Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
À chaque épisode de crues rapides, les automobilistes font partie des premières victimes, comment expliquer cela ?
Les crues rapides surviennent du fait de précipitations intenses, souvent localisées et de courtes durées qui provoquent des ruissellements impressionnants affectant particulièrement le réseau routier. Les nombreux départements du sud de la France affectés par ces épisodes de précipitations intenses présentent en plus. de cela des paysages vallonnés maillés de nombreux petits torrents à peine visibles et dispersés dans le paysage qu’entrecoupent de nombreux itinéraires routiers. Ainsi, dans des départements comme le Gard, les Alpes Maritimes, l’Hérault, le relief et l’augmentation des surfaces urbanisées imperméables favorisent l’accélération des vitesses d’écoulement augmentant encore la capacité destructrice de l’eau.
Ces intersections et promiscuités entre réseau routier et réseau hydrographique sont autant de lieux sensibles où des automobilistes effectuant leurs trajets habituels peuvent se faire surprendre par une montée rapide de l’eau. Dès lors, l’exposition des populations à ce type d’événement ne se limite pas aux lieux d’habitation ou de travail, mais elle est d’autant plus forte sur les routes car les voitures et leurs passagers sont très vulnérables à ces phénomènes de ruissellements localisés. Près de 40 % des décès lors de crues rapides surviennent dans ces circonstances. Aux États-Unis, le chiffre est encore plus impressionnant notamment au Texas (jusqu’à 70 %) où les déplacements en voiture sont la règle et les passages à gué monnaie courante.
Lors d’épisodes pluvieux, la difficulté première est dès lors de se rendre compte de la dangerosité de circuler dans ces conditions. Mais bien souvent, en tant qu’automobiliste, nous sommes en mode « pilote automatique » et notre attention est focalisée sur l’objectif de notre déplacement. Il peut ainsi être difficile d’évaluer que les pluies et la quantité d’eau sur la route sont suffisamment sérieuses pour remettre en question nos emplois de temps peu flexibles.
La voiture procure en plus de cela un faux sentiment de sécurité. Peu de gens se rendent compte de la force de l’eau et du danger que cela représente, notamment dans une voiture. Le véhicule est perçu comme une seconde maison, procure un sentiment de maîtrise et de sécurité. Mais, outre le risque d’aquaplaning, dès lors qu’il y a 30 cm d’eau et que nous sommes en mouvement, la voiture est très vite soulevée par la poussée d’Archimède et devient rapidement incontrôlable. Ensuite, une fois que l’eau atteint les portières, il devient difficile de les ouvrir et bien souvent les vitres électriques cessent de fonctionner car le moteur est noyé. La voiture se transforme alors en véritable piège.
Cette vidéo de prévention rappelle qu’en cas d’inondation, 30 cm d’eau suffisent pour emporter un véhicule, et que dès cette profondeur d’eau, ouvrir une portière peut-être difficile pour nombre d’enfants et d’adultes.
Dès lors, pourquoi les gens continuent-ils à prendre leur véhicule lors de telles intempéries ?
Nous conscientisons en général plus facilement le risque sur notre lieu d’habitation ou de travail car nous nous représentons mieux notre environnement proche pratiqué tous les jours. Si l’on est propriétaire, on apprend également lors de l’acte d’achat si l’on est en zone inondable ou non. D’autant que dans ces lieux, la protection du bâtiment nous rend moins vulnérable aux phénomènes de ruissellements localisés. Par contre, le risque couru pendant nos déplacements est un impensé, or c’est pourtant là où nous sommes les plus vulnérables.
La dangerosité de nos trajets quotidiens lors d’épisodes pluie-inondation est de fait mal-évaluée. De façon contre-intuitive, ce sont par exemple les petits ruisseaux qui sont souvent à sec pendant l’année qui seront les plus dangereux pour les automobilistes en cas de crues rapides. Car le danger est lié à la taille du bassin versant, c’est-à-dire la surface de collecte des eaux : plus celui-ci est petit plus la durée qui sépare les pluies des inondations est faible. Ainsi, parfois quelques dizaines de minutes suffisent pour transformer un filet d’eau en un torrent en furie. Mais lorsqu’on interroge les habitants sur le cours d’eau le plus proche de chez eux, ils vont typiquement citer la grande rivière où ils voient régulièrement de l’eau et oublier le tout petit ruisseau. En période de crue, ils vont donc penser à éviter les abords des grands cours d’eau, mais pas nécessairement se dire qu’il faut changer d’itinéraire pour éviter ce petit ruisseau tout près de chez eux qui, il y a quelques heures encore, était à sec.
Lors de fortes pluies, des petits cours d’eau asséchés peuvent soudainement voir arriver une grande vague.
Outre les dangers que représentent l’habitacle de la voiture et la proximité avec un cours d’eau, la route en tant que telle présente-t-elle également des risques ?
