Alors que le monde entier traverse une crise sanitaire d’ampleur, zoom sur les impacts pour les filières de production d’énergie renouvelable avec trois avocates du cabinet BCTG Avocats. Chantiers, approvisionnement, exploitation, développement de projets... Le secteur est touché à tous les niveaux.
D’après le point de conjoncture publié par l’Insee le 26 mars dernier, l’activité économique en raison de la crise sanitaire est en chute de 35% en France et cette chute touche tous les secteurs. Celui des énergies renouvelables n’y échappe pas et voit les chantiers en cours à l’arrêt, ainsi que de nombreux projets en développement reportés. D’autant que l’installation de nouveaux parcs éoliens ou photovoltaïques, le raccordement électrique, ou encore la fourniture de matériels, nécessitent l’intervention de nombreux acteurs et sous-traitants. Alors quels sont les impacts de cette crise sanitaire mondiale sur les installations de production d’énergie renouvelable ?
« Il faut faire la différence entre les chantiers en cours de construction et les installations déjà en exploitation », estime Diane Mouratoglou, avocate associée du pôle Energies du cabinet BCTG Avocats. En effet, les installations en exploitation ne rencontrent pas de problèmes de production. « La plupart des opérateurs signalent un travail en mode dégradé, mais les installations continuent à tourner », précise l’avocate. Les interventions de maintenance sont néanmoins limitées : la grosse maintenance et les réparations sont reportées. « En dehors des opérations de grosse maintenance, les installations en exploitation peuvent être pilotées à distance et les salariés continuent à travailler depuis chez eux : l’électricité continue à être produite et distribuée, les gestionnaires de réseaux ont activé leur plans de continuité d’activité », précise Nelsie Bergès, également associée du cabinet BCTG Avocats.
Des chantiers à l’arrêt dans l’attente d’un guide de bonnes pratiques
Le problème se pose donc surtout sur les projets en phase de chantier : alors que le gouvernement souhaite la poursuite des chantiers et des contrats en cours, les professionnels du secteur de la construction ont obtenu le 21 mars, un accord qui prévoit la publication d’un « guide de bonnes pratiques », rédigé par la profession et l’Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP). « Ce guide devra aider à la continuité des activités en distinguant plusieurs types de chantiers », souligne Catherine Dupuy-Burin des Roziers, avocate associée du cabinet BCTG Avocats. Un guide qui est, dix jours après l’accord, toujours attendu par les professionnels, et les chantiers, toujours à l’arrêt.
En attendant, des plans de continuité d’activité ont été mis en place dans une grande majorité d’entreprises et certains employeurs vont plus loin que les mesures barrières afin de maintenir la sécurité des agents. « Un gros constructeur de turbines a par exemple limité le travail en lieu confiné et a figé les binômes pour éviter le risque de contagion », indique Diane Mouratoglou. Mais les entreprises n’avaient pas anticipé la fermeture des écoles et donc l’absence de certains salariés contraints de garder leurs enfants. « Il appartient à chaque employeur de définir l’organisation au cas par cas, mais la plupart des entreprises de fondation, terrassement, génie civil, etc. précisent que les chantiers sont à l’arrêt faute de personnel, et il n’est pas possible d’invoquer la pandémie et le confinement comme motif de force majeure », précise Catherine Dupuy-Burin des Roziers.
Approvisionnement et retards
Sans compter que beaucoup de sous-traitants, de turbiniers, viennent de l’étranger. Dans le secteur du photovoltaïque, les modules proviennent très souvent d’Asie, et en particulier de Chine. Les pâles d’éoliennes sont fabriquées notamment en Espagne, où faute de droit de retrait, les salariés font grève. « Cela peut marquer un ralentissement ou un report des chantiers mais ne marque pas la cessation définitive des chantiers », rassure Catherine Dupuy-Burin des Roziers. L’impact sur les chantiers sera également différent selon l’étape à laquelle il se trouve : « en fin de chantier, il y aura certainement des retards mais les techniciens continuent à venir pour faire les derniers ajustements et accordements... Pour les chantiers qui commencent, il y aura beaucoup de retard », estime Diane Mouratoglou. En réponse à cette difficulté, et afin de « ne pas pénaliser les retards d’achèvement des chantiers de construction liés à la crise », le gouvernement a publié le 27 mars, une ordonnance qui prévoit d’octroyer des délais additionnels pour la mise en service des installations d’énergie renouvelable.
Concernant les projets en développement, la réalisation d’études d’impact risque d’être fortement ralentie. « Pour qu’elles soient complètes, ces études doivent être menées pendant un an, sur un cycle biologique entier. Nous sommes en pleine période printanière de nidification, qui ne pourra pas être étudiée et cela décale d’autant le développement de projets », souligne Nelsie Bergès. Des délais seront néanmoins accordés pour les consultations et enquêtes publiques. Par ailleurs, « les dates limite des appels d’offres en cours sont pour la plupart repoussées d’au moins trois mois, notamment pour le photovoltaïque au sol et l’éolien », précise Diane Mouratoglou.
Méthanisation et hydrogène en danger ?
De façon générale, les trois avocates pensent que ce sont les projets de petite envergure, notamment les projets de méthanisation ou les filières innovantes telles que celle de l’hydrogène, qui pâtiront le plus de la situation. « Si la crise dure et que le développement de ces petits projets s’allonge très substantiellement, on pourrait assister à une restructuration du marché de la production des énergies renouvelables, avec la disparition des petits acteurs », craint Diane Mouratoglou. Pour les gros projets portés par de grands acteurs de l’énergie, aucune faillite à l’horizon, selon les avocates. « Les choses reprendront avec une faculté de résilience forte, mais cette crise poussera peut-être les acteurs du marché à repenser leur mode d’approvisionnement, en les dispersant un peu plus sur le plan géographique par exemple », espère Diane Mouratoglou.