Selon Grégoire Ambroselli, cofondateur de Choco, pourvoyeur de solutions basées sur l’IA pour les fournisseurs et les distributeurs, la lutte contre le gaspillage alimentaire se fera avant tout grâce au numérique.
La chaîne d’approvisionnement alimentaire fonctionne sur un modèle de « push ». Les producteurs inondent le marché, souvent sans visibilité précise sur la demande, créant un cercle vicieux de surproduction et de gaspillage. Chaque maillon de la chaîne — agriculteurs, coopératives, courtiers, exportateurs, consommateurs, etc. — dilue la responsabilité.
Le résultat ? 40% à 60% de la production alimentaire mondiale est gaspillée, selon les sources. Autrement dit, nous plantons, irriguons, fertilisons, transportons et réfrigérons le double de ce dont nous avons réellement besoin.
Le 29 septembre, des citoyens et organisations du monde entier se rassembleront pour la Journée internationale de sensibilisation aux pertes et gaspillages alimentaires, initiée par les Nations Unies. Cet événement vise à sensibiliser sur le rôle majeur du gaspillage alimentaire dans le changement climatique, deuxième contributeur après l’énergie, ainsi qu’à encourager la société à trouver des solutions.
En tant que co-fondateur d’une entreprise dédiée à l’élimination du gaspillage alimentaire, cette question me tient particulièrement à cœur. Je suis plus optimiste que jamais quant à notre capacité à résoudre ce problème, grâce à une innovation majeure et sans précédent depuis l’arrivée d’internet : l’Intelligence Artificielle (IA).
Le potentiel de l’IA
Ces 30 dernières années, l’agro-alimentaire a été dans l’angle mort d’internet et de la transformation digitale. Le manque d’outils numériques et la lente adoption des nouvelles technologies dans cette industrie laissent souvent les processus inchangés. L’arrivée de l’IA, et notamment son accessibilité au plus grand nombre, pourrait cependant bouleverser ce statu quo et transformer les méthodes de travail à chaque niveau de la chaîne d’approvisionnement.
Les agriculteurs et fabricants pourraient adapter leur production en fonction de la demande, elle-même mieux connue et maîtrisée. Chaque produit pourrait être tracké en temps réel, de la fourche à la fourchette. Ce parcours pourrait être optimisé, en identifiant les inefficacités et le gaspillage à chaque échange. Nous pourrions calculer les émissions et les coûts en temps réel. Les intermédiaires sans grande valeur ajoutée seraient identifiés, voire supprimés, afin de permettre aux aliments, par nature périssables, de voyager jusqu’à nos assiettes via le chemin le plus court. En somme, nous pourrions passer d’un marché de « push » à un marché de « pull » sans gaspillage, dicté par la demande, où l’offre correspond à cette dernière et où nous produisons selon nos besoins de consommation.
Bien que cette vision soit ambitieuse, il existe déjà des technologies puissantes qui, si elles sont adoptées, pourraient nous en rapprocher. Voici cinq domaines clés où l’IA pourrait transformer la gestion des denrées alimentaires.
Redistribution alimentaire L’IA et les nouvelles technologies permettent aux restaurants de connaître leur perte et de rediriger leurs surplus vers des associations ou de proposer aux consommateurs des produits à prix réduit, évitant ainsi l’envoi d’aliments encore comestibles à la décharge.
Prévision de la demande Traditionnellement, prévoir la demande avec précision nécessite des analyses fastidieuses voire impossibles. Aujourd’hui, l’IA peut analyser des données de vente, consulter les prévisions météo et identifier les tendances pour dire exactement combien de tomates seront nécessaires à Paris en mars prochain et ainsi améliorer la précision de la prise de décision aux achats. Cette capacité à mieux anticiper la demande réduira la surproduction.
Gestion des stocks et des commandes Les systèmes de gestion de stocks et de gestion des commandes basés sur l’IA permettent de réduire les erreurs humaines et d’optimiser les niveaux de réapprovisionnement, afin de commander la juste quantité au bon moment et éviter les erreurs.
Excellence opérationnelle Des capteurs basés sur l’IA peuvent surveiller les conditions de stockage et de transport en temps réel pour prévenir les pertes et même prédire la durée de conservation des produits en route vers leur destination. Des géants comme Amazon ont déjà adopté ces solutions pour minimiser le gaspillage.
Rationaliser le contrôle qualité Dans le secteur des fruits et légumes, le gaspillage est amplifié par des normes esthétiques arbitraires. L’IA peut remplacer les contrôles manuels par des inspections numériques, réduisant ainsi les 20 milliards de kilos d’aliments « moches » jetés chaque année.
Vers un avenir durable
Nous faisons déjà face à des défis sans précédent liés au changement climatique. D’ici 2050, nous devrons nourrir une population mondiale de 10 milliards de personnes. Ce défi, associé aux inefficacités actuelles de notre système alimentaire, pourrait avoir des répercussions sur la pauvreté, l’égalité et la stabilité politique. Cela en fait une urgence humanitaire.
L’IA est une alliée incontournable pour répondre à ce défi existentiel. Si elle est rendue accessible au plus grand nombre et si elle est vouée à simplifier et améliorer nos vies quotidiennes, plutôt que de rajouter des problèmes, alors notre industrie agro-alimentaire doit être à l’avant garde de l’adoption de l’IA dans sa mission de nourrir la population.
Que l’on fasse partie des 1,2 milliard de personnes travaillant dans l’industrie alimentaire ou que l’on soit simplement un consommateur, nous avons tous un rôle à jouer pour réduire le gaspillage. Saisissons cette opportunité pour un changement durable, dès aujourd’hui.