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BIODIVERSITÉ

Petites bêtes contre grands chantiers

PUBLIÉ LE 1er MARS 2015
LA RÉDACTION
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Le magazine pour les acteurs et décideurs du développement durable et des métiers de l’environnement.
C'est l'histoire de David contre Goliath, version frêle nature contre béton armé. Partout en France, les milieux naturels et les cohortes d'espèces qui en dépendent suscitent un regain d'intérêt, cristallisent les oppositions, sont érigés en zones à défendre et réussissent à faire vaciller ou sombrer des projets d'équipements ou d'infrastructures. Difficile de ne pas penser au barrage de Sivens (Tarn) ou au Center Parcs de Roybon (Isère), deux dossiers brûlants sous les feux de l'actualité. Ils sont loin d'être les seuls. En 2014, France Nature Environnement réussit à stopper le chantier de l'autoroute A 304, dans les Ardennes, qui traversait un site Natura 2000. Son redémarrage fut lié à une remise à plat des mesures environnementales au profit de quatre espèces protégées, dont l'en gou levent d'Europe. Fait nouveau : de modestes projets sont eux aussi concernés. Dernièrement, dans les Yvelines, c'est le banal déménagement d'une PME du tertiaire qui fut contesté après la découverte d'une espèce protégée, le crapaud calamite, sur le terrain convoité, pourtant situé dans la zone industrielle de Rosny-sur-Seine. En Provence, près d'Istres, un projet de centrale photovoltaïque sur un site abritant des oiseaux dont l'aigle de Bonelli et l'outarde canepetière vient d'être retoqué. À Nîmes, la construction d'une station d'épuration bute sur une rencontre fortuite avec des lézards. Et non loin, c'est en érigeant un viaduc que Réseau ferré de France a débusqué d'autres reptiles rares en ville, les geckos, et s'en est bien tiré en sanctuarisant leur habitat. « Ce qui prouve que la biodiversité urbaine, souvent méconnue car peu remarquable, est riche et ses habitats plus diversifiés qu'on ne le croit. Dès lors qu'ils envisagent des travaux, les maîtres d'ouvrage n'ont d'autre choix que de considérer très en amont les impacts sur la biodiversité de leur futur aménagement, au risque de s'exposer à des recours de toutes sortes », prévient Thomas Litzler, chargé de mission biodiversité au conseil général des Yvelines. Depuis les lois Grenelle, puis la réforme de l'étude d'impact et la consolidation de la doctrine nationale ou séquence ERC (éviter, réduire, compenser), certains petits projets de ZAC ou lotissements n'échappent plus à la règle, jusque-là plus souple dès lors qu'il s'agissait de logements. Depuis deux ans, les demandes de dérogation pour destruction d'individus ou altération d'habitats d'espèces protégées en lien avec des projets de lotissement affluent. On voit même des éco-quartiers, comme celui qui pousse sur l'Île-Saint-Denis, a priori plus vertueux, passer à confesse et consulter, fin 2014, le public au sujet de dommages infligés aux aires de repos et de reproduction d'oiseaux ! « Avant que des habitats et leurs cortèges d'espèces ne soient touchés, l'évitement ou le choix d'une alternative géographique reste la priorité, insiste Thomas Litzler. L'enjeu étant important, notre département lance un service d'accom pa gnement des maîtres d'ouvrage pour qu'ils intègrent la sensibilité écologique du secteur du projet et désamorcent les oppositions à venir. » Nombreux à veiller au grain, ces opposants, des associations environnementales ou de riverains, n'hésitent plus à user des recours juridiques. Direction le Cotentin où Yves Grall, à la tête de Manche Nature, revient sur ce travail de vigie : « Par région et à l'échelle nationale, des listes d'espèces bénéficiant d'une protection sont fi xées par arrêté ministériel et régulièrement complétées. Des listes rouges et inventaires sans portée réglementaire existent aussi. Nous en tenons compte, mais ne nous limitons pas à cela. D'un point de vue biologique, toutes les espèces se valent : les plus rares, les patrimoniales, les courantes qui peuvent être très discrètes, et les espèces “parapluie” qui permettent, de par l'étendue de leur territoire, d'en protéger d'autres. Typiquement, les batraciens en “couvrent” d'autres, car les mares où ils vivent ne peuvent être remblayées sans autorisation. » Chronophage, interminable, la voie procédurière a ses limites. Et de citer le cas d'un golf dont le green avait été étendu sur une zone humide bardée de classements (Znieff, Natura 2000, Ramsar), refuge d'une trentaine d'oiseaux et plantes protégés, malgré les poursuites engagées. « Une collectivité locale étant dans la boucle du projet, plusieurs droits se