Olivier François vient d’être nommé vice-président de la Confédération européenne des industries du recyclage (EuRIC). Impacts de la crise sanitaire sur les filières européennes de recyclage, chantiers prioritaires et enjeux actuels pour les professionnels du secteur... Tour d'horizon avec celui qui est aussi président de la commission internationale de Federec (Fédération professionnelle des entreprises de recyclage) et directeur du développement du groupe Galloo.
Quels sont les impacts de la crise actuelle sur votre activité ? Et quels sont les scénarios de « sortie de crise » pour le groupe Galloo ?
Pour les métaux – filière que je connais bien, avec celle des plastiques issus des VHU et des D3E –, les approvisionnements ont chuté très vite à partir du 17 mars. En quinze jours, nous étions à environ 20 % des entrées habituelles, mais notre activité s’est maintenue jusqu’au 10 avril afin de traiter les stocks présents au moment du confinement, l’idée étant surtout de dépolluer et de broyer tout ce qui était susceptible de départ de feu : VHU, D3E, ou platinage en général. Depuis le 14 avril, nos sites principaux sont à un niveau d’activité très faible avec quelques chauffeurs affectés à des enlèvements chez des clients encore actifs.
Pour les plastiques de D3E et de VHU, et notre filiale Galloo Plastics, comme notre débouché est à 60 % l’industrie automobile, et que celle-ci s’est arrêtée immédiatement le 17 mars, nous avons dû nous arrêter aussi immédiatement. Aujourd’hui, avec le redémarrage de la Chine, nous pouvons expédier nos granulés compoundés vers cette destination, et nous avons donc remis partiellement en route la société.
Concernant la « sortie de crise », le redémarrage de l’industrie, qui est notre principale source de matière « entrante » est progressif, et donc nos outils de production ne seront mobilisés que progressivement à partir d’un certain seuil de matières que nous aurons su accumuler sur nos sites.
Au-delà de la crise actuelle, quels sont les chantiers prioritaires pour EuRIC ?
L’incorporation de matières recyclées dans les objets neufs est absolument capitale. La nature fluctuante et cyclique des prix des matières premières minières, ou extractives en général, rend la vente des matières premières recyclées (MPR) aléatoire, voire impossible dans certains cas. Soyons clairs, après deux ans d’atermoiements, aussi bien au niveau européen que français, sur des engagements « volontaires » d’incorporation qui n’ont rien donné, il est grand temps de passer à des obligations réglementaires, seul moyen de créer et de stabiliser la consommation de MPR. La directive SUP de 2019 sur les bouteilles de PET a clairement ouvert la voie à ces obligations, il faut absolument étendre et prolonger cette dynamique à d’autres secteurs manufacturiers.
Concernant la création d’un statut de MPR qui ne relève ni de la réglementation « déchet », ni de la réglementation « produit », l’initiative de la Commission européenne dans sa directive-cadre déchets de 2008 d’ouvrir une « sortie de statut de déchets » (SSD) a fait long feu. Mais c’est bien au niveau mondial que ce joue l’enjeu d’un statut spécifique aux MPR. On l’a vu encore récemment avec les exportations de conteneurs de plastiques recyclés en Malaisie. Tout le monde se fait peur avec le statut de « déchet » : les douanes, les administrations, les politiques… La diabolisation du « déchet » entraîne une insécurité juridique très forte sur les MPR : ce n’est pas nouveau, mais cela semble s’amplifier. Il est donc absolument prioritaire de proposer une alternative réglementaire qui sécurise les expéditions et la circulation internationale des MPR.
Quelle est votre idée sur ce sujet plus précisément ?
Nous devrions nous inspirer de la validation des comptes de nos entreprises par un commissaire aux comptes, tiers indépendant et responsable sur ses deniers propres des conclusions de son audit, et de le transposer à nos expéditions qui seraient validées par un tiers auditeur depuis le chargement et jusqu’à la livraison. Nous avons besoin d’une expertise « tierce ». Les douanes sont incapables d’assurer ce rôle, il nous faut donc faire appel à une garantie extérieure, qui rassurera tout le monde.
Notre espoir est qu’EuRIC puisse saisir la Commission de cette proposition d’un statut spécifique aux MPR, et qu’elle entraîne l’adhésion des pays de l’OCDE, voire de l’ONU, pour généraliser la rationalisation de ce volet du commerce international, au même titre que la convention de Bâle a su réglementer les transferts internationaux de déchets dangereux en son temps.
Où en est votre initiative visant à incorporer des matières recyclées dans les objets neufs ?
Notre proposition de créer un certificat d’incorporation matière (CIM), à l’image du CEE, n’a pas été retenu par le ministère de la Transition écologique et solidaire. Le point a été discuté au Sénat et à l’Assemblée nationale lors de la discussion sur le projet de loi Économie circulaire, mais le ministère a considéré qu’il devait être examiné au niveau européen. EuRIC doit donc désormais pousser la Commission à accélérer les décisions d’incorporation obligatoire de MPR.
Quels sont les enjeux actuels pour les filières des VHU et des D3E ? Et quels impacts ont les réglementations chimiques sur le recyclage ?
La poursuite de l’illusion du « zéro-risque » nous entraîne dans une situation de blocage. Pas seulement de blocage du recyclage, mais plus généralement de toute activité, en laissant la peur aveugler la raison. La position d’EuRIC a été établie et affirmée avec force. C’est le « scénario d’exposition » qui compte. Une pièce en plastique recyclée dans une automobile qui contient pour différentes raisons des traces d’une substance dangereuse, ne présente aucun risque pour l’utilisateur qui n’est tout simplement pas en contact avec cette pièce. C’est ce que nous traduisons en « langage » de Bruxelles par ce motto : l’approche « risque » doit être prioritaire sur l’approche « danger ». Autrement dit, le « danger » est potentiel, mais la substance qui le porte n’est pas « mobilisable », elle est fixée dans une matrice de matière, par exemple un polymère, et elle n’est pas « disponible » pour un transfert vers un utilisateur.