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ÉNERGIE

Taxonomie verte, pour Brice Lalonde : « le nucléaire est mis dans le panier à linge sale »

PUBLIÉ LE 17 JANVIER 2022
PROPOS RECUEILLIS PAR ABDESSAMAD ATTIGUI
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Taxonomie verte, pour Brice Lalonde : « le nucléaire est mis dans le panier à linge sale »
Brice Lalonde, ancien ministre de l'Environnement et président de l’association Équilibre des Énergies. Crédit : Ad_Luminem
La Commission européenne a mis en consultation, du vendredi 31 décembre jusqu’au 21 janvier prochain, le document qui fixe les critères permettant de classer comme « durables » les investissements dans des centrales nucléaires pour la production d’électricité. Une « victoire de la raison » pour le nucléaire qui se heurte tout de même à l’étiquette d’énergie de transition. Rencontre avec Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement et président de l’association Équilibre des Énergies.

Avec la taxonomie verte, l’Union européenne démontre sa volonté d’encourager les investissements durables en réorientant les flux financiers vers des activités à faible émission de gaz à effet de serre. Ce référentiel de classification standardisée vise ainsi à évaluer la durabilité des activités économiques responsables des émissions de l’Union européenne, et à présenter une grille de lecture commune pour guider les acteurs financiers vers davantage de durabilité.

Le 31 décembre dernier, la Commission européenne a formulé la proposition d’inclure, sous certaines conditions, les activités nucléaires au sein de la taxonomie verte. Une intégration, si elle est confirmée à l’issue de la consultation, qui permettra de soutenir la filière du nucléaire français tout en accélérant « la suppression progressive des sources d’énergie plus nocives, telles que le charbon ». Toutefois, le nucléaire ne sera inclus qu’à titre « transitoire ». Une étiquette qui posera problème pour la filière, juge Brice Lalonde, président de l’association Équilibre des Énergies.

EM : Que pense l’Équilibre des Énergies de la future introduction du nucléaire dans la taxonomie verte ?

C’est une victoire de la raison ! Le nucléaire produit une énergie décarbonée dont on a besoin pour lutter contre le réchauffement climatique. C’est une source d’énergie qui n’est pas intermittente et qu’on peut piloter, pour nous ça fait partie des solutions à soutenir pour l’électrification des usages.

EM : Qu’est-ce qu’implique la future introduction du nucléaire dans la taxonomie verte ?

Son introduction implique que le nucléaire trouve sa place dans toutes les directives du paquet Fit For 55. Or pour l’instant l’électricité issue du nucléaire n’y est pas ! C’est comme si nous avions le droit de construire des centrales mais de ne pas utiliser leur électricité.

Dans les directives européennes on ne parle que d’électricité renouvelable, alors qu’il faudrait plutôt évoquer l’électricité décarbonée. Cela reviendrait à dire que les énergies renouvelables et le nucléaire, ensemble font partie des solutions décarbonées.

EM : Comment peut-on expliquer la difficile intégration du nucléaire dans ce référentiel européen ?

En ce qui concerne la taxonomie, la difficulté que devrait connaître l’industrie nucléaire c’est le caractère transitoire de cette inclusion. C’est une erreur de penser que le nucléaire n’est qu’une énergie de transition. Personnellement, le problème que je vois est celui de la consommation de l’énergie, et pour l’instant la Commission européenne dans toutes ses directives ne prévoit que deux solutions : réduire la consommation d’énergie par ce qu’elle appelle l’efficacité énergétique. Mais vouloir réduire la consommation de l’énergie sera extrêmement difficile ; la deuxième solution réside dans le développement des énergies renouvelables, et c’est tout ! 

Cette stratégie européenne s’appuie sur ce qu’on appelle « Energy Efficiency first », dont le premier principe est de réduire la consommation par l’efficacité énergétique, mais si vous souhaitez lutter contre le réchauffement climatique, le principe devrait être la réduction des émissions ! Ce sont les énergies fossiles et les émissions qu’elles engendrent qui posent problème, et pas la consommation d’énergie en tant que telle. La stratégie européenne devrait plutôt être orientée vers la réduction des émissions et devrait inclure toutes les sources d’énergie décarbonée, y compris le nucléaire.

EM : Quelles conséquences engendrerait cette étiquette d’énergie de transition pour la filière du nucléaire ?

Le nucléaire est lent ! Ce sont des installations qui doivent durer 60 ans voire 80 ans pour certaines. Affirmer dans des directives que tout s’arrêtera en 2040 ou 2045 et qu’il n’y aura plus aucune commande après cette date, va casser cette espèce de progression très lente.

Je suppose que cette étiquette « transitoire » pose un problème en termes de financements pour allonger la durée de vie des centrales, concevoir et mettre en œuvre une nouvelle dynamique de la filière qui serait plus adaptée aux enjeux actuels.

EM : Peut-on parler d’un avenir incertain à l’échelle européenne pour la filière ?

A titre personnel je suis favorable à ce qu’on appelle la transmutation des déchets. Cette voie n’est suivie pour l’instant que pour la Belgique qui a renoncé au nucléaire mais continue d’investir dans la gestion des déchets, parce qu’il faut le rappeler même les pays qui arrêtent le nucléaire gardent ces déchets comme l’Allemagne. Il me semble que si on voulait investir collectivement pour gérer ou améliorer cette problématique du nucléaire on devrait suivre l’exemple de la Belgique. La Commission européenne devrait à mon avis investir dans la transmutation des déchets nucléaires.

Aujourd’hui la Commission accepte la situation dans l’état, en disant « je vous laisse vous débrouiller jusqu’en 2040 et après c’est terminé » ! Mais lorsque vous n’êtes pas favorables au nucléaire, vous ne vous occupez de rien, vous n’essayez pas d’améliorer la filière et de suivre les progrès. C’est regrettable et ça manque d’intelligence !

EM : Quelles seraient les améliorations à prévoir pour une meilleure intégration du nucléaire dans ce projet européen ?

Le nucléaire est encore mis dans le panier à linge sale, à côté du gaz car on part de l’idée que c’est moins mauvais que le charbon et qu’on en aura peut-être besoin pour un certain temps. Mais le nucléaire ne devrait pas être dans le même panier que le gaz ! Le gaz est issu de source fossile qui engendre du CO2, tandis que le nucléaire ne l’est pas du tout, il a d’autres problèmes mais en ce qui concerne le changement climatique c’est plutôt un allié.

Deuxièmement, dès qu’on inclura le nucléaire dans les énergies admises au financement dans la taxonomie verte, il faudra également admettre qu’on utilise son électricité. Dans ce cas, la Commission doit revisiter tous les textes qu’elle a publiés et remplacer le terme « renouvelable » par « décarbonée ». 

Enfin il y a une chose très importante, la décarbonation coûte cher en énergie. Surtout lorsqu’elle s’appuie sur des vecteurs énergétiques décarbonés comme l’électricité, l’hydrogène bas-carbone, les carburants de synthèse pour l’aviation, qui coûtent plus cher en énergie à produire que le gaz ou le pétrole. Il y a un contresens majeur de la part de nos responsables, de la Commission européenne, ou même des associations environnementales, qui ne se rendent pas compte que décarboner coûte cher en énergie !
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