juxtaposent. La procédure se poursuit devant le juge administratif. Nous exigeons depuis des années une remise en état du site », ajoute Delphine Chevret, la juriste qui exerce aux côtés d'Yves Grall. Lui en a vu d'autres, à Cherbourg notamment. Il y a cinq ans, le goéland brun nichait là en masse, jusqu'à ce qu'une entreprise édifie un terminal charbonnier sabotant leur habitat à la plus mauvaise période (nidification) : « Le délit fut puni – 3 000 euros d'amende –, mais les oiseaux ont fui et le mal est fait, pour un terminal aujourd'hui à vendre », peste Yves Grall. Contre-pied classique, les opérateurs du site n'hésitent pas à dire que cette année de retard liée aux procédures a plombé son lancement et précipité son échec… Mécanique bien huilée, la dialectique opposant écologistes et aménageurs se nourrit d'arguments massues, usés jusqu'à la corde. Quand l'un défend le crapaud calamite et prétend faire respecter la réglementation, l'autre répond activité économique et met dans la balance les emplois créés. Un dialogue de sourds, un étrange match que les pouvoirs publics peinent à arbitrer, l'affaire se terminant de plus en plus souvent devant le juge. Lorsqu'elle monte jusqu'au Conseil d'État, le droit que réclame l'aménageur de déroger à la directive Habitats est inspecté à la loupe. Même s'il démontre que la destruction d'espèces ne nuit pas à leur conservation, l'intérêt économique de son projet ne suffit plus en général à justifier un tel impact. Plateforme logistique en Seine-Maritime, projet de scierie industrielle dans la Nièvre, etc. : la liste des projets d'équipements retoqués par les juges, faute de « raisons impératives d'intérêt majeur », n'en finit plus de s'allonger. Le compromis est-il possible ? « L'entreprise nous a reçus, mais les services de l'État n'étant pas à nos côtés, en trouver un fut impossible », se souvient le naturaliste Cyril Girard. Dans la plaine de La Crau, son association, Nacicca, a fait plier, il y a cinq ans, le géant de l'ameublement Ikea. Du Le scarabée pique-prune (celui-ci est doté d'un émetteur pour le suivre), et le vison d'Europe font partie des espèces menacées. moins symboliquement. « Il a été condamné à 30 000 euros d'amende pour destruction d'espèces protégées. Pourtant, son entrepôt est bien sorti de terre à coup de dérogations et sur une vingtaine d'hectares accueillant à l'origine le lézard ocellé, en voie de disparition à cet endroit, ou la diane, un papillon diurne. » Partielle, la victoire a-t-elle un goût de dérisoire ? « C'est toujours cela de gagné, poursuit-il. La sanction juridique fera réfléchir ceux qui croient qu'il est aisé de détruire la nature. » Et les emplois créés ? « De grandes promesses pour peu de créations, surtout des emplois intérimaires. » Un travers propre à la logistique, gourmande en espaces mais pourvoyeuse de postes précaires. « Ce n'est pas le cas lorsqu'une entreprise de travaux routiers ou ferroviaires tombe sur une espèce protégée et stoppe son chantier, l'incidence sur l'emploi est alors nette, renchérit un syndicaliste. Des salariés se retrouvent sur le carreau, des équipes sont réaffectées, le préfet prévoit des dédommagements mais de là à en voir la couleur. Une pagaille sans nom. » Chez les géants du BTP, on tempère : « Nous n'allons pas dire que tomber sur une espèce protégée en pleins travaux est une bonne nouvelle ! Mais nous gérons mieux qu'avant ces contretemps, cela fait partie de la vie du chantier », souligne Philippe Ravache, directeur technique à la direction de projet de Cosea, filiale du groupe Vinci. Chargée de construire la LGV Tours-Bordeaux, qui touche 220 espèces, la société a eu maille à partir avec l'une d'elles, l'ail rose (lire encadré ci-contre). Cet instant où David surpasse Goliath, Cofiroute (Vinci) et le conseil général de la Sarthe ont eu le désagrément de le vivre il y a vingt ans, lorsqu'un entomologiste découvrit sur le tracé de l'A 28 un scarabée protégé, le pique-prune. Sa seule présence, récupérée politiquement, força l'interruption des travaux pendant sept ans et mit en branle un protocole sans précédent. « Ce coléoptère avait élu domicile dans les troncs de vieux arbres, éclaire Samuel Jolivet, directeur de l'Office pour les insectes et leur environnement (Opie). Son habitat est si spécifique qu'il ne se retrouve que de façon très isolée, car il colonise exclusivement de grandes cavités d'arbres à terreau et sa capacité de déplacement est réduite. Un seul arbre peut abriter des générations. C'est donc un bio-indicateur fiable de la qualité des milieux, au même titre que le lucane cerf-volant, moins rare mais qui se nourrit aussi de bois mort et sert à évaluer la valeur