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BIODIVERSITÉ

Sobriété : la preuve par le Covid-19

PUBLIÉ LE 26 MARS 2020
LAURENCE MADOUI
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Sobriété : la preuve par le Covid-19
Le confinement et la baisse d’activité auxquels nous réduit le coronavirus ouvriront-ils un boulevard à la sobriété ? C’est en tout cas le mode de « sortie de crise » que défendent les experts réunis par la Fondation européenne pour le climat pour une conférence de presse en ligne, le 25 mars. Les leçons tirées de la pandémie se mesureront dans les plans de relance économique et lors des prochaines conférences internationales sur la biodiversité et le climat.

La pandémie de Covid-19 ébranle « le sentiment de toute-puissance des sociétés industrielles », et le directeur de recherche au CNRS Philippe Grandcolas y voit « un moment de bascule potentiel ». Plus tranchant, son homologue à l’Inrae, Jean-François Guégan, assure que « l’on a atteint un point de non-retour, dont les décideurs doivent prendre conscience. Cette crise est un avertissement : il y aura d’autres virus, de plus fortes virulence et létalité », prévient le co-auteur d’un rapport du Haut conseil de la santé publique sur « les maladies infectieuses émergentes » (2011).

Tremplins à transmission

Conséquence de la disette à laquelle est soumise la recherche à l’échelle mondiale : « On peine à trouver le réservoir du coronavirus car les chauves-souris et mammifères tropicaux susceptibles de l’héberger sont mal connus, tout comme leurs écosystèmes qui eux-mêmes sont évolutifs, observe Philippe Grandcolas. Paradoxe : nos sociétés qui dépendent du vivant réduisent, année après année, les moyens alloués à son étude. »

Mais le processus qui a mené à la pandémie est bien établi : la raréfaction des espaces naturels conduit les animaux survivants à se réfugier en zone agricole périurbaine, transmettant des virus au bétail et aux éleveurs. « On a créé des tremplins permettant aux microorganismes de circuler de leur zone naturelle aux sites d’élevage, où ils mutent et produisent des recombinaisons avant de gagner nos systèmes urbains, décrit Jean-François Guégan. De véritables réacteurs à nouvelles épidémies se sont ainsi constitués, notamment en zone tropicale – les grippes aviaires ont toujours pour origine l’Asie du Sud-Est. »

Désintensifier la mondialisation

Aleksandar Rankovic, écologue à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), pointe les revers du système agroalimentaire industriel et mondialisé, « cause majeure de perte de biodiversité, contributeur significatif au réchauffement climatique et directement lié aux dernières pandémies grippales et à coronavirus. Il serait bénéfique de désintensifier les élevages, ce qui suppose de consommer moins de viande et de la produire autrement. Il faudrait aussi revoir les chaînes globales d’approvisionnement, la quête d’optimisation favorisant le moins coûtant, ce qui pousse à la surspécialisation des bassins de production où s’affaiblissent la biodiversité et la capacité de résilience ». Philippe Grandcolas défend aussi les circuits courts, « vertueux en termes de carbone et de bon fonctionnement des écosystèmes mais aussi freins à l’introduction d’espèces exotiques – sujet loin d’être anodin ».

Relocalisation et autonomie ne signifient pas autarcie. « Il ne s’agit pas de cesser les échanges mais de réfléchir à la qualité de ce qu’on échange, pose Aleksandar Rankovic. Les produits régionaux de qualité sont à privilégier par rapport aux commodités agricoles mondialisées peu transformées localement et à faible valeur ajoutée. »

Leçons pour une rémission

Le responsable de la gouvernance internationale de la biodiversité à l’IDDRI est frappé par l’aptitude des sociétés, « des individus aux pouvoirs publics, à adopter des mesures radicales en cas de risque systémique – sanitaire dans le cas présent. Il en découle une sobriété matérielle et énergétique dans les transports, qui est aussi requise face au réchauffement climatique et à la perte de biodiversité. L’épisode actuel nous montre qu’une action collective de grande ampleur est possible ».

Elise Buckle, directrice de l’ONG Climate and Sustainability, plaide pour un investissement massif dans l’agriculture durable et la forêt pour « facilement réduire d’un tiers les émissions globales de gaz à effet de serre ». Elle suggère que les conférences mondiales sur la biodiversité (décalée après avoir été programmée en octobre en Chine) et le climat (dont la tenue en novembre en Ecosse est incertaine) se déroulent partiellement par visioconférence, sans attendre « le gigantesque embouteillage du calendrier en 2021 ».

Le report des rendez-vous internationaux serait presque un mal pour un bien, pour Aleksandar Rankovic. « Sur la biodiversité, beaucoup de sujets techniques auront pu mûrir et la mobilisation de la société civile être réactivée. Surtout, le débat politique se sera imprégné des leçons de la crise actuelle. Les plans de relance qui seront définis dans les prochains mois devront injecter de la sobriété dans nos modes de développement et non aggraver les causes sous-jacentes de la crise sanitaire actuelle. »
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