En mars dernier, l'association de consommateurs CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) claquait la porte du Comité national de l'eau (CNE). Elle déplorait un manque de transparence et de démocratie, dénonçant, entre autres, un rythme de réunions difficilement soutenable, des dysfonctionnements administratifs et des défaillances dans le partage des informations et la gestion des réunions. Pourtant, le CNE n'en est pas à ses balbutiements. Créé à la faveur de la loi du 16 décembre 1964, il est le référent national des comités de bassin et une instance consultative centrale dans la politique de l'eau en France. « C'est un mode de gouvernance assez unique qui fonctionne bien. Cette consultation est importante pour la mise en œuvre de la politique de l'eau », détaille Virginie D u m o u l i n - Wi e c z o r k i e w i c z, sous-directrice de l'action territoriale et de la législation de l'eau au ministère de l'Écologie. Il doit ainsi obligatoirement être consulté sur certaines thématiques avant l'action de l'État. « Son avis est obligatoire mais uniquement consultatif et le CNE n'a aucun pouvoir décisionnel, rappelle Virginie Dumoulin-Wieczorkiewicz. Mais dans la réalité, il apparaît difficile pour l'État de prendre une décision contraire. Reste que si le CNE ne parvient pas à un consensus, cela peut être le cas. »
Il peut aussi être consulté sur d'autres sujets voire s'en autosaisir. Ses membres seront ainsi chargés d'évaluer l'expérimentation sur la tarification sociale de l'eau. Ils ont aussi travaillé sur le projet de loi de modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles (Mapam) et la nouvelle compétence de gestion des milieux aquatiques et de protection contre les inondations (Gemapi) au sein d'un groupe de travail constitué pour l'occasion. Car la loi de 2006 (Lema) n'a prévu que trois commissions : un comité consultatif sur le prix et la qualité des services, un comité permanent des usagers du système d'information sur l'eau et un comité permanent de la pêche. D'autres, plus informelles et à durée de vie variable, peuvent être installées. Ainsi, la commission de suivi hydrologique échange sur les problèmes de déficits en eau, la commission de la réglementation est chargée d'examiner les projets de textes réglementaires ne faisant pas l'objet d'un avis obligatoire du CNE. C'est la direction de l'eau et de la biodiversité au Medde qui en choisit les membres. « Elles comptent en général une vingtaine de personnes. Il y a un appel à candidatures en interne puis on essaye de trouver un équilibre entre les catégories d'usagers, les bassins géographiques et le type d'élus », rapporte Virginie Dumoulin-Wieczorkiewicz.
La CLCV critique pourtant l'opacité de création et de fonctionnement de certains groupes de travail. « Après la feuille de route de la Conférence environnementale, plusieurs groupes de travail ont été installés en dehors du cadre réglementaire dont certains dont j'ignorais même l'existence. On a vraiment le sentiment de jouer avec des dés pipés. La gouvernance de l'eau a besoin d'être rajeunie et de gagner en transparence », estime Claude Réveillault qui représente l'association au CNE. Daniel Marcovitch, premier vice-président de l'institution, regrette lui que ces groupes de travail soient parfois délaissés par ceux-là même qui ont demandé à en faire partie. « Des propositions se font dans ces commissions. Se rendre uniquement aux séances plénières ne suffit pas. », défend-il. En effet, le Comité se réunit en plénière seulement trois à quatre fois par an selon les besoins. « Les consultations se sont multipliées : avant les années quatre-vingt-dix, il n'y avait qu'une seule réunion par an », rappelle pourtant Jacques Sironneau, chef du bureau en charge du secrétariat du CNE au Medde.
C'est devant soixante à cent membres en moyenne que sont validées les délibérations officielles. « La réunion de groupes de travail en amont doit permettre de faire émerger un consensus et de s'abstenir d'un vote en plénière », note Virginie Dumoulin-Wieczorkiewicz. « La démocratie se fait avec ceux qui sont présents, il n'y a pas de quorum à atteindre », précise même Daniel Marcovitch.
Sans remous depuis sa création, est-ce la surcharge de travail générée par la feuille de route de la Conférence environnementale qui a provoqué des dysfonctionnements et exacerbé des tensions ? La CLCV a décidé de quitter le CNE suite au vote de la délibération sur la composition des comités de bassin en décembre dernier. « Lors de cette séance, les dernières pièces ont été transmises aux membres la veille à 17 heures et la délibération n'a été ni annoncée dans l'ordre du jour, ni transmise à l'avance aux participants comme cela devrait être le cas », s'insurge Jean-Luc Touly, élu représentant la région Île-de-France au CNE qui a déposé une requête au tribunal administratif de Paris pour dénoncer ce passage en force. « Certes, il faut aller vite mais sans se précipiter et avec une gouvernance représentative », ajoute l'élu qui voit une forme d'amateurisme dans le fonctionnement de l'institution. Daniel Marcovitch reconnaît que certaines évolutions seraient favorables. « Pour être plus efficace et plus démocratique, il faut que les membres s'investissent de manière constructive pour viser le consensus. Il faut aussi que la vie associative soit mieux représentée et mieux formée », détaille-t-il. « Nous avons la chance d'avoir un processus démocratique à la fois au niveau des Sage, des bassins et au niveau national avec le CNE. Il n'est peut-être pas parfait mais il évolue », conclut de son côté Virginie Dumoulin-Wieczorkiewicz. Le mandat actuel des membres se termine fin 2014. Son renouvellement apaisera-t-il les tensions ?