La consommation de datacenters monte en flèche, stimulée par le boom de l’intelligence artificielle (IA) et d’autres technologies gourmandes en données. Ils jouent un rôle essentiel dans l’économie numérique et sont réputés pour être énergivores, mais ils peuvent aussi être conçus pour jouer un rôle important dans la transition énergétique, développe dans cette tribune François Debray, chef produit Power Quality chez Eaton.
Les datacenters font face au paradoxe clair : dans un monde où l’énergie fossile prédomine, comment les opérateurs de datacenters et l’écosystème au sens large peuvent développer les bonnes stratégies pour tirer parti de l’IA et répondre aux aspirations de croissance numérique, sans compromettre les objectifs de durabilité mis en place par les gouvernements et les organismes de réglementation pour atténuer le changement climatique ?
Vers un réseau de plus en plus sous tension L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit que la demande mondiale d’électricité des datacenters fera plus que doubler d’ici 2026, passant de 460 térawattheures (TWh) à 1 000 TWh. Cette augmentation est largement due aux systèmes d’IA avancés, qui nécessitent beaucoup plus d’énergie que les tâches traditionnelles de traitement des données. Par exemple, une seule requête d’IA consomme environ 2,9 wattheures (Wh), soit dix fois plus d’énergie qu’une recherche standard sur Google.
Par conséquent, avec cette croissance explosive, il est impératif que la demande d’électricité soit satisfaite par une production renouvelable et non par des combustibles fossiles à forte intensité de carbone. S’il est facile de se concentrer sur la demande énergétique des datacenters, le véritable défi est de s’assurer que cette demande accrue ne crée pas une pression insoutenable sur le réseau énergétique et que les fournisseurs d’électricité mettent à disposition suffisamment d’énergie verte.
Malgré les efforts déployés à l’échelle mondiale pour passer aux énergies renouvelables, il reste des défis importants à relever. Si certaines régions ont progressé dans l’adoption des énergies propres, d’autres sont à la traîne, ce qui crée des disparités compromettant les objectifs mondiaux en matière de développement durable. Même le nouvel objectif fixé par la directive sur l’énergie de l’Union européenne, consistant à garantir qu’au moins 42,5 % de l’énergie provient de sources renouvelables, ne permet pas de répondre à la croissance rapide de la demande d’énergie. Ce décalage entre l’ambition politique et l’infrastructure technologique entrave les progrès et menace les efforts d’atténuation du changement climatique.
Les datacenters à la fois problème et solution du dilemme énergétique Il est indéniable que les datacenters sont au cœur de ce dilemme énergétique. Cependant, ces défis doivent être relevés collectivement : les datacenters en tant que consommateurs d’énergie, peuvent devenir des prosommateurs proactifs, et les entreprises de services publics et de production d’électricité faisant partie de l’infrastructure énergétique au sens large peuvent fournir suffisamment d’énergie verte. Il est essentiel de reconnaître que le défi réside dans la disponibilité et l’expansion de la production d’énergie propre pour soutenir la conception et la construction de datacenters basés sur l’IA. Les datacenters ne sont pas à l’origine du problème, mais reflètent plutôt le besoin plus large d’accroître les investissements et le développement des sources d’énergie renouvelables.
Les datacenters faisant partie intégrante de l’économie, leur consommation d’énergie menace de dépasser la capacité du réseau à fournir une énergie durable. La stabilité du réseau devient une préoccupation essentielle, en particulier dans les régions où les sources en énergie renouvelables sont moins répandues voir où l’infrastructure du réseau est obsolète. Par exemple, les datacenters situés dans des pays comme l’Irlande et les Pays-Bas mettent à rude épreuve les réseaux locaux, amenant à des restrictions sur les nouveaux développements et à leur migration vers des sites plus écologiques. Les pays nordiques tels que l’Islande ou la Suède sont en train de devenir des destinations de premier plan pour les opérateurs de datacenters durables en raison de leur accès à une énergie renouvelable abondante et à des conditions climatiques favorables. Si cette évolution allège la pression sur les réseaux locaux, elle met également en évidence une vulnérabilité plus large : la dépendance de l’économie numérique à l’égard d’un approvisionnement stable en énergie verte. Le rythme d’expansion actuel ne permet pas de répondre à la demande croissante, ce qui met en péril l’ensemble de l’économie.
Bien qu’ils soient de gros consommateurs d’énergie, les datacenters ont à la fois la volonté et le potentiel de soutenir la transition énergétique et de passer au vert. Ils peuvent contribuer à stabiliser le réseau grâce à des technologies innovantes comme les systèmes de stockage d’énergie par batterie (BESS). Le secteur investit de plus en plus dans l’énergie verte par le biais d’accords d’achat d’électricité (AAE) pour l’énergie renouvelable, ce qui contribue à décarboniser le réseau en finançant une part importante d’énergie sans carbone. Cet engagement en faveur des énergies renouvelables est crucial, car les datacenters peuvent favoriser une transition plus large vers les énergies propres. Cependant, l’industrie s’est principalement concentrée sur l’amélioration de l’efficacité qui, bien que nécessaire, ne résout pas le problème profond de la dépendance aux sources d’énergie non renouvelables. Les mesures traditionnelles telles que l’efficacité de l’utilisation de l’énergie (PUE) sont inadéquates dans ce contexte, car elles ne tiennent pas compte du contexte plus large de l’utilisation des énergies propres. Pour combler cette lacune et réaliser des progrès significatifs, l’industrie doit réévaluer le PUE et envisager de nouvelles mesures qui reflètent l’impact de l’utilisation de l’énergie sur l’ensemble du cycle de vie, en mettant particulièrement l’accent sur la proportion d’énergie verte qu’elle utilise.
Les pouvoirs publics : pièce maitresse de ce changement L’intervention des pouvoirs publics est cruciale pour relever ces défis. Les décideurs politiques doivent créer un environnement qui encourage l’adoption rapide de l’énergie verte et soutient la modernisation du réseau. Il s’agit notamment d’investir dans la modernisation des infrastructures, d’offrir des incitations à la production d’énergie durable et d’élaborer des politiques qui facilitent l’intégration des énergies renouvelables dans le réseau. Sans une action gouvernementale proactive, la transition vers l’énergie propre risque d’échouer, avec de graves conséquences pour l’environnement et l’économie.
Pour surmonter les obstacles à l’adoption rapide de l’énergie verte, il faudra une plus grande collaboration entre les gouvernements, les chefs d’entreprise et les fournisseurs d’énergie. Une action coordonnée et une vision commune sont nécessaires pour que les datacenters puissent fonctionner de manière durable sans entraver la croissance de l’économie numérique.
Les enjeux sont incroyablement élevés. L’incapacité à relever ces défis pourrait avoir des conséquences considérables, non seulement pour le secteur des datacenters, mais aussi pour l’économie mondiale dans son ensemble. Il est impératif que toutes les parties prenantes s’unissent pour prendre en main ce problème, en veillant à saisir l’occasion de construire un avenir plus vert et plus durable. Les datacenters doivent faire partie de la solution, et non du problème. Ils doivent cesser de se concentrer uniquement sur les opérations internes et adopter une perspective plus large, au niveau du réseau.