Manifestation des salariés de Tefal à proximité de l'Assemblée nationale / Crédits : Pauline Fricot
[CHOIX DES LECTEURS*] Le Sénat a à son tour adopté, le 30 mai, la proposition de loi pour réguler les PFAS. L’opposition souligne le risque que ce texte fait peser sur l’emploi et sur la compétitivité française. L’alternative proposée : attendre l’Union européenne, pour une meilleure coordination. Quels sont les risques pour l’industrie tricolore et les emplois ? Où en est la réglementation en Europe ? Décryptage.
« L’écologie oui, nos emplois aussi », scandaient le 3 avril des centaines de salariés de Tefal rassemblés à proximité de l’Assemblée nationale, sous un concert de casseroles, la veille de l’examen par les députés du texte visant à encadrer les PFAS, ou « polluants éternels ». L’objectif : ne pas toucher aux poêles antiadhésives, contenant des PFAS comme de nombreux objets du quotidien (vêtements, cosmétiques, produits ménagers, électronique...)
La lutte a été efficace. Si la proposition de loi visant à interdire dès 2026 la fabrication, l’importation et la fabrication de certains produits non essentiels (cosmétiques, fart, certains textiles) contenant des PFAS a été adoptée, les ustensiles de cuisine, au départ concernés, ont été retirés à l’Assemblée nationale et n’ont pas été réintégrés lors du passage du texte au Sénat le 30 mai. La PPL prévoit par ailleurs un contrôle sanitaire des eaux potables avant 2026 et l’instauration du principe de pollueur-payeur.
La PPL ne fait néanmoins pas consensus. Le ministre de l’Industrie, Roland Lescure l’a jugée « inefficace, inopérante et contre-productive », citant les arguments des industriels au sujet de « milliers d’emplois » mis « en péril », et le risque de pénaliser la compétitivité de l’industrie française. Il a appelé à agir à l’échelon européen plutôt que national. « Il faut laisser le temps aux industriels de se reconvertir », et suivre « le tempo européen », a également avancé Frédéric Souillot, secrétaire général de Force Ouvrière.
Alors que le Sénat s’est emparé du texte le 30 mai, le porteur du projet de loi, le député Nicolas Thierry (les Ecologistes) estime que la résistance des industriels est « une erreur de stratégie », voire « un flagrant délit de manque d’anticipation » - les dangers des PFAS étant documentés depuis le début des années 2000.
« Le compte à rebours est lancé »
Pour le député écologiste, aucun doute : « le compte à rebours est lancé ». Depuis le premier scandale sanitaire lié aux PFAS aux Etats-Unis il y a plus de vingt ans, certaines substances – parmi les plus de 10.000 existantes - commencent à être progressivement réglementées.
A l’échelle internationale, le règlement POP (polluants organiques persistants), issu de la convention de Stockholm, a interdit le PFOS depuis 2009, le PFOA depuis juillet 2020 et le PFHxS depuis juin 2022, en raison de leur dangerosité.
Au niveau européen, c’est le règlement Reach (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) qui encadre la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne. Il est actuellement en cours de révision, et pourrait s’élargir, en intégrant par exemple les polymères - dont certains sont des PFAS.
La pression s’est intensifiée depuis l’année dernière. Cinq pays - le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède – ont devancé la révision du règlement en déposant une demande à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), visant à restreindre la fabrication, l’utilisation et la mise sur le marché de tous les PFAS, et d’instaurer des dérogations pour les usages essentiels (matériel médical, transition énergétique, pesticide…). Des restrictions qui pourraient n’aboutir qu’à la fin de la décennie, selon Nicolas Thierry, du fait du long « processus politique » européen.
L’Union européenne a néanmoins pris les devants. En mars dernier, l’interdiction d’ajouter intentionnellement des PFAS dans les emballages alimentaires dès 2026 a été adoptée – une mesure déjà prise par le Danemark depuis 2020, et le Parlement européen a voté en faveur d’une révision de la réglementation sur la sécurité des jouets, qui comprend des mesures visant à interdire les produits chimiques perturbateurs endocriniens nocifs dans les jouets, dont les PFAS.
