Le corpus formé par les nouveaux textes de la réforme anti-endommagement de réseaux est impressionnant : une loi, cinq décrets, plus de dix arrêtés, une norme d'application obligatoire, des guides normatifs d'accompagnement… Cette réforme impacte les collectivités gestionnaires de services d'eau et d'assainissement à plusieurs titres : en tant que maître d'ouvrage, notamment pour les chantiers de pose de nouveaux réseaux, en tant qu'exploitant de réseaux en charge de milliers de kilomètres de canalisations ; et même en tant qu'entreprise de travaux, dans le cas de services en régie. « La principale difficulté, outre l'effort nécessaire pour digérer les textes, a été de faire comprendre aux maires et présidents de syndicats que l'on ne peut plus aller tout à fait aussi vite qu'avant pour les dépannages d'urgence », analyse Pierre Eysseric, le directeur du syndicat départemental des eaux de l'Aube.
La réforme a responsabilisé considérablement le maître d'ouvrage des travaux, lui donnant de nouvelles obligations. Il doit utiliser le téléservice (www.reseaux-et-canalisations. gouv.fr) en vue d'adresser une déclaration de projet de travaux (DT) aux exploitants des réseaux présents sur l'emprise du futur chantier. Les informations collectées en retour (plans de réseaux et recommandations techniques des exploitants) sont à intégrer au dossier de consultation et dans le marché de travaux. L'autre nouveauté, ce sont les investigations complémentaires que le maître d'ouvrage doit engager, en zone urbaine, quand les plans des réseaux sensibles pour la sécurité ne sont pas assez précis : une contrainte qui pèse sur le calendrier et sur le budget. Quand il en est exempté, il doit prévoir, dans les marchés, l'emploi de techniques compatibles avec l'incertitude du tracé des réseaux, et bannir tout préjudice financier pour les entreprises en cas de report de travaux. Enfin, entre autres contraintes, le maître d'ouvrage organise le marquage-piquetage du tracé des réseaux dans la zone de travaux et fait arrêter le chantier en cas de danger.
L'exploitant de réseaux doit lui aussi changer ses pratiques : il faut qu'il s'enregistre sur le télé-service, spécifie la longueur de ses réseaux, définisse des zones d'implantation, qui sont des bandes de 100 mètres de large positionnées à 10 mètres près. Pas facile pour les réseaux d'eau ou d'assainissement, dont la trace s'est parfois perdue. « Cette obligation implique un effort conséquent pour affiner la cartographie : il nous a fallu employer un dessinateur à plein temps pendant plus d'un an », témoigne Pierre Eysseric. L'exploitant doit s'organiser pour répondre dans des délais impartis, courts, aux déclarations des maîtres d'ouvrage (DT) ou des entreprises (DICT : déclaration d'intention de commencement de travaux). Il indique la précision des données cartographiques transmises (classes A, B, ou C), qui conditionnent le déclenchement d'investigations complémentaires. Les réseaux sensibles devront, au 1er janvier 2019 en zone urbaine, au 1er janvier 2026 pour les autres territoires, fournir leurs plans en classe A « compte tenu de l'ampleur de [notre] patrimoine, 10 000 km en eau potable et près de 5 000 km en assainissement, c'est compliqué de tout basculer en classe A, même si on a la chance d'avoir derrière nous plus de vingt ans d'investissements », lance Christophe Leclerc, ingénieur chargé d'opération au bureau d'études Noréade, la régie du Siden-Sian, un syndicat d'eau et d'assainissement couvrant le Nord, le Pas-de-Calais, l'Aisne et la Somme.
Enfin, quand la collectivité gestionnaire de réseaux est placée dans la situation d'une entreprise de travaux, elle doit, via le télé-service, adresser des formulaires DICT aux exploitants identifiés à proximité. Sauf en cas de travaux urgents justifiés par la sécurité, la continuité du service public, la sauvegarde des personnes ou des biens, ou la force majeure (ce qui inclut la réparation de fuites sur un réseau d'eau), les travaux ne peuvent pas démarrer en l'absence de réponse d'un exploitant de réseau sensible.
Deux ans d'expérimentation de la réforme à Orléans et Perpignan, entre mars 2011 et mars 2013, ont permis d'ajuster les premiers textes publiés, puis de leur apporter quelques corrections. Depuis la mi-2013, d'ultimes textes modificatifs étaient attendus. « Ils ont nécessité de multiples échanges avec les parties prenantes, puis il y a eu beaucoup de consultations obligatoires », expose Jean Boesch, adjoint au chef du BSEI à la direction générale de la Prévention des risques du ministère de l'Écologie. Le décret et les deux arrêtés mettant le point final à la réforme sont entrés en vigueur le 1er juillet 2014. Ils contiennent de nombreuses mesures de simplification : les dispositions principales concernent l'amélioration du remplissage automatique des déclarations sur le téléservice, une dématérialisation plus poussée, un encadrement plus précis des travaux urgents dispensés de DT-DICT et, surtout, un resserrage des catégories de chantiers pour lesquelles les investigations complémentaires sont obligatoires. « Seuls 10 % des chantiers exigent une phase exploratoire, le reste peut s'en dispenser à condition que des précautions soient prévues dans le marché », confirme Jean Boesch.