Oui, sur la route, en début d’épisode pluie-inondation, il est difficile d’évaluer la hauteur d’eau. Souvent l’eau est trouble et il est compliqué d’avoir une idée de sa profondeur. En plus, la violence des ruissellements provoque souvent des dégâts sur les fondations ou le revêtement de la route pouvant créer des effondrements difficiles à déceler avec la faible visibilité liée aux circonstances météorologiques. Il pleut également, donc intuitivement on préfère rester au sec à l’intérieur de son véhicule plutôt que de sortir et de se réfugier à pied dans un lieu en hauteur.
Les régions récemment touchées sont de fait coutumières des crues rapides. Pourtant leurs principales victimes sont en général des habitants qui connaissent les risques et leur territoire. Cela peut sembler contre-intuitif…
Oui, c’est effectivement frappant. Une enquête réalisée il y a une quinzaine d’années auprès des touristes avait montré que ces derniers annuleraient plus facilement leurs déplacements et activités que les habitants, en situation d’alerte.
Pour comprendre ce comportement des habitants du pourtour méditerranéen fréquemment exposé à ces événements, il faut avoir conscience que les crues rapides sont très difficiles à prévoir et à localiser avec certitude. Ainsi, les habitants sont alertés plusieurs fois par an par des vigilances pluie-inondation (celles servant à prévenir des crues rapides) de niveau orange (niveau 3 sur 4) qui sont émises à l’échelle d’un département. Or ces événements frappent, in fine, à une échelle bien plus restreinte que celle du département. Dès lors, la vigilance orange peut perdre de son caractère de dangerosité et pourra avoir tendance à être sous-estimée. Au moment de prendre la décision de vaquer à leurs activités quotidiennes ou d’éviter de s’exposer, les habitants seront facilement tentés de continuer à faire comme prévu initialement, car le pire n’est pas certain.
Malheureusement, c’est en vigilance orange et non rouge que la plupart des décès surviennent. En vigilance rouge, le sentiment de danger imminent est bien perçu, et les comportements sont généralement adaptés en conséquence. En vigilance orange, on est dans un entre-deux, on se dit « On ne va pas changer nos plans » surtout qu’avec nos emplois du temps peu flexibles et chargés il est souvent difficile de bousculer nos routines quand la perception du danger comme de sa probabilité sont loin d’être évidentes.
Serait-il dès lors possible de mieux prévoir la localité et le degré risque ?
Malgré tous les progrès qui ont été fait grâce aux radars météorologiques, une part d’incertitude subsistera toujours. Il faut donc que chacun soit conscient que l’information ne pourra pas être parfaitement sûre et précise.
Ce qui est certain cependant, c’est qu’il va falloir s’adapter, car ces épisodes vont devenir plus fréquents et plus répandus du fait du réchauffement climatique, de l’augmentation de l’urbanisation et de l’exposition, et atteindre des régions françaises qui en ont peu l’habitude. Il va falloir apprendre à vivre avec ce risque plutôt que d’essayer de se voiler la face en se pensant à l’abri des digues et ouvrages de protection.
Les crues rapides font de fait partie des phénomènes météorologiques les plus mortels, car, du fait de la violence et la rapidité de leur survenue (quelques dizaines de minutes à quelques heures), elles laissent très peu de temps aux personnes exposées pour se mettre en protection. Elles touchent généralement de petites surfaces, mais le taux de mortalité par rapport au nombre de personnes exposées est ainsi beaucoup plus élevé que pour les crues de grandes rivières qui se propagent très lentement (plusieurs jours).
Comment s’adapter du coup ?
On le voit, les crues rapides continuent à surprendre les gens dans leur quotidien, La plupart du temps, ce sont des activités comme aller au travail ou aller chercher des enfants à l’école qui sont les plus difficiles à annuler. Ainsi les crues sont plus meurtières lorsqu’elles ont lieu en semaine et dans les horaires de déplacements. Il faudrait dès lors que tous les différents acteurs d’un territoire acceptent d’incorporer plus de flexibilité dans leurs organisations quotidiennes. Que les employeurs, par exemple, acceptent, en cas d’alerte, de potentiels retards ou du télétravail occasionnel.
Il faut aussi apprendre à changer nos réflexes. En état d’alerte, le premier réflexe consiste à vouloir rentrer chez soi et y rassembler la famille, donc aller chercher ses enfants à l’école et prendre la route au moment où c’est le plus dangereux. Souvent, les réactions sont prises sous le coup de l’émotion, car l’inquiétude et parfois le manque de contact avec ses proches font prendre les mauvaises décisions. Or le mieux serait que chacun des membres de la famille se mette en sécurité en hauteur là où il est pendant les quelques heures de l’événement. À l’école, les enfants sont pris en charge car chaque école doit disposer d’un plan particulier de mise en sécurité (PPMS). Au travail comme à la maison, chacun devrait préparer sa mise en protection et celle de sa famille ou de ses employés en cas de risque en mettant en place son propre plan familial de mise en sécurité.
Isabelle Ruin, Chercheuse, CNRS, Institut des Géosciences de l’Environnement, Université Grenoble Alpes (UGA)