Ce vendredi 12 octobre, le laboratoire Criobe (EPHE/CNRS/UPVD) a présenté les résultats préliminaires d’une étude menée dans le cadre du projet « Reef services », financé par la Fondation BNP Paribas. Celle-ci a pour but d’observer les récifs coralliens et d’anticiper les conséquences des changements climatiques sur ces écosystèmes ainsi que sur les services qu’ils rendent.
« Production de biomasse comestible, protection des côtes, valeurs esthétiques et culturelles... », sont autant de services écosystémiques rendus par les récifs coralliens, expliquent les chercheurs du laboratoire Criobe (EPHE/CNRS/UPVD), qui mène une recherche sur les effets des changements climatiques sur les récifs coralliens.
Depuis un an, une équipe internationale étudie ainsi différentes espèces de coraux à Moorea, en Polynésie française. « Moorea est l’endroit idéal pour cette étude car dans le passé, de grandes variations de recouvrement de corail vivant assez surprenantes ont pu être observées. (…) Or les récifs de Moorea ont toujours su s’adapter », indiquent les chercheurs. En effet, en 2006 le recouvrement corallien atteignait environ 40% à Moorea. Après une explosion de la population d’une étoile de mer qui se nourrit de corail, et le passage d’un ouragan, en 2010, le recouvrement était de 0%. Pourtant, aujourd’hui, il atteint environ 70%. Le but de cette étude est donc « de comprendre quels seraient les effets potentiels de la perte de corail dans le futur ».
Les récifs coralliens en bonne santé protègent les côtes...
Valeriano Parravicini, maître de conférence de l’Ecole pratique des hautes études, à la tête de cette recherche, souligne que « les récifs coralliens forment le système écologique le plus riche du monde » et qu’ils « fournissent des services écosystémiques à plus de 500 millions de personnes ». Alors que leur diversité est menacée par les changements climatiques et des phénomènes de blanchissement récurrents, les chercheurs du Criobe ont tout d’abord étudié la capacité d’amortissement des vagues par les récifs coralliens : leur complexité structurelle (tri-dimensionnelle) permet d’offrir un service écosystémique de protection des côtes en amortissant jusqu’à 97% de l’énergie d’une vague.
« Nous avons étudié la vague de Taehupo’o à Tahiti et le comportement des récifs coralliens associés », explique Valeriano Parravicini. « A partir de ces calculs, nous avons développé des modèles numériques 3D et calibré un modèle mathématique avec lequel nous pouvions moduler différents paramètres : la force des vagues ou l’état des récifs », poursuit-il. Le résultat est sans appel pour les chercheurs. « La capacité des récifs coralliens à amortir les vagues dépend de leur bonne santé ». Ainsi, les simulations effectuées montrent qu’à l’horizon 2100, si nous sommes capables de conserver les coraux vivants et leur complexité structurelle, les récifs pourront maintenir leur capacité actuelle à amortir les vagues. Ce même si, dans le cas où les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas atténuées, le niveau de la mer augmente de 0,8 mètre. « Un résultat à la fois optimiste et pessimiste », estime le chercheur, « car à différents endroits du monde nous sommes en train de perdre cette complexité à cause du changement climatique et des impacts humains : cette perte entraînerait une multiplication des risques sur les côtes ». Les chercheurs vont donc également mesurer la capacité des récifs polynésiens à croître selon l’élévation du niveau de la mer.
... et fournissent de la biomasse comestible
Au-delà du service de protection des côtes, les chercheurs se sont interrogés sur le service de fourniture de biomasse comestible, rendu par les récifs coralliens du fait des interactions avec leurs réseaux trophiques. Ainsi, des prélèvements ont été effectués dans les estomacs de 20 espèces de poissons « ont permis d’identifier 244 proies, alors que les techniques classiques n’auraient identifié pas plus de 10 à 20 catégories peu précises de proies ». Valeriano Parravicini affirme ainsi que « l’effet de perte de corail peut avoir un impact sur la biomasse des poissons ». Sur les 6000 espèces de poissons associés aux récifs dans le monde, « seulement 50 se nourrissent directement de corail ». Ces analyses ADN vont donc permettre d’atteindre « un niveau de détail sans précédent », afin d’identifier précisément les espèces qui se nourrissent indirectement de corail. A terme, des prélèvements seront effectués sur plus de 200 espèces. « Elle permettra de comprendre les services de régulation rendus par les récifs, soit le contrôle de l’habitat par le réseau trophique. Et par conséquent comment le contrôle de l’habitat par le système change en fonction des changements climatiques », est-il précisé.
Ces études de cas sur les récifs coralliens de Moorea permet ainsi aux chercheurs de « comprendre les différents mécanismes pour ensuite pouvoir les extrapoler à d’autres espèces de coraux dans le monde », précise Valeriano Parravicini. Dans le cadre du projet « Reef services », d’autres services écosystémiques seront étudiés d’ici la fin du programme de recherche (trois à cinq ans). Des sociologues travaillent notamment sur la valeur culturelle et nutritionnelle des récifs coralliens.