Les résultats d’une étude de l’Inra et de l’IGN sur le potentiel d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre par la filière forêt-bois française révèlent comment elle pourrait poursuivre, voire accroître, sa contribution à la lutte contre le changement climatique d’ici à 2050.
Dans la lutte contre le changement climatique, le secteur forestier apporte, d’une part, ses capacités de stockage de carbone dans les écosystèmes et les produits en bois (puits de carbone), d’autre part, celles de substitution aux énergies fossiles ou aux matériaux de construction non renouvelables. Présentés le 27 juin dernier, les résultats de l’étude que le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a confiée à l’Inra et l’IGN reposent sur des simulations des effets de plusieurs scénarios d’évolution. Le but était de savoir quelle capacité d’atténuation de la filière il est préférable de favoriser dans les années à venir, et quels sont les niveaux d’atténuation. Le bilan actuel de la filière est dominé par le stockage dans les écosystèmes forestiers (biomasse vivante, bois mort et sous-sol). Il est évalué par les chercheurs à 88 millions de tonnes de CO2éq/an. Le stockage dans les produits en bois est considéré comme nul : les créations sont annulées par les déstockages liés aux produits arrivés en fin de vie ou détruits. L’effet favorable des usages n’est lié qu’à la substitution, essentiellement de bois-matériau (évaluée à 32,8 millions de tonnes de CO2éq/an), les usages énergétiques ne venant qu’à la marge.
Les équipes des deux établissements publics ont scruté trois scénarios de gestion forestière à l’horizon 2050. Ils se distinguent par le poids relatif qu’ils acccordent au puits forestier, au stockage dans les produits en bois et aux effets de substitution liés à leur utilisation. Le scénario « extensification et allègement des prélèvements » dans lequel les volumes de récolte sont maintenus. Compte tenu de la croissance de la forêt française, le taux de prélèvement diminuerait. C’est l’aspect stockage qui est favorisé, mais en tendant vers une limite liée au vieillissement des peuplements forestiers. Le scénario « dynamiques territoriales » prévoit un maintien des taux de prélèvement et donc une augmentation des volumes récoltés, liée à une forte demande en biomasse, surtout pour l’énergie, pénalisant le bois d’industrie. Le scénario « intensification avec plan de reboisement » combinerait accroissement des taux de prélèvement partout où c’est envisageable avec une politique volontariste de reboisement qui viserait le remplacement de 500 000 hectares sur dix ans de peuplements peu ou pas productifs par de nouvelles plantations plus productives. Ce dernier scénario se révèle plus favorable aux effets de substitution. Son impact pourrait être accentué si les usages du bois et les évolutions technologiques conduisaient à davantage valoriser les produits à base de bois.
Les deux derniers scénarios supposent des efforts collectifs pour accroître les usages de la ressource, une évolution du comportement des consommateurs quant à l’usage du bois et des investissements conséquents dans la filière bois au sens large, c’est-à-dire en incluant la plantation forestière. Les chercheurs ont également pris en compte le renforcement des effets du changement climatique en envisageant trois types de crises : incendies, tempêtes et invasions biologiques. Des incendies survenant après une période de sécheresse auraient un impact local, mais pas à l’échelle nationale. De fortes tempêtes, suivies d’une cascade de risques (attaques de scolytes sur les résineux, incendies) diminueraient au moins temporairement le puits de carbone en forêt, que compenseraient partiellement l’augmentation de la quantité de bois mort et le stockage dans les produits en bois compte tenu des quantités à éliminer. Enfin, plusieurs types d’invasions biologiques ont été envisagées. Les dégâts sont similaires à ceux causés par une tempête, mais les effets seraient prolongés. C’est dans ce cas que la filière bois-forêt aura le plus de mal à compenser l’effet d’une crise. Cependant, dans tous ces scénarios, la capacité de stockage du carbone de la filière à l’horizon 2050 demeure positive, surtout dans le cas d’une gestion active. Toutefois, les chercheurs soulignent la proximité de cette échéance, compte tenu de la durée des cycles forestiers des boisements nationaux, essentiellement constitués de feuillus. Mais, pour des projections à l’horizon 2100 et au-delà, les outils de modélisation actuels ne sont pas assez robustes. Les scientifiques proposent donc de maintenir les efforts d’étude et de recherche en matière de compréhension des mécanismes en jeu, d’acquisition de données et de modélisation.