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BIODIVERSITÉ

Réussir la compensation écologique

PUBLIÉ LE 1er JUILLET 2014
LA RÉDACTION
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1Soigner l'évaluation deS impactS Compenser les atteintes à la nature d'un projet d'aménagement impose d'identifier et d'anticiper ces dommages. C'est dire l'importance de l'étude d'impact, une étape encore mal appréhendée par les maîtres d'ouvrage. Compenser n'est pas une décision isolée. C'est le troisième acte d'une pièce qui commence par éviter, puis réduire les impacts d'un projet sur l'environnement. Ce déroulement, ou séquence ERC (éviter, réduire, compenser), a été introduit dès la loi de 1976 sur la protection de la nature. Après trente ans de sommeil, l'UE, les lois Grenelle, puis la réforme de l'étude d'impact l'ont consolidé juridiquement. En 2012, une doctrine nationale a émergé, mise depuis à l'épreuve du terrain. Que dit-elle ? Que le projet d'un maître d'ouvrage devrait présenter, au regard des enjeux en présence, « le moindre impact sur l'environnement à un coût raisonnable ». Vécue par certains comme une pure contrainte administrative, cette nouveauté bouscule la conception classique d'un projet. Lotissement en zone humide, aménagement sur un cours d'eau, route coupant une forêt : le maître d'ouvrage public ou privé doit considérer très en amont les impacts sur la biodiversité de son futur aménagement. « C'est-à-dire dès l'esquisse ou l'avant-projet sommaire, et dès l'examen de ses variantes possibles », prescrit Brice Quenouille, directeur de Biositiv. Créée par deux filiales de Bouygues Construction et l'association Noé Conservation, cette structure accompagne le groupe sur tout ce qui a trait à la biodiversité. « Lorsqu'on hésite entre des tracés ou variantes, poursuit-il, il faut opter pour le moins néfaste : c'est l'étape d'évitement. Ensuite, il faut réduire les impacts n'ayant pu être éliminés, par exemple pour une route avec des passages à faune. Ce n'est qu'à partir de là qu'intervient la logique de compensation des dommages résiduels, du moins si les inventaires faune-flore réalisés ont révélé des enjeux. » Ces premiers inventaires sont donc déterminants. En Bourgogne, la société Carrière de Sainte-Magnance le sait. Pour un récent projet d'extension, elle les a fait réaliser par l'Office national des forêts. Une espèce protégée de renoncule ayant été détectée dans une mare du périmètre, l'ONF a prescrit dans l'étude d'impact des mesures compensatoires visant à transférer la plante vers des milieux favorables. Mais il l'a fait après l'étude des possibilités d'évitement de la destruction de la mare, ce qui s'est révélé impossible. Le dossier, bâti autour d'une convention signée entre le carrier, l'ONF et le conservatoire botanique, est finalement passé auprès du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), pourtant réputé tatillon. Cette commission administrative à caractère consultatif, juge de paix sur les espèces protégées, est rarement contredite par les arrêtés préfectoraux d'autorisation qui s'ensuivent une fois son avis rendu, toujours assorti de réserves. C'est dire si le dossier de demande de dérogation à l'interdiction de détruire des espèces protégées, qui lui est transmis dès lors qu'elles ont été détectées par l'inventaire, est à préparer avec soin. « À ce niveau, travailler main dans la main avec la Dreal et recouper des informations est déterminant », glisse Brice Quenouille. « Il faut y mettre de l'entrain, des moyens, s'entourer d'écologues, de préférence locaux », complète Salvador Nunez, directeur opérationnel d'ASF-Vinci Autoroutes. Pour l'élargissement de l'A9 entre Perpignan et l'Espagne, Vinci a planché très tôt sur le programme de restauration des milieux, « en fait, dès que nous avons obtenu en 2009 le feu vert de l'État pour ces travaux, poursuit sa collègue Christine Harriet, qui en a suivi la genèse. Pour compléter ce dossier CNPN, des inventaires complé mentaires ont été effectués par le bureau d'études Ecotone et le Groupe ornithologique