Un risque pour la compétitivité
Certains parlementaires souhaitent donc attendre une coordination à l’échelon européen, pour éviter de pénaliser l’industrie tricolore. « Si les PFAS sont interdits en France, mais permis en Allemagne, qui va contrôler les poêles ou les réseaux de distribution ? » s’interroge le député du Rhône Cyrille Isaac-Sibille (MoDem), auteur d’un rapport public sur le sujet. Ce qui relève des usages doit découler d’une vision européenne.Si chacun adopte ses propres règles, il y aura plus de désordre qu’autre chose », défend-il.
Des arguments balayés du revers de la main par Nicolas Thierry : le texte soumet les importations aux mêmes règles, et il y a urgence. « Pourquoi attendre alors que nous avons des alternatives et qu’il est possible de protéger les Français tout de suite ? », interroge-t-il. Selon lui, la PPL va au contraire permettre de préserver le tissu industriel français en encourageant la transformation des entreprises. « Les consommateurs sont de plus en plus sensibilisés aux polluants éternels. Si rien n’est fait,ils risquent de se tourner vers d’autres produits, peut-être étrangers. Il faut que les industriels comprennent que s’ils ne prennent pas le virage, ils vont être confrontés à des licenciements et à des pertes de compétitivité à très court terme », estime-t-il. Et pour preuve : depuis avril, la société française Cristel a vu ses ventes de poêles en inox « exploser ».
Protéger les emplois
Reste la seconde inquiétude, à savoir, les emplois. A l’échelle nationale, aucune estimation n’existe sur les emplois liés directement ou indirectement aux PFAS. Tefal a annoncé un chiffre de 3.000 emplois menacés sur ses deux sites, à Remilly (Haute-Savoie) et Tournus(Saône-et-Loire).Néanmoins, rien ne permet de confirmer cette estimation. « Il n’y a pas, au total, 3.000 emplois sur ces deux sites, explique le député écologiste, et même si c’était le cas, toutes les chaînes de production de Tefal ne sont a priori pas concernées », ajoute-t-il. Seb propose en effet déjà des modèles de poêles en inox. Le groupe, contacté par Environnement Magazine, n’a pas répondu aux sollicitations.
« La PPL protège doublement les travailleurs : elle leur permet de conserver leur emploi et leur santé », contrecarre le député. Un constat partagé en conférence de presse par Cathy Athanase, secrétaire départementale de la CGT Haute-Savoie, qui estime qu’il s’agit d’un « chantage à l’emploi » et que « le patronat n’a pas tiré les leçons de l’amiante ».
Le député MoDem n’est lui non plus « pas pessimiste » concernant les emplois. D’abord, parce qu’il y a une « prise de conscience des industriels » depuis deux ans. « Certains groupes, comme L’Oréal, ont anticipé le problème et proposent déjà des formules sans PFAS », précise-t-il. Pas de gros bouleversements en vue, donc. De plus, « de nouveaux emplois vont être créés,dans les laboratoires ou dans le secteur de la dépollutionpar exemple », ajoute-t-il.
" Celui qui a pollué, paye"
Le recours aux PFAS risque parallèlement de coûter de plus en plus cher aux industriels. D’abord, car les plaintes se multiplient, et certains acteurs sont contraints de payer des sommes colossales pour contourner les procès. En juin 2023, le géant américain 3M a accepté de verser 12,5 milliards de dollars pour mettre fin aux poursuites engagées par plusieurs réseaux publics de distribution d’eau potable aux Etats-Unis. A la même période, trois groupes chimiques américains (Chemours, DuPont de Nemours et Corteva) se sont engagés à verser au total 1,185 milliard de dollars pour éviter des procès liés à la contamination de l’eau potable. Des plaintes similaires ont été recensées en Belgique ou en Australie.
Ensuite, car le texte vise à responsabiliser les entreprises : la PPL prévoit l’instauration d’un système de pollueur- payeur. Pour le député Cyrille Isaac-Sibille, cet outil n’est néanmoins pas tout à fait adapté. « Les rejets étaient bien plus importants dans les années 2000 qu’aujourd’hui, développe-t-il. Il faut que les contributeurs historiques paient, par un principe de "celui qui a pollué, paye" ». Il propose la création d’une filière chargée de contrôler la production, l’utilisation et la fin de vie des PFAS, financée par l’Etat et par les industriels concernés.
Le texte doit maintenant retourner au palais Bourbon pour une adoption définitive.
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