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Evian, Vittel, Volvic : les industriels connaissent-ils suffisamment bien l’eau qu’ils exploitent ?

PUBLIÉ LE 11 OCTOBRE 2024
GUILLAUME PFUND, DOCTEUR EN GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE ASSOCIÉ AU LABORATOIRE DE RECHERCHE EVS, UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON 2
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Evian, Vittel, Volvic : les industriels connaissent-ils suffisamment bien l’eau qu’ils exploitent ?
Crédits : adobestock
Le scandale Nestlé Waters a levé le voile sur l’industrie de l’eau minérale naturelle. Celle-ci repose sur des connaissances précises des sources d’eau exploitées… Mais paradoxalement, celles-ci viennent souvent à manquer, explique dans cet article Guillaume Pfund, docteur en géographie économique à l’Université Lyon II. 

On en boit au quotidien, mais la connaît-on vraiment ? L’eau minérale naturelle (EMN), qu’il s’agisse d’Evian, de Vittel, de Volvic ou des autres, relève d’une appellation juridique spécifique en France. Elle se définit comme une eau d’origine souterraine, sans traitement, dont les composants physicochimiques – la teneur en minéraux de l’eau minérale – restent stables dans le temps, avec moins de 10 % de variation.
En France, deux usages économiques majeurs exploitent cette ressource naturelle : l’industrie de l’embouteillage d’une part, et les établissements thermaux d’autre part. Ces deux secteurs dépendent du maintient de l’appellation officielle et de l’autorisation d’exploitation à l’émergence délivrée par le ministère de la Santé sur avis de l’Académie de médecine.
Récemment, cet enjeu est passé sur le devant de la scène médiatique, les usines gérées par Nestlé ayant été épinglées par la justice pour avoir recouru à des traitements interdits et procédé à des prélèvements sur des forages ne disposant pas d’autorisation d’exploitation. Courant septembre, Nestlé Waters a finalement accepté de payer une amende de deux millions d’euros pour échapper au procès.
De quoi dévoiler ce pan méconnu de l’économie qui a une place majeure non seulement en France, mais également en Europe et dans le monde.
La France championne de l’eau minérale
Car la France est sur le podium européen, que ce soit pour le thermalisme ou pour l’eau minérale en bouteille. Le pays se trouve ainsi au troisième rang européen en nombre d’établissements thermaux, avec 115 thermes répartis sur 89 communes du territoire.
Le secteur de l’embouteillage français, pour sa part, est le premier exportateur mondial d’eau minérale naturelle au monde, avec 50 usines réparties sur 50 communes. Dans le même temps, la France possède aussi le premier patrimoine hydrominéral d’Europe, avec près de 20 % des sources en exploitation sur le vieux continent. Ce palmarès correspond à une valorisation de 37 % de la ressource nationale, soit 706 sources exploitées sur 1900 sources d’EMN inventoriées.
Malgré le caractère historique de l’exploitation des eaux minérales naturelles en France, ces ressources restent pourtant vulnérables. En cause : le manque de connaissances hydrogéologiques et leur hétérogénéité selon les sites.
En effet, chaque gisement d’EMN constitue un système dont la configuration et la composition dépendent des spécificités locales de chaque terroir géologique. Le niveau de vulnérabilité d’un gisement va également dépendre de paramètres hydrogéologiques, selon qu’il s’agisse d’une nappe peu profonde ou au contraire d’une nappe profonde bénéficiant d’une protection naturelle accrue.
Des gisements encore mal connus
Or, ces gisements gardent une part d’inconnu. L’acquisition des connaissances sur un gisement est nécessairement progressive et perpétuelle car l’objet d’analyse est un système naturel dont l’homme doit découvrir le plan et les conditions de fonctionnement.
L’étude d’un gisement d’eau minérale naturelle fait appel à différentes spécialités des sciences de la terre (géologie, hydrogéologie, hydrogéochimie et géophysique), qui permettent d’étudier les trois zones constituant un gisement :
la zone d’alimentation appelée impluvium, qui collecte les eaux pluviales,
la zone de transit souterraine où circule l’eau,
et enfin la zone des émergences en surface, où jaillit la ou les sources.
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Très peu de sites exploités ont une connaissance hydrogéologique précise de leur gisement. Faute de moyens, la majorité des propriétaires des émergences (souvent les communes) ou les exploitants des usages ne financent pas de programme de recherche.
Seuls les sites d’embouteillage majeurs, comme Evian, Vittel ou Spa, en Belgique, se sont donnés les moyens, depuis 1970, de réaliser des recherches approfondies sur le fonctionnement de leur gisement. Ces quelques acteurs économiques connaissent la délimitation géographique précise des trois zones constitutives des gisements, parce que les enjeux industriels le nécessitent.
Ces industriels emploient des ingénieurs hydrogéologues salariés, par exemple via l’institut Henri Jean à Spa et le Centre international de l’expertise de l’Eau à Evian. Ils financent également des thèses de doctorat en partenariat avec l’université de Liège et de Chambéry.
Seulement quatre territoires ont financé au début des années 2000 des programmes de recherches préalables sur certains gisements thermaux (Auvergne, Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon, Massif central) avec le BRGM. Cependant, dans la plupart des cas, les recommandations de recherche complémentaire du BRGM quant aux vulnéralibités détectées sont restées lettre morte.
Face à ce constat, le BRGM a édité en 2005 un guide qualité pour inciter les propriétaires et exploitants de la ressource à progresser dans l’acquisition des connaissances hydrogéologique et à programmer des investissements.
Aix-en-Provence, Ribeauville, Luchon… Les risques de la perte d’appellation
Faute d’une bonne connaissance scientifique sur la ressource exploitée, celle-ci peut subir des changements brutaux dans sa composition physico-chimique venant mettre en péril son appellation d’eau minérale naturelle.
Les conséquences économiques sont pourtant dévastatrices, tant pour les activités de cures thermales que pour la vente d’eau en bouteilles. Aix-en-Provence a ainsi perdu son agrément de ville thermale en 1998 du fait de la contamination des forages par la pollution urbaine. En 1996, au regard des contraintes d’exploitation du captage de la source des Ménétriers, l’usine d’embouteillage de Ribeauville (marque commerciale Carola) a perdu son appellation d’eau minérale naturelle. L’exploitation se poursuit uniquement sous statut d’eau de source avec un nouveau forage.
Depuis 2019, les bouteilles d’eau Luchon, vendues par Intermarché, ne peuvent plus être vendues sous le statut d’eau minérale naturelle. OpenFoodFacts

