« La biominéralisation naturelle est un phénomène encore peu exploré, qui pourrait permettre une récupération efficace du phosphore lors du traitement des eaux usées », explique Angela Mañas-Llamas, qui en a fait son sujet de recherche au sein du laboratoire d'ingénierie des systèmes biologiques et procédés de l'Insa de Toulouse. Responsable avec l'azote de l'eutrophisation des cours d'eau, le phosphore doit aujourd'hui être éliminé par la majorité des stations d'épuration. Il est par ailleurs un composant essentiel des engrais utilisés pour l'agriculture intensive mondiale, alors que les ressources en phosphore s'épuisent peu à peu. De nombreuses équipes de recherche s'intéressent donc à diverses méthodes pour récupérer le phosphore éliminé dans les stations d'épuration en vue de le réutiliser. DES PROCÉDÉS PROMETTEURS À l'Insa de Toulouse, les chercheurs ont observé que certains procédés étaient particulièrement favorables à l'accumulation de phosphore par certains micro-organismes, notamment les procédés sur support granulaire. « En modifiant le pH du milieu, il est possible de créer des gradients au sein des agrégats microbiens qui favorisent la précipitation du phosphore », souligne Angela Mañas-Llamas. La méthode mise au point par le laboratoire s'appuie donc à la fois sur le traitement séquentiel anaérobie/aérobie qui permet d'augmenter la proportion de bactéries accumulatrices de phosphates et l'installation d'un gradient de pH. « Au total, nous avons été surpris d'observer un rendement très élevé de 46 % d'élimination du phosphore, en partie sous forme d'hydroxyapatite. » L'équipe s'attache désormais à étudier les précipités qui se forment et à modéliser tous les événements physico-chimiques qui se produisent dans le réacteur. UN BREVET COMMUN Avec Valbio, entreprise spécialisée dans l'épuration par méthanisation d'effluents industriels, le laboratoire travaille depuis plusieurs années sur une application du procédé à l'épuration d'effluents de fromageries. Les partenaires ont déposé un brevet commun sur la méthode et poursuivent leur collaboration par la mise en place en 2011 d'un pilote à échelle industrielle. D'autres méthodes sont en cours de développement pour récupérer le phosphore sous forme de struvite ou d'hydroxyapatite facilement réutilisable comme celle de la société Ostara, pionnière dans ce domaine, dédiée aux effluents industriels concentrés en phosphore. La question se pose différemment pour les eaux usées urbaines, plus diluées et moins riches en phosphore en entrée de station. En outre, les réactifs utilisés pour la déphosphatation physico-chimique contaminent les précipités et compliquent leur valorisation. Les Pays-Bas qui ont été les premiers à s'intéresser à cette problématique ont testé avec succès l'extraction après incinération des boues. Plusieurs stations d'épuration de Hollande ont déjà modifié leurs procédés pour permettre cette récupération, notamment en remplaçant les sels de fer par des sels d'aluminium, plus coûteux. Mais ce coût supplémentaire devrait rapidement être absorbé selon certains experts qui annoncent déjà une crise du phosphore semblable à la crise du pétrole actuelle.