-se-repand-en-france-et-dans-le-
monde_4003303.html
8 https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-a-transmission-
vectorielle/chikungunya/articles/donnees-en-france-metropolitaine/chikungunya-dengue-et-zika-donnees-de-la-
surveillance-renforcee-en-france-metropolitaine-en-2022#block-471871
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11 UICN Comité français, CNRS, MNHN, Université Paris-Saclay, Université Rennes 1. 2021. Les coûts économiques des
espèces exotiques envahissantes. Un fardeau pour la société.
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13 Shuster, S.M., Pyzyna, B., Ray, C. et al. The demographic consequences of fertility reduction in rats and voles