Depuis 2019, ce sont les bouteilles d’eau de Luchon (vendues par le réseau Intermarché) qui ne peuvent plus être commercialisées sous le statut d’eau minérale naturelle.
Cet arrêt résulte d’une variation naturelle du taux de sodium présent dans l’EMN à l’émergence du puit Lapadé. Malgré la vulnérabilité de cet ouvrage souterrain ancien peu profond, mis en évidence par le BRGM dès 1991, aucune recherche n’a depuis été menée pour améliorer les connaissances hydrogéologiques et trouver un forage de secours.
Faute de connaissances précises sur le fonctionnement du gisement, la commune (propriétaire) et l’exploitant ont mené des campagnes prospectives en urgence avec la réalisation de trois forages profonds en 2019 et 2020 pour plus de trois millions d’euros.
Malheureusement infructueuse, cette recherche à l’aveugle s’est soldée par l’arrêt de l’embouteillage d’EMN. Seule l’embouteillage d’eau de source subsiste.
Selon le BRGM, il reste en France 58 captages anciens exploités pour un usage économique. Pour ceux-ci, les risques liés au manque de connaissances hydrogéologiques sont réels.
A Divonne-les-bains, une bataille de l’eau franco-suisse
D’autant plus que les carences de savoir sur les gisements peuvent également alimenter des conflits sociaux. C’est le cas à Divonne, à proximité de la frontière franco-suisse, où la commune ambitionnait en 2016 d’ouvrir une usine d’embouteillage d’eau minérale naturelle, afin d’exploiter un forage réalisé en 1992, qui a obtenu la précieuse appellation en 1994.
L’affaire a viré au fiasco : le projet sera finalement abandonné, sur fond de conflit transfrontalier franco-suisse. Collectifs syndicalisés, riverains et élus locaux franco-suisse se sont opposés au projet au nom du principe de précaution par rapport à un risque possible (mais non avéré) sur l’alimentation en eau potable, faute de connaissances hydrogéologiques. Le projet a été stoppé le 3 septembre 2019 à six mois des élections municipales, pour éviter une guerre de l’eau franco-suisse.
Le conflit est né de la peur de l’existence d’interconnexions souterraines entre la nappe d’EMN et les nappes peu profondes utilisées pour l’alimentation en eau potable, dans un contexte local de croissance démographique et de tension d’alimentation en eau publique des habitants. Pour autant, dès 2003, le BRGM soulignait que les connaissances hydrogéologiques du site étaient lacunaires. Il avait formulé des propositions d’investigations à mener pour améliorer la compréhension de l’aquifère et de son fonctionnement.
Des enjeux politiques et économiques
Au regard des carences actuelles en matière de connaissances hydrogéologiques, assistera-t-on à une multiplication de ce type de conflit sur les territoires ayant des problématiques locales de manque d’eau potable ? Cette problématique est d’autant plus délicate dans les zones transfrontalières où une partie du gisement peut être de part et d’autre de la frontière, comme à Saint-Amand-les-Eaux, entre France et Belgique.
Pour les communes propriétaires des captages et de leurs exploitants, il est urgent de reconsidérer la question de la gestion du risque selon les spécificités des gisements hydrogéologiques. L’acquisition de connaissances est vitale pour l’avenir. En résumé : mieux connaître pour bien protéger.
Les enjeux sont majeurs pour les territoires souvent dépendant de cette filière économique. Ne pas gérer ce risque expose à des pertes d’emplois, de revenus (surtaxe d’embouteillage, redevance d’exploitation) et surtout d’attractivité (visibilité et image de marques toponymes).
Les élus locaux, souvent issus de la société civile, ne disposent pas de connaissances préalables dans ce domaine précis. Il n’existe pas aujourd’hui de formation à destination des élus locaux sur la filière EMN. Les expertises sont à rechercher à l’extérieur de la commune. Pour autant, la responsabilité d’un propriétaire de captage d’EMN et des usages économiques dépendant reste entière. En dépassant le motif du manque de moyen financier, les communes doivent trouver des solutions de montage public-privé avec leur exploitant.
Les acteurs locaux doivent s’appuyer sur des laboratoires de recherches hydrogéologiques publics français et européens, sur le soutien financier au travers des plans État-Région et du Fonds européen de développement régional, ainsi que du guide qualité édité par le BRGM, en planifiant des investissements réguliers d’acquisition des connaissances hydrogéologiques. La majorité des petits sites français doivent s’inspirer de démarche lancée à Évian, Vittel et Spa, qui co-financent des thèses de doctorat en partenariat avec les Universités de Chambéry, de Lorraine et de Liège, en partenariat avec l’INRA.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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