du Roussillon. Il faut prévoir large : une année d'inventaire pour couvrir le panel d'espèces, en tenant compte du fait qu'elles n'apparaissent qu'à certaines périodes. Les allers-retours avec la Dreal et les services instructeurs prennent aussi du temps. La demande de dérogation a été transmise en 2011 et les premiers travaux entamés fin 2013. » Plus de deux ans : cela paraît long, c'est pourtant la règle. « C'est le bon timing, confirme Philippe Lévêque, membre de la commission flore du CNPN. Plus on anticipe, mieux c'est. Nous sommes attentifs à ce que le maître d'ouvrage présente honnêtement les enjeux et démontre dans son dossier de dérogation l'efficience des impacts du projet. » Les écueils à éviter ? « Minimiser ces impacts ou être trop technocratique : certains bureaux d'études se noient dans la méthodologie et pondent des usines à gaz. » Le record fut ainsi battu par un dossier d'une LGV pesant… 17 kg ! À croire que la hiérarchisation des enjeux reste un souci majeur. La prise en compte des impacts indirects et de ceux qui interfèrent avec un projet voisin, également. « Or, ils peuvent être plus importants que les impacts directs. Pour la LGV Tours-Bordeaux, ces impacts indirects touchent une cinquantaine d'espèces protégées. À ce niveau, le CNPN est dépassé : pour bien faire, il faudrait une mission de suivi particulière. » Espèce par espèce (décrite, cartographiée), habitat par habitat (en pensant à leur connexion dans une logique de trame verte), l'évaluation des impacts doit aussi tenir compte du phasage des travaux. Et différencier les impacts du chantier de ceux liés à l'exploitation du futur site. Un diagnostic en finesse donc, qui influe s'il est bien fait sur la nature des mesures prises. Et peut révéler des limites : pour certains projets d'a mé na-gement, par exemple ceux portés par des communes coincées entre deux réserves naturelles, les espoirs de compenser à proximité les impacts d'une future ZAC sont minces. « Mais cela, nous l'entendons, nous tenons compte de telles contraintes », rassure Philippe Lévêque. Les dossiers les plus lacunaires émanent, selon lui, de maîtres d'ouvrage publics, ports autonomes en tête. Se contenter de bonnes intentions ou d'une somme d'inventaires ne suffit pas. C'est dès ce stade que le maître d'ouvrage doit apporter des solutions et esquisser un programme de compensation. C'est là que le bât blesse. « Pour être crédible, il faut être en mesure de déterminer où et comment se fera la compensation, précise Christine Harriet, et pour cela, même si c'est tôt, avoir déjà trouvé ou visé des parcelles. Pour l'A9, Safer et Conservatoire d'espaces naturels nous ont aidés à prospecter. Des zones pertinentes pour compenser nos impacts ont été trouvées à proximité du site, tel que la doctrine l'impose. » Milieux ouverts, arides, à l'abandon, leur restauration débute et se poursuivra toute l'année. 2 Déployer des mesures compensatoires Pour calibrer ces actions écologiques afin qu'elles maintiennent, voire améliorent la qualité environnementale des milieux naturels, quatre maîtres mots s'imposent : pérennité, faisabilité, additionnalité et ancrage territorial. En France, les premières mesures de compensation remontent à 2006. Philippe Thiévent, directeur de CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts créée à cette époque pour développer l'offre de compensation, se souvient : « Il leur manquait alors une dimension fondamentale, la pérennité, l'ancrage dans la durée ». C'est que la biodiversité ne se pense pas à court terme. Même si la législation n'impose pas de durée minimale d'engagement, les aménageurs commencent à s'adapter. L'an dernier, une filiale d'Eiffage et de Sanef s'est engagée à compenser durant toute la durée de sa concession – soixante ans, un record – les impacts de l'A65 Langon-Pau. La liste des espèces et milieux détruits a ainsi orienté la nature des mesures prises. Pour rembourser sa « dette écologique », l'aménageur a fait appel à CDC Biodiversité. L'opérateur, qui serait bien placé, si la future Agence de la biodiversité