Initialement fixé en 2020 par la loi Labbé, l'objectif zéro phyto a été avancé au 1er janvier 2017 par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte adoptée cet été. Cette mesure d'interdiction concernera non seulement les espaces verts et les promenades ouvertes au public, mais également les voiries des collectivités. L'annonce a évidemment fait réagir certaines associations d'élus. « L'arrêt des phytos fait consensus mais le fait de ramener la limite d'interdiction de manière brutale est mal vécu par les élus. Ils ont le sentiment d'être mis en situation irrégulière car il faut du temps pour faire évoluer ces pratiques », traduit l'Association des maires de France. Même écho chez Villes de France qui plaidait pour une mise en œuvre plus progressive. Sa présidente, la sénatrice-maire de Beauvais, Caroline Cayeux, a même tenté de restaurer l'échéance de 2020 en déposant un amendement à la loi sur la transition énergétique. « Il faut intégrer les difficultés des villes de taille moyenne les moins avancées pour qu'elles puissent mener une politique équilibrée avec des budgets serrés. Je pense particulièrement aux communes touristiques, aux stations balnéaires, toutes ces villes très attentives à leur image qui devront justifier auprès de leur population le fait que les espaces verts soient moins léchés », juge celle qui a mis les espaces verts de Beauvais au régime zéro phyto dès 2008. Et d'après une récente enquête diligentée par les Eco Maires (étude Harris Interactive du 30 mars au 7 avril 2015), 83 % des maires interrogés pensent que l'objectif zéro phyto est une bonne chose, 71 % d'entre eux étant favorables à son extension à la voirie et 63 % à l'avancement de l'échéance. En revanche, seuls 47 % des élus jugent que cette mesure sera facile à mettre en œuvre.
Peut-on dès lors s'attendre à une mobilisation générale d'ici à 2017 ? Le dernier recensement en date, réalisé en 2014 auprès des porteurs des 26 chartes régionales, ne relève que 4 000 communes françaises engagées dans une démarche de réduction de l'usage des phytosanitaires, dont seulement 420 ont réussi à s'en passer totalement. À première vue, le déploiement du zéro phyto resterait donc plutôt restreint. « Mais le mouvement a déjà essaimé bien au-delà des signataires des chartes. Une majorité de collectivités moyennes et grandes sont déjà rentrées dans une démarche de réduction des phytos sur leurs espaces verts », affirme Dominique Poujeaux, chargé de mission pesticides au ministère de l'Écologie . Pour Jonathan Flandin, chargé de mission écologie urbaine à Natureparif, le bilan reste pourtant mitigé. « De nombreuses communes s'engagent. Cependant, compte tenu de la réglementation existante, entre deux arrêtés contraignant l'usage des phytosanitaires et le plan Ecophyto, il devrait déjà y avoir plus de communes en zéro pesticide total. » Caroline Gutleben, directrice de Plante & Cité, le centre technique de référence sur la nature en ville, évoque, pour sa part, une période de transition. « L'impact des pesticides sur l'environnement et la santé des salariés a largement favorisé la prise de conscience des communes. Elles n'ont pas toutes basculé vers le zéro pesticide, mais les évolutions réglementaires vont accélérer leur transition dans les prochains mois. »
Les premières initiatives des collectivités remontent au début des années 2000. Elles ont été fédérées par des porteurs de projets qui les ont accompagnées dans leurs changements de pratiques. En Bretagne, confrontée à de fortes pollutions de l'eau, la Fredon (Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles) a sonné l'alarme dès 1998. En 2000, elle engage des expérimentations de techniques alternatives au désherbage chimique, des plans de désherbage annuels et, en 2002, elle propose des chartes d'entretien des espaces communaux. Aujourd'hui, sur les 1 268 communes bretonnes, 900 possèdent des plans de désherbage et 800 ont signé la charte, dont 180 ont atteint le niveau zéro phyto sur tous leurs espaces publics. « À l'échelle de la région, 75 % des communes engagées, c'est exemplaire et c'est le résultat de quinze ans de travail », observe Gérard Angougard, directeur de la Fredon Bretagne. Depuis, ce schéma a été dupliqué à divers échelles et degrés d'avancement. Sur la nappe phréatique de Champigny (77), 80 % des 223 communes ont signé la charte de l'association Aqui'Brie depuis 2003 et 36 ont abandonné les phytos. « Il s'agit vraiment d'une démarche de progrès. Une fois lancées, les communes ne font pas machine arrière », analyse François Birmant, son responsable des actions préventives. En Île-de-France, Natureparif recense ainsi 67 % des 1 281 communes engagées sur l'objectif zéro pesticide dont 12 % l'ont atteint, 16 % fonctionnent sans, sauf sur les espaces à contrainte et 39 % ont engagé une démarche de réduction. En Alsace, la charte Commune Nature soutenue par l'agence de l'eau Rhin-Meuse et la Région depuis 2009 a déjà attribué ses libellules à 216 communes dont 99 en zéro phyto. Lancée dans le Loiret en 2005 puis étendue à la région Centre, la démarche « Objectif zéro pesticide dans nos villes et nos villages » fédère aujourd'hui 135 communes dont la majorité ont réduit leur usage de plus de 50 % et 10 ont réussi à s'en passer. « Avec 20 à 30 collectivités supplémentaires chaque année, la dynamique est lancée. Elle nécessite d'être accompagnée deux ans au minimum sur les volets techniques et en communication », estime Jonathan Bourdeau Garrel, chargé de mission eau et agriculture chez FNE Centre-Val de Loire. Même retour à la Fredon Bretagne. « En moyenne, il faut trois à cinq ans pour atteindre le niveau zéro phyto, mais certaines communes impliquées depuis plus de dix ans n'y sont toujours pas parvenues ; d'autres, au contraire, n'ont mis que deux à trois ans. Cela dépend beaucoup de la situation de départ (état des espaces verts et de la voirie) et de la mobilisation des élus et des agents techniques », observe encore Gérard Angoujard.
