Employés de façon massive depuis les années 1960, les alkylphénols (AP) ont des domaines d'intervention pléthoriques : adhésifs, peintures, industries textiles et papetières… Parmi eux, les nonylphénols (NP) et les octylphénols (OP) sont aussi les principaux métabolites des alkylphénols éthoxylates, intégrés dans la plupart des détergents et produits de nettoyage industriel ou domestiques. Rien d'étonnant à ce qu'on les retrouve aux exutoires des installations classées pour la protection de l'environnement : d'après l'Ineris, les résultats intermédiaires de la deuxième campagne RSDE montrent que plus de 80 % des 3 400 sites suivis rejetaient des NP, environ 70 % pour les OP, figurant ainsi parmi les substances les plus quantifiées. Origine industrielle ? Pas seulement. Selon Johnny Gasperi, chercheur au laboratoire eau environnement et systèmes urbains (Leesu) de l'université Paris-Est Créteil, « la concentration en NP à la sortie d'une station d'épuration urbaine peut atteindre plusieurs centaines de ng/l, et dépasser le mg/l lors des rejets unitaires de temps de pluie ». Des concentrations souvent au-delà des normes européennes pour ces substances dangereuses classées prioritaires : 0,3 µg/l pour les NP et 0,1 µg/l pour les OP en moyenne, 2 µg/l pour les NP au maximum. Alors qu'en 2007 les AP étaient responsables de près d'un quart des déclassements de masses d'eau du bassin Artois-Picardie, aujourd'hui, cette proportion recule. « Leur comportement ubiquiste, indépendant de la notion de pression et sans logique d'impact, rend très difficile l'interprétation de leur évolution dans les milieux aquatiques », indique Thomas Pelte, expert outils et prospective eaux superficielles à l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée Corse. Côté assainissement, le projet Armistiq (voir encadré) vise à évaluer l'efficacité des dispositifs d'épuration vis-à-vis de nombreux micropolluants, dont les AP. Les AP ayant la fâcheuse tendance à s'accumuler dans les phases solides, les concentrations dans les boues destinées à être épandues atteignent parfois 400 mg/kg, avec potentiellement des risques de relargage vers les sols et les nappes. Ont-ils également atteint notre robinet ? À la demande de la Direction générale de la santé, l'Anses et son laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN) ont mené une campagne nationale d'analyses sur les ressources destinées à l'alimentation en eau potable. Sur les 290 sites de production suivis, 18 % des échantillons d'eau brute analysés accusaient la présence d'AP et/ou de BP, et trois d'entre eux dépassaient le microgramme par litre. « L'occurrence de ces molécules est beaucoup moins forte dans les eaux traitées que dans les eaux brutes », précise Jean-François Munoz, directeur du LHN, soulignant ainsi l'efficacité des filières de potabilisation. Seuls 3 % des échantillons d'eau traitée présentaient une teneur en AP et/ou en BP supérieure à leur limite de quantification. Quant au risque sanitaire, difficile d'en juger faute d'étude épidémiologique disponible. Cependant, dans le cadre de ses travaux sur les perturbateurs endocriniens, l'Anses étudie actuellement certains alkylphénols.