Environnement Magazine : Comment le concept de « garage de l’espace » est-il né ?
Stéphanie Lizy-Destrez : Nous avons constaté que rien n’était fait pour gérer les débris spatiaux ou la fin de vie des satellites, et qu’aucun commerce n’était associé à cette activité. Les industriels ne semblent pas avoir d’intérêt à investir dans cette activité. Et si en France, une loi oblige depuis 2011 la gestion de la fin de vie d’un satellite fabriqué en France ou mis en orbite depuis un site français, ce n’est pas le cas pour de nombreux autres pays. Mais il n’existe pas de gendarme ou de tribunal de l’espace. C’est pourquoi notre équipe de recherche a lancé ce projet de « garage de l’espace » ou d’« usine de recyclage de l’espace ».
En quoi consiste ce projet ?
Plutôt que de multiplier les lancements de nouveaux satellites, nous aimerions utiliser les objets déjà présents dans l’espace, afin de réparer et ravitailler les satellites vieillissants. Il s’agit donc de rallonger leur durée de vie, de retarder les nouveaux lancements – et donc de diminuer les coûts – ou de faciliter leur transfert vers une orbite cimetière. C’est une forme d’économie circulaire dans l’espace.
Quelle est la durée de vie d’un satellite ?
Il y a différents types de satellites. Les satellites de télécommunication sont situés dans l’orbite géostationnaire, à 36.000 km de la surface de la Terre. Les satellites de météorologie et d’observation sont situés entre 500 et 1200 km de la surface de la Terre, dans les orbites basses. Un satellite de télécommunications a une durée de vie d’environ 10 ans, qui est dimensionnée par la quantité de carburant de son réservoir. L’objectif du projet est de l’allonger à 15 ans. Pour les satellites d’imagerie, la durée de vie est de 7 à 8 ans, à cause de l’environnement hostile dans lequel ils évoluent : il y a les frottements atmosphériques, ce qui les freine et implique plus de manœuvres plus fréquentes pour maintenir leur trajectoire. Une fois que les satellites ne sont plus fonctionnels, on ne peut plus les contrôler, ils sont en mouvement libre avec une vitesse de 7 à 8 km par seconde. Il peut être alors difficile d’empêcher les collisions, qui créent à chaque fois des millions de petits débris.
Comment se matérialise ce « garage de l’espace » ?
Nous développons un concept pour l’orbite géostationnaire, qui a été ensuite étendu aux orbites basses. Ce « garage de l’espace » est composé d’une station principale, à laquelle sera arrimé un dépôt pour stocker du carburant. Des « véhicules citernes » feront des allers-retours entre la Terre et la station pour ravitailler le dépôt en carburant. Un objet recycleur – une sorte de dépanneuse de l’espace – fera des allers-retours entre la station et les satellites endommagés. Enfin, une flotte de petits satellites circulera en repérage des débris ou des éventuels satellites à réparer.
Qu’appelle-t-on « débris spatiaux » et a-t-on une idée de leur nombre ?
On appelle « débris spatiaux », tous les objets qui résultent de l’activité humaine dans l’espace. Par exemple, les débris issus d’une collision entre deux satellites, ou les équipements qui se perdent lors d’une opération dans une station spatiale. Dans l’espace, il y a actuellement plusieurs centaines de millions de très petits objets de moins d’un centimètre, environ 900.000 objets dont la taille est comprise entre 1 et 10 centimètres, et 34.000 objets de plus de 10 centimètres.
Et combien de satellites sont-ils actuellement en orbite ?
Depuis Sputnik, il y a eu 5550 lancements. 8950 satellites ont été mis en orbite et 5000 sont toujours dans l’espace. Sur ces 5000 satellites, seulement 1950 sont toujours fonctionnels.
Où en est le développement de votre concept ?
Notre travail consiste désormais à trouver la meilleure combinaison coût/rentabilité/moyens humains/fonctionnalité. Pour l’équipage, nous avons différentes options possibles : il peut s’agir d’une station habitée à 100% du temps, d’une station entièrement robotisée et pilotée depuis un centre de contrôle sur Terre, ou encore d’une station partiellement habitée, ou opérée depuis d’autres stations.
Nous devons nous projeter sur une durée de 15 ans, en prenant compte des évolutions des services qui entreront en jeu. Nous devons donc établir une conception qui soit modulaire et flexible. Il faudrait réparer 6 à 7 satellites par an sur une durée de 15 ans pour que ce soit rentable.
Votre équipe est-elle la seule à travailler sur un tel projet ?
Il existe de nombreuses équipes qui travaillent sur le « in-orbit servicing » et notamment sur le ravitaillement. Il y a eu par exemple des études de la Defense Advanced Research Project Agency aux Etats-Unis ou encore de la Nasa en 1983, sur les opérations dans l’espace. Mais à ce jour et à ma connaissance, il n’existe pas de concept équivalent à notre projet au niveau système. Il y a bien eu un concept étudié par des acteurs industriels européens et présenté en 2018 à un concours de l’Agence spatiale européenne, mais ce sont mes étudiants qui ont remporté ce concours !