biologique des forêts. » Fait nouveau à l'époque, la redécouverte du scarabée enclenche de grandes manœuvres et partenariats en tous genres pour trouver un tracé de moindre impact, transplanter les fûts d'arbres à cavités et suivre sur dix ans les pique-prune concernés à l'aide de télé-émetteurs miniatures. En s'entourant bien, Cofiroute, qui a englouti un million d'euros dans l'affaire, a redoré son image et fait valoir son sens de la gestion conservatoire. Il n'empêche, beaucoup reste à faire en matière de rattrapage environnemental et de restauration de continuités écologiques pour des espèces malmenées. C'est tout l'enjeu des trames verte et bleue. Pour être cohérentes, elles doivent tenir compte de la présence d'espèces protégées et non protégées, mais aussi de leur mobilité, de leur aire de répartition et du maintien pour leur survie d'habitats – de stations disent les experts – favorables à leurs échanges et besoin de dispersion. Un projet d'amé na gement peut donc porter atteinte à plusieurs espèces par différents biais, en fragmentant leurs habitats permanents, en dégradant pour les migrateurs leurs lieux de halte ou de nidification, ou bien des espèces hôtes dont elles dépendent. De fragiles papillons, l'azuré de la croisette et l'azuré des mouillères, sont ainsi menacés tant par le drainage des marais, qui porte préjudice à la gentiane, leur plante hôte, que par la construction de sites touristiques ou de ski, qui isolent leurs milieux, réduisent les échanges et par conséquent les flux de gènes. « Plus que de focaliser sur des espèces, c'est sur leurs espaces de vie qu'il faut agir », en déduit Samuel Jolivet. Étalement urbain et extension de sites se trouvent dans le viseur. « Sur les emprises portuaires, des plantes aussi – on les néglige parfois – sont menacées par leur extension. C'est le cas des characées, petites algues présentes sur le port de Marseille. Avec la direction du site, qui nourrit un projet de darse les concernant, le dialogue est tendu », illustre Cyril Girard chez Nacicca. Au Conseil national de la protection de la nature (CNPN), juge de paix sur les espèces protégées, Philippe Lévêque confirme que les aménagements portuaires et les reboisements compen sa toires aux abords des voies ferrées posent problème. Les premiers sont multiples en raison du foncier disponible et, pour les seconds, le nombre d'espèces à suivre donne le tournis. Comment les pister, et à quel prix ? Grâce à la dynamique de réseau stimulée par la soixantaine de plans nationaux d'actions (PNA) mis en œuvre en faveur des espèces menacées, qui visent 227 d'entre elles, dont la moitié pour la flore, il y a du concret et des financements. Mais visiblement pas assez. Pour concentrer les moyens là où c'est nécessaire, une refonte des PNA est en cours. « La subvention de la Dreal contribuant à sauver de l'extinction la vipère d'Orsini, dont les seuls effectifs (13 populations) résident en Paca, vient de baisser d'un tiers, regrette Marc-Antoine Marchand, du Conservatoire d'espaces naturels (CEN) de Paca. Hier encore, on savait peu de chose sur ce reptile très sédentaire. « Nous savons qu'il périt s'il ne peut se gaver l'été d'orthoptères (criquets). La connaissance s'améliore mais la vigilance reste de mise. Nous surveillons les projets d'extension de station de ski ou de modification des PLU qui pourraient lui nuire. » En cas de projet, le meilleur filet de sécurité ne reste-t-il pas l'étude d'impact ? « À condition qu'elle ne soit pas bâclée », rétorque Renaud de Bellefon, président de FNE 65. Dans les Pyrénées, il s'oppose au développement de la station du Grand Tourmalet : « L'étude d'impact dit qu'aucun lézard de Bonnal n'a été repéré sur le chantier. En repassant derrière, nous en avons vu une dizaine ! » L'aménageur, qui a bien réagi face à cette propension de certains à chercher la petite bête, promet d'explorer toutes les solutions. Prendra-t-il exemple sur d'autres comme EDF, qui, pour réparer un barrage pyrénéen colonisé par ces mêmes lézards, les a déplacés sur un site à l'écotype proche avant de les réinstaller sur les pierres de l'ouvrage ? Contesté par certains, le déplacement d'espèces constitue une façon de gérer le problème en le contournant. « La pratique a fait ses preuves : pour la LGV Tours-Bordeaux, des millions d'amphibiens ont été déplacés », confirme Pauline Jaulin, chargée en vi ron nement chez Cosea. Quelles sont les remontées d'expérience ? Les espèces s'acclimatent-elles à leurs nouveaux milieux ? Quels enjeux soulèvent ces mouvements d'ampleur (propriété, suivi) ? Autant de questions restant pour l'heure en suspens. l
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