C’est un pan de la nature en ville laissé sur le bas-côté : les caniveaux sont avant tout assimilés à la saleté, charriant des eaux porteuses d’agents pathogènes. Mais ils regorgent aussi d’une micro-biodiversité, mise en avant par les équipes du Centre national de la recherche scientifique et du Museum national d’histoire naturelle. Ce « nouveau compartiment biologique » recèle aussi un potentiel de dépollution, qui reste à préciser.
Le microbiote humain est populaire ? Il pourrait demain en être de même pour le microbiote environnemental, espère Pascal-Jean Lopez. Le biologiste s’est intéressé aux caniveaux en y observant une bulle d’air de couleur marron-vert, typique des algues qu’il étudie couramment. Cent prélèvements réalisés dans les 20 arrondissements parisiens confirment l’intuition : quelque 7.000 espèces de micro-organismes sont identifiées après observations microscopiques et analyses génétiques. En sortie de tuyau, l’eau non potable en héberge plus de 1.100, celle qui circule le long des rues quelque 4.800. Un millier d’espèces communes trace un continuum entre les deux types d’eau.
Bionome de rue
« Chaque prélèvement (environ 20 cl d’eau) abrite en moyenne 350 organismes », précise Pascal-Jean Lopez, qui présentait les résultats de l’étude1 publiée en 2017 lors d’un séminaire sur « les relations milieux aquatiques et sociétés », organisé le 2 mai par le Centre national de la recherche scientifique et le Museum national d’histoire naturelle. « Sur certains prélèvements, 95 % sont constitués de diatomées – des microalgues brunes présentes dans les milieux aquatiques, celles des océans étant à l’origine du quart de l’oxygène que nous respirons, poursuit le directeur d’études (1). Mais on trouve aussi des espèces caractéristiques des rivières, comme les éponges et les mollusques. » Il y a donc de la vie dans les 3.400 km de caniveaux de la capitale. « Les micro-organismes captent du CO2 et réalisent la photosynthèse. On végétalise aujourd’hui murs et toitures. Demain, les caniveaux seront peut-être verts car remplis d’algues, qui apporteraient une contribution intermédiaire à l’enrichissement de la biodiversité urbaine », anticipe Pascal-Jean Lopez. Si le vivant de ce « nouveau compartiment biologique » prend principalement la forme de micro-algues, celles-ci voisinent avec des bactéries issues des déchets humains et animaux. Quid du risque sanitaire ? « Il y a bien des agents pathogènes dans les caniveaux mais il se forme localement des bionomes de bactéries et de micro-organismes. Sur ces communautés stables, Escherichia Coli n’entrera pas, affirme le chercheur. La question porte sur la survenue d’un éventuel déséquilibre qui affecterait ces biofilms installés. »
Amorce de dépollution
Réceptacle de la pollution et des déchets humains, les caniveaux pourraient aussi s’avérer le lieu de leur pré-traitement. L’eau qui y coule contient des champignons aptes à dégrader les pollutions organiques et des micro-organismes piégeant les métaux lourds. Reste à mener des études fonctionnelles mais l’expert en micro-algues est d’ores et déjà « à peu près certain de l’hypothèse ». Il est du coup partisan de « mettre de l’eau partout : si elle sert à la dépollution, autant la réaliser en centre-ville et non en station d’épuration. »
1 : Réalisée par les équipes du MNHN/CNRS/Sorbonne Université/IRD/Université de Caen Normandie/Université des Antilles