Car le changement de pratiques ne s'improvise pas et son succès est intimement lié à la motivation des troupes. « L'engagement des élus, la sensibilisation, le soutien des agents et l'information de la population sont les trois ingrédients essentiels pour que la démarche aboutisse », analyse Marc Champault, responsable des services cadre de vie de Fontainebleau, zéro phyto depuis 2013. La ville a embauché dès 2009 un chargé de mission développement durable pour orchestrer et valoriser les opérations. « Notre nouveau fonctionnement a été posé par écrit, ce qui donne une pérennité à notre action alors que traditionnellement, les services techniques fonctionnent plutôt sur l'oralité », souligne le responsable. L'encadrement est nécessaire, via la formation technique des agents — et pa ra-doxa lement les formations obligatoires Certyphyto y participent, par une réorganisation transversale des services et une communication renforcée en direction des usagers. Car l'apparition d'herbes folles dans la ville est facilement assimilée à de la négligence. Plante & Cité, qui a sondé à travers le projet Acceptaflore l'acceptabilité sociale de la flore spontanée, a livré aux communes des outils de communication pour les aider à faire passer le message. À Versailles, les 18 000 élèves sont sensibilisés par les écojardiniers de la ville à l'intérêt de travailler sans phytosanitaires. « Les enfants sont de formidables vecteurs de sensibilisation auprès des adultes », souligne Cathy Biass-Morin, directrice des espaces verts de la ville. En Alsace, la ville de Strasbourg a opéré sa transition zéro phyto sur trois ans depuis 2007. « Le paysage urbain en a été modifié, avec un retour de la biodiversité. C'est positif, mais cela nécessite aussi un vrai travail pour faire évoluer la perception de la nature en ville par la population », juge Christel Kohler, adjointe au maire en charge de la ville en nature. Pour accompagner les usagers, Strasbourg a conjugué signalétique « zéro phyto », enquête d'opinion et valorisation de la nature en ville via la distribution de graines, développement des jardins partagés et organisation de manifestations culturelles. Nantes métropole qui a réduit de 98 % l'usage de pesticides depuis 2006 compte, elle aussi, sur les opérations participatives autour de l'embellissement des quartiers par « le vert ». « La bascule s'est faite sur la dynamique santé et nature en ville avec des élus déjà mobilisés dans le cadre de leur Agenda 21 notamment. Finalement, les quelques résistances observées sont essentiellement venues des usagers des quartiers vieillissants », observe Michèle Gressus, vice-présidente de la métropole en charge du nettoiement et maire de Bouguenais qui, à l'échelle de sa commune de 16 000 habitants, a sauté le pas d'un seul coup. « Mais nous profitons d'un patrimoine naturel riche et d'un engagement général de la commune sur l'environnement. À l'échelle d'une agglomération de 600 000 habitants, on ne peut pas avoir la même réactivité. » Sur le Grand Lyon par exemple, le zéro phyto progresse de manière inégale selon les services de la métropole. Le service arbres et paysages et le service de l'eau ont exclu toute sorte de traitement chimique alors que le service voirie a supprimé les traitements préventifs mais choisi de réduire de 50 % leur usage en curatif, sans aller au bout de la démarche pour le moment.
Car concrètement sur le terrain, aucune technique alternative ne peut rivaliser en simplicité avec la pulvérisation de pesticides. Il est donc nécessaire pour limiter la charge de travail des agents et l'augmentation du budget de faire évoluer les pratiques sur la base d'une gestion différenciée, voire écologique. En favorisant au maximum la gestion extensive de certains espaces pour passer plus de temps là où l'entretien par techniques alternatives le demande. À ce niveau, les solutions se partagent entre désherbage thermique à eau (eau chaude, vapeur, mousse), thermique à gaz (flamme directe, infrarouge, mousse) mécanique, manuel et techniques préventives (paillage…) et elles sont le plus souvent combinées. Sur le site Compamed, qui rassemble les résultats du programme de recherche piloté par Plante & Cité sur l'évaluation des méthodes de désherbage en zones non agricoles, les collectivités peuvent modéliser leur changement de pratiques en calculant l'impact environnemental des techniques retenues. Seulement au final, aucune solution passée à la loupe des analyses de cycle de vie n'est totalement vertueuse. On pourra toujours opposer à l'écotoxicité des méthodes chimiques les gaz à effet de serre émis par les méthodes thermiques et leur consommation en énergies fossiles ; même les brosses mécaniques consomment des matières premières. « Il faut faire la part des choses entre l'impact des méthodes alternatives et celui des phytosanitaires. La réelle alternative durable, c'est une conception des espaces publics qui permet de réduire leur entretien. Nous orientons nos communes sur cet axe depuis plus de dix ans », juge Gérard Angougard, à la Fredon Bretagne.
Cette réflexion sur la conception est en effet fondamentale. En intégrant la contrainte du zéro phyto dans les nouveaux aménagements, en faisant évoluer les espaces existants, on pourra à terme se passer des traitements de désherbage curatif. Un grand pas est d'ailleurs en train d'être franchi dans les cimetières zéro phyto qui apparaissent en France. Plus verts, fleuris, écopâturés, ils renvoient une nouvelle image qui procède alors d'une rupture technique et culturelle. Car finalement, la difficulté est bien là. L'arrêt des phytosanitaires ne peut pas être vécu comme une simple disposition technique mais il doit s'intégrer dans une politique structurante de la collectivité en matière d'aménagement public et de biodiversité. Un choix qui permet à la ville d'évoluer et de se réinventer. l