Linda Lescuyer, directrice énergie d'Interxion France. Crédits : Interxion
Le secteur du numérique représente plus de 3 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, dépassant celles du secteur aéronautique. Linda Lescuyer, directrice énergie d’Interxion France, évoque la nécessité d’améliorer l’efficience énergétique de l’industrie du numérique.
L’empreinte carbone du secteur du numérique est majoritairement due à la production des terminaux numériques, aux réseaux télécoms et, contrairement aux idées reçues, les data centers ne représentent que 25 % de cette valeur.
L’Europe ambitionne de devenir le premier continent à atteindre la neutralité climatique d’ici 2050, ce qui signifie retirer chaque année autant de carbone de l’atmosphère que ce qui est émis par l’activité humaine. Cet objectif repose en partie sur les industriels. Mais concrètement comment y arriver ?
Planter des arbres ne suffira pas pour atteindre la neutralité carbone
La solution pour la séquestration du CO2 la plus souvent citée est la création de puits de carbone, en s’appuyant sur la nature (forêts ou océans) afin de permettre sa séquestration naturelle. Par exemple, un arbre, lorsqu’il pousse, capte le carbone qui est absorbé par ses feuilles. Toutefois, son potentiel de capture ne sera pleinement atteint qu’au bout de 30 ans en moyenne, le temps de son développement. Planter des arbres sur toute la surface de la terre ne suffirait pas non plus à absorber la totalité des émissions carbone actuelles. Il paraît donc peu adapté de miser uniquement sur la plantation d’arbres pour neutraliser nos émissions.
Nous devons commencer par réduire nos rejets de gaz à effet de serre de façon drastique avant toute chose. C’est ce que souligne la Commission Européenne, dans son “cadre d’action en matière de climat et d’énergie d’ici à 2030” adopté en 2014 : elle estime qu’il faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 80% par rapport à 1990 avant de pouvoir espérer compenser les 20% restants par des puits naturels (arbres, herbiers maritimes par exemple).
La production d’électricité renouvelable ne suffira pas non plus pour décarboner notre économie. Au-delà de leur efficacité réelle, en dépit du fait qu’elle n’émette pas directement de carbone, le cycle de vie (production, transport, construction, etc.) des énergies renouvelables induit des émissions réelles, qu’il s’agisse des éoliennes, des barrages ou des panneaux solaires.
Dans un monde idéal, c’est à l’échelle d’un territoire que se travaille la neutralité carbone pour compenser les émissions locales et assurer une meilleure maîtrise des initiatives. Certains projets innovants et significatifs émergent, à Marseille par exemple, avec le Prométhée-Med, qui vise à protéger les herbiers de Posidonie dans le cadre du Label bas-carbone Français, une démarche qui devrait permettre aux entreprises de compenser localement leurs émissions.
Concentrer les services numériques dans des data centers experts
Développement de services numériques, IA, cloud, explosion de la consommation des vidéos… autant d’éléments qui impactent les besoins en stockage de données. Une récente étude menée sur la Gravité des données indique que le volume de données devrait être multiplié par 10 tous les 6 ans, ce qui se traduit inéluctablement par une augmentation du nombre de serveurs et des surfaces de data centers nécessaires.
Mutualiser services et ressources pour un grand nombre de serveurs et de clients différents dans des data centers de colocation experts permet la mise en œuvre de solutions techniques optimisées et plus performantes. À en croire un rapport de l’Agence Internationale de l’Énergie, la demande en énergie des data centers devrait stagner en 2022 – malgré une augmentation de 60% de la demande de services - si les tendances actuelles sur l’efficacité des équipements et des infrastructures de data centers se poursuivent.
Importance du PUE
Un indice, unanimement reconnu dans la profession, permet de mesurer l’efficience énergétique d’un data center, il s’agit du PUE (Power Usage Effectiveness). On constate de fait un PUE moyen autour de 2 pour des salles anciennes non optimisées contre des PUE compris entre 1,2 et 1,5 pour des infrastructures récentes et spécialisées dont certaines permettent une économie de 40 à 80 % sur l’énergie consommée.
Pour limiter l’empreinte carbone du numérique, ces efforts doivent concerner aussi bien les data centers (25% des émissions) que les réseaux télécoms (28% des émissions) ou les terminaux des utilisateurs (qui représentent à eux seuls 47% des émissions de gaz à effet de serre du secteur). L’industrie se mobilise déjà : on peut citer, à titre d’exemple, la plateforme Planet Tech’Care qui rassemble plus d’une centaine d’entreprises engagées pour le développement d’un numérique responsable.
La priorité n’est donc pas de compenser les émissions mais davantage de ne pas en émettre. Pour ce faire, la réduction des consommations électrique des serveurs, des data centers et des infrastructures associées est primordiale. De la conception à la construction, des équipementiers à la gestion, les experts en data centers doivent donc se concentrer sur les éléments sur lesquels ils peuvent agir directement, et à leur tour engager la filière tout entière vers l’éco-responsabilité.