le lui demandait, pour tenir le registre national des actions de compensation aujourd'hui dispersées et sans visibilité, a réalisé un travail d'enquête foncière et œuvré auprès de propriétaires pour sécuriser le long du parcours 1 372 hectares de milieux naturels, soit l'addition des surfaces favorables aux espèces protégées touchées par la construction de l'A65 (187 ha pour le vison d'Europe et la loutre, 120 pour l'élanion blanc, 30 pour la scirpe des bois, etc). C'est sur ces « zones de compensation » que s'appliquent les mesures évoquées. Surcoût pour le projet : 15 %. « Un coût à anticiper », avertit Philippe Thiévent, conscient qu'il n'y a « rien de pire pour un maître d'ouvrage que de le découvrir sur le tard, ce qui peut conduire à mettre en péril le projet. » Il ajoute que la faisabilité de la mesure doit être travaillée en prouvant que « sa mise en œuvre est possible techniquement, financièrement et foncièrement via du rachat, de la location à long terme de terrain ou du conventionnement avec un propriétaire, débouchant généralement sur des contrats de gestion avec des forestiers ou agriculteurs ». Nulle pioche possible dans un catalogue d'actions toutes faites. Le sur-mesure règne, mais trois profils d'actions néanmoins se dégagent : la restauration d'habitats (mare, prairie) de même nature que ceux affectés ; la préservation de sites existants, et la gestion conservatoire d'espaces naturels de qualité mais soumis à des pressions variées, ou bien la création/reconstitution d'habitats sur un site où ils n'existaient pas à l'origine. « Pour les deux premiers, nous commençons à maîtriser. De bonnes pratiques existent », observe Brice Quenouille chez Biositiv. Il peut s'agir de reconstituer des zones humides favorables à des espèces, en compensation de celles détruites. Même si cela se fait à proximité, assureront-elles les mêmes fonctions écologiques ? Pas si sûr, car tout dépend de l'espèce et des caractéristiques du territoire. Dans le Tarn, c'est en tout cas par ce type d'action que le conseil général veut compenser les impacts du barrage de Sivens, un projet qui suscite localement une levée de boucliers. En jeu, 94 espèces protégées. Et une note salée : 1 million d'euros. Si le projet passe, les travaux de compensation pourront être menés avant, pendant ou après (comme c'est souvent le cas) ceux du barrage. Ratio appliqué : 1,5 fois la surface détruite (pour 12 ha engloutis, 18 ha recréés sur neuf zones en cours d'acquisition). « Dans d'autres cas, les Dreal fixent un taux bien plus élevé. Plus les espèces sont sensibles, plus il grimpe pour atteindre cinq à dix », prévient Brice Quenouille. Le dernier type d'action, la reconstitution, est plus rare. Modèle du genre : la replantation sur des berges nantaises de l'angélique des estuaires, qui a mobilisé le Conservatoire botanique de Brest. « Il dispose d'un vrai savoir-faire et nous a aidés pour un autre transfert, celui de plantes rares poussant sur une digue bientôt détruite, rebondit Audrey Hemon, ingénieur environnement au syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel. Nous compensons aussi la destruction, à la suite des travaux hydrauliques, de 11 ha de roselières où nichaient des oiseaux protégés et en recréons plus du double à plusieurs endroits. » Le périmètre de ces sites de compensation doit être validé par les services de l'État (Dreal, DDTM). « En parallèle à leur acquisition, il faut donc é ga-lement y réaliser des inventaires pour déterminer leur état initial et leur trajectoire écologique », insiste Christine Harriet, chez Vinci. De fait, une mesure ne se décide pas seul, mais résulte d'un accord et d'un dialogue parfois tendu entre acteurs, dont la liste s'allonge en fonction des enjeux : Safer pour l'estimation-animation foncières, bureaux d'études et associations pour les diagnostics, chambres d'agriculture, conservatoires d'espaces naturels, fédérations de pêche ou gestionnaires forestiers pour la concertation, le calibrage, le chiffrage et la mise en route opérationnelle des mesures… Dans les