Si l’infiltration des eaux pluviales a pu faire craindre un risque de contamination des nappes phréatiques, les premiers retours sur les techniques alternatives montrent qu’elles retiennent au contraire la majorité des polluants dans le sol, limitant ainsi la pollution des milieux aquatiques.
En juillet 2018, le Cerema a rédigé une note à l’intention du ministère de la Transition écologique sur l’infiltration des eaux pluviales et son impact sur la ressource souterraine. « En l’état des connaissances, l’infiltration est à privilégier pour gérer les eaux pluviales », confirme Jérémie Sage, chargé d’étude et de recherche Eau en milieu urbain au Cerema Ile-de-France et auteur du document. Dans les techniques alternatives à la parcelle (noues, jardins de pluie) et dans les ouvrages centralisés (bassins d’infiltration) qui mettent en œuvre une infiltration superficielle par le sol, les polluants contenus dans les eaux pluviales de ruissellement sont globalement retenus dans les premiers centimètres du sol. Les mécanismes sont différents selon les types de polluants, par décantation et filtration mécanique pour les polluants particulaires, par adsorption, voire dégradation, pour les polluants organiques. Et plus les sols sont vivants grâce à des terres végétalisées, meilleure est l’infiltration. « L’infiltration à la source ne présente pas de risque de contamination des nappes puisqu’elle favorise la rétention de l’eau dans les sols. À long terme, il faudra se poser la question de la contamination locale des sols par ces polluants. Cependant, cette approche reste préférable à la collecte des eaux pluviales par un réseau qui concentre la pollution et augmente les risques de pollution des cours d’eau », estime Jérémie Sage.
Études de perméabilité, comportement hydrodynamique du sol, conception adaptée des ouvrages, risque particulier lié à la présence d’une nappe superficielle ou de fissures verticales dans le sol sont autant de points à étudier pour la faisabilité de l’infiltration. « La pollution des eaux pluviales est liée à 85 % à son ruissellement, le reste étant apporté par l’atmosphère. Il s’agit donc de limiter au maximum leur ruissellement pour éviter de concentrer les flux de polluants. Par exemple, pour une maison particulière, en recueillant les eaux sur une toiture végétalisée, en favorisant les matériaux perméables et en créant une noue : en associant plusieurs techniques d’infiltration, on arrive ainsi quasiment à zéro ruissellement. En milieu urbain, on privilégiera par exemple sur les noues une alimentation diffuse qui augmente la surface d’infiltration plutôt que des points d’injection », rappelle Jean-Jacques Hérin, président de l’Association pour le développement opérationnel et la promotion des techniques alternatives (Adopta).
Et contrairement à certaines idées reçues, les différentes familles de techniques alternatives (fondées sur la nature, revêtements perméables et solutions de stockage-restitution) n’ont pas besoin d’être équipées de séparateurs d’hydrocarbures. « Ce type d’équipement est inutile car la pollution moyenne des eaux pluviales en hydrocarbures est de l’ordre 0,5 mg/l, soit dix fois moins que la concentration en sortie d’un séparateur d’hydrocarbures », précise Jean-Jacques Hérin. Dans le Douaisis, pionnier dans la mise en œuvre des techniques alternatives, le risque de contamination de la nappe a été suivi dès 2008 par un réseau piézométrique. « Sans observer de variation de qualité de la nappe », souligne Jean-Jacques Hérin.
Idem pour le Grand-Lyon qui infiltre depuis trente ans les eaux pluviales en sortie des réseaux séparatifs de l’Est lyonnais dans de grands bassins de rétention-infiltration. Menées avec le Groupe de recherche Rhône-Alpes sur les infrastructures et l’eau (Graie) et l’Observatoire de terrain en hydrologie urbaine (OTHU), des études suivent depuis sa construction le devenir de la contamination en sortie du bassin Django-Reinhardt qui infiltre dans la nappe d’alimentation en eau potable de Lyon. L’analyse du sol dans le bassin a permis de prouver que la majorité des polluants (HAP, métaux lourds, matières organiques) restent confinés dans les premiers centimètres de sol. Seuls les pesticides et les nitrates sont retrouvés dans la nappe, mais à des concentrations constantes entre l’amont et l’aval du dispositif. Sur Lyon, les ouvrages centralisés ont laissé place à des techniques alternatives diffuses, comme les noues, les tranchées d’infiltration, les jardins de pluie, mieux intégrée dans le paysage et l’espace privé. La métropole impose dans son plan local d’urbanisme le zéro rejet d’eau pluviale au réseau sur tout nouveau projet. Et elle vérifie systématiquement la faisabilité de l’infiltration avec obligation notamment d’avoir au moins un mètre de zone insaturée entre le dispositif d’infiltration et la nappe. Seuls certains cas, très particuliers, comme des carrefours à fort trafic, nécessitent encore d’envoyer les eaux pluviales en station d’épuration des eaux usées plutôt que de les infiltrer.
Dans le cadre de son dispositif d’autosurveillance, le Grand-Lyon suit 21 bassins d’infiltration et, depuis deux ans, trois ensembles de noues également soumis à autorisation. « Les dispositifs d’infiltration font l’objet de dossiers types loi sur l’eau et doivent être soumis à autorisation lorsqu’ils drainent les eaux d’un bassin versant supérieur à 20 ha (et à déclaration entre 1 et 20 ha). Nos arrêtés fixent un suivi, trimestriel ou semestriel, de la qualité des eaux pluviales entre l’entrée et la sortie des dispositifs. Nous avons donc installé des piézomètres dans la nappe en amont et en aval pour suivre dix-huit paramètres. Les chroniques sur les noues sont trop courtes pour tirer des tendances, mais nous n’observons pas d’impact sur la nappe », constate Hervé Caltran, responsable d’unité à la délégation développement urbain et cadre de vie de la direction de l’eau du Grand-Lyon.
Pour inciter la gestion à la parcelle et même la recharge de nappe sur son territoire de 700 km2, Rennes Métropole s’est dotée d’une cartographie du potentiel d’infiltration. Menée par le BRGM en 2019, l’étude Phœbus a identifié 60 % du territoire favorable à l’infiltration et permis au PLUi de l’imposer sur 40 %. Associant le BRGM, la métropole et l’agence de l’eau Loire-Bretagne, une deuxième étude pourrait évaluer l’impact de l’infiltration sur les aspects qualitatifs et quantitatifs des nappes et cours d’eau.
Cet article est l’introduction du dossier "Eaux pluviales : techniques alternatives, l’infiltration comme barrière à la pollution", publié dans le numéro 254 d’Hydroplus : A venir : - La première partie : "Matriochkas se penche sur les noues", publiée le jeudi 7 mai. - La seconde partie : "MicroMegas compare systèmes centralisés et gestion à la source", publiée le lundi 11 mai. - La troisième partie : "Roulépur cible le ruissellement des voiries et des parkings urbains", publiée le mardi 12 mai.