Serait-ce l’angle mort de la politique de gestion des risques naturels ? Si les chercheurs assurent l’observation au long cours des profondeurs de la terre, la surveillance et la gestion d’une éventuelle crise reposent sur un magma d’acteurs, à la coordination nébuleuse. Le CNRS émet des recommandations d’organisation en cas d’événement majeur, dans l’ouvrage « Quand la Terre tremble », conçu pour secouer les ministères.
125 équivalents temps plein répartis dans 13 organismes de recherche, rattachés à 8 tutelles ministérielles. Et un lien entre scientifiques et acteurs de la protection civile qui reste à consolider. En termes policés, on parle de « dispersion de la chaîne du risque tellurique » (séisme, tsunami, éruption volcanique, glissement de terrain). Eric Hulmer pointe ouvertement une « organisation inexistante ou alors, gazeuse … » Le directeur adjoint scientifique de l’Institut national des sciences de l’univers (Centre national de la recherche scientifique, CNRS) appelle à la création d’un service d’« urgentistes des risques telluriques, opérationnels 24 heures sur 24 toute l’année. Celui-ci ne se montera pas avec une aide financière ponctuelle. La solution est à trouver dans les ministères, avec l’appui de l’Agence nationale de la recherche ».
Zone grise
Eric Hulmer a copiloté l’ouvrage collectif « Quand la Terre tremble »1, rédigé par des volcanologues, sismologues et géophysiciens. Cet état des lieux sur les risques telluriques en France, leur suivi et la prévision des catastrophes fut motivé par la condamnation en 2012 de sept sismologues italiens2 pour homicide par imprudence, après le séisme qui ravagea l’Aquila en avril 2009. Dans une discipline régie par la probabilité – non la prédiction – la communauté scientifique française risque-t-elle d’être incriminée en cas d’événement majeur ? Elle pilote bien la recherche et l’observation sur le temps long des profondeurs de la terre. Mais en situation de crise, le manque de moyens et de coordination la place dans une « zone grise, d’inconfort », juge le professeur.
Le CNRS coordonne aujourd’hui une demi-douzaine de partenaires3 autour de l’essaim de séismes, actif depuis mai 2018 à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Mayotte, une zone en cours de cartographie par le navire Marion-Dufresne. Mais « lancer un appel d’offres pour louer une barque devant déposer des sismographes dans l’eau a pris quatre mois : c’est beaucoup trop long », s’impatiente Eric Hulmer.
Arrière-plan
En cas de séisme en métropole, c’est le Commissariat à l’énergie atomique qui assurerait la surveillance opérationnelle. Outre-mer, les observatoires volcanologiques (et telluriques aux Antilles) assument de fait la surveillance et l’alerte – qui ne figurent pas dans les missions statutaires de ces structures, sous-dotées en personnel. « On ne part pas de rien sur ces territoires à risque, note le sismologue Bertrand Delouis. C’est moins clair en métropole. » Où le dernier séisme d’importance (Arette, Pyrénées-Atlantiques) remonte à 1967 et le dernier événement meurtrier (qui détruisit Lambesc, Bouche-du-Rhône) à 1909. Peu fréquents, les phénomènes telluriques passent à l’arrière-plan. Le CNRS consacre 0,4% de son budget aux risques telluriques. Soit 0,15% du coût de reconstruction de l’Aquila. Pour Claude Jaupart, volcanologue à l’Institut de physique du globe, « le jour où il y aura un gros séisme, on regrettera de ne pas avoir investi assez ».
1 : CNRS Editions, en librairie le 2 mai. 2 : condamnés en première instance à six ans de prison puis relaxés en appel 3 : Bureau de recherches géologiques et minières, Institut de physique du globe de Paris, Institut géographique national, Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, ministères de la Transition écologique et solidaire et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.