conseils généraux, grands prescripteurs de travaux routiers, ces mesures sont le plus possible gérées en interne. Le Morbihan prend même les devants et projette de réserver des parcelles de compensation sur ses espaces naturels sensibles (ENS). Ce qui irait dans le bon sens, celui d'une meilleure complémentarité (ou addition-nalité) entre ces mesures encore jeunes et des actions publiques plus rodées, aptes à pérenniser leurs effets. Enfin, deux autres tendances s'imposent. D'un côté, dépasser le raisonnement par surface et mesurer pertes et gains en unités de qualité d'habitat, par hectare et par enjeu. Une méthode testée avec succès sur le projet de contournement ferroviaire Nîmes-Montpellier. De l'autre, la compensation stimulée non par la demande mais par l'offre. « Une approche testée sur la plaine de la Crau, souligne Philippe Thiévent. La réhabilitation de cette steppe de galets a généré des crédits d'actifs naturels qui peuvent être employés par les maîtres d'ouvrage pour compenser de proches impacts. Cinq sont sous contrat, 40 % des 357 ha sont réservés mais il reste de la place. » Prochaine étape : dupliquer le système ailleurs. « Cela se fera en lien avec l'amélioration de l'habitat du grand hamster d'Alsace », conclut-il, sans révéler plus de détails. 3 Assurer le suivi Pour évaluer l'efficacité des mesures compensatoires, un suivi dans les règles de l'art s'impose. Fin 2011, un décret gravait dans le marbre l'obligation de « vérifier le degré d'efficacité, la pérennité [des] mesures [compensatoires] sur une période donnée ». Avant cela, page blanche : les retours d'expérience manquent. C'est là encore en amont, dans les dossiers réglementaires, que sont formulées, généralement par les bureaux d'études qui en ont la charge, les premières préconisations à partir desquelles les services de l'État tranchent. La période de suivi varie de cinq à trente ans selon le projet, la durée de ses impacts, les objectifs fixés. Suivis floristiques annuels prescrits sur trois à six ans, avec bilan d'étape transmis aux Dreal… Une constante : la responsabilité du suivi revient au maître d'ouvrage, même s'il en transfère la gestion à un prestataire. La doctrine ajoute que « ces programmes peuvent être mutualisés, notamment pour de petits projets aux enjeux proches, comme ce fut le cas pour des parcs éoliens en région Centre ». Par souci éthique de ne pas être juge et partie, il est rare que ce prestataire soit celui qui a conçu et/ou exécuté ces mesures. Objectivité, rigueur scientifique sont des qualités appréciées dans les marchés passés. « Mais qui ont tendance à calquer ceux des travaux publics alors qu'en génie écologique, la logique n'est pas la même, nous recréons à partir d'une dynamique en place depuis des siècles », indique Patrice Valantin, chez Dervenn. Dès lors, l'incertitude est un paramètre à intégrer pour interpréter les résultats. Car s'il est possible de recréer une mare, garantir la biodiversité qu'elle accueillera ne l'est pas. « En juger est plus difficile encore lorsqu'il s'agit d'actions expérimentales comme la transplantation d'espèces », pointait lors d'une journée technique Séverine Hubert, ingénieure au Cerema Centre-Est. En plus de conventions passées avec des conservatoires d'espaces naturels ou botaniques, un comité d'experts peut être appelé en renfort. Livrer des données brutes ou synthétisées ne suffit pas, il faut les analyser, procéder à une autoévaluation critique. Le recours à des indicateurs s'avère ainsi précieux, par exemple pour évaluer comment évoluent les populations d'espèces cibles après la mise en œuvre de la mesure, ou bien les fonctionnalités d'une zone humide restaurée. Surtout, ce suivi peut conduire à moduler et améliorer les mesures prises. Des marges de manœuvre sont donc à prévoir, côté budgétaire notamment. Enfin, il convient de tirer des leçons de ces suivis, de valoriser les connaissances produites. Afin de boucler la boucle et, qu'à terme, elles servent à leur tour d'appui, d'aide à la décision.
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