L’actualité et la guerre en Ukraine nous rappellent un peu plus chaque jour combien nos sociétés et nos économies sont dépendantes de nos capacités d’approvisionnement et de production d’énergie, et d’électricité en particulier pour ce qui concerne la France. Sans le gaz et le pétrole russe, certains de nos voisins européens se demandent comment ils pourront se chauffer et continuer à faire tourner leurs usines et leurs économies. Un enjeu de souveraineté comme de prospérité pour nous tous.
Si en France nous sommes moins exposés, il n’en reste pas moins que la question de l’énergie doit faire son aggiornamento. Et notamment parce que notre pays a fait le choix du « tout électrique ». Comme les autres, la France va devoir faire face à une croissance sensible de la demande d’électricité d’ici 2050[1]. Une croissance qui ne manquera pas, si rien n’est fait, de générer un risque de pénurie en électricité.
Dans ce contexte, et au-delà des choix qui semblent s’imposer en matière de mix énergétique, il est urgent que se pose la question de l’efficacité énergétique électrique.
Une pénurie inévitable ?
Si le choix du « tout électrique » ne date pas d’hier en France, il est aujourd’hui présenté, au nom de la nécessaire décarbonation de notre économie, comme l’alpha et l’oméga de la production d’énergie. Dernier fief des énergies fossiles, le marché de l’automobile fait aussi sa révolution électrique. Rien qu’en 2021, 10 % des véhicules vendus étaient électriques et 17 % des véhicules hybrides[2]. Un changement qui devrait d’ailleurs s’accélérer dans les prochaines années puisque certaines grandes villes s’apprêtent à interdire à court terme les véhicules diesels.
Et ce phénomène peut aussi être observé dans l’industrie, notamment avec un recours de plus en plus systématique à l’électrification des procédés industriels. Les hauts-fourneaux se transforment en fours à arc ; les fonderies passent du gaz à l’induction électrique. La réduction du minerai de fer se fera désormais avec de l’hydrogène souvent produite localement avec de l’électricité… Et ce processus de transformation ne manquera pas de faire croître les besoins en électricité. Comme ces pompes à chaleur air-air amenées à remplacer le chauffage domestique au fuel mais dont le faible rendement, en cas de grand froid, imposera une production accrue d’électricité.
Pourtant, nos capacités de production et nos infrastructures ne semblent pas en mesure de faire face à la croissance de la demande qui s’annonce. Ainsi, alors que le nucléaire est souvent présenté comme la clé de voûte du système, le parc nucléaire français montre ses limites. Sur 56 réacteurs, 12 étaient à l’arrêt fin février. D’ailleurs, la production en 2022 et 2023 ne devrait pas excéder 90 % de ce qu’elle était dans les années 90. Si l’on ajoute à cela qu’une partie substantielle de notre parc va devoir être remise à niveau pour prolonger sa durée de vie, que les nouvelles tranches annoncées ne devraient être opérationnelles que d’ici 15 ans, on mesure bien la criticité de la situation.
Et même les énergies renouvelables, présentées par certains comme LA solution à tous nos maux, restent plombées par des carences difficiles à compenser : limitations inhérentes à une énergie qui reste intermittente et liée à des conditions climatiques souvent partagées sur un large territoire et par la rareté et le coût des énergies alternatives, tel le gaz, prévues pour les suppléer.
Faire de l’efficacité énergétique une priorité
Alors que tout semble nous y inviter, très peu d’efforts sont faits pour réduire notre consommation d’électricité. Alors que la crise pétrolière de 1973 nous avait conduit à promouvoir une économie généralisée de l’énergie, la prise de conscience et de décision semble aujourd’hui beaucoup plus difficile et tardive.
Ainsi, dans l’industrie, l’électricité reste souvent traitée comme ayant la même valeur que la chaleur. Une idée reçue qui conduit très souvent à favoriser la dégradation de l’exergie[3] d’une source haute température disponible toute l’année dans les fumées d’une usine en une source à basse température et utilisable seulement quatre mois dans l’année. Ne serait-il pas plus judicieux de transformer cette chaleur en une électricité avec laquelle on est en mesure de faire bien plus, toute l’année ?
Car, contrairement à ce que les tenants d’une certaine décroissance prétendent, il est possible de faire plus avec moins. Bien loin de cet effet rebond qui voudrait que tout gain d’efficacité entraîne invariablement un surplus de consommation. Une loi qui se vérifie, parfois, à prix et disponibilité d’énergie constante mais qui est inopérante en situation de pénurie, quand économiser signifie limiter les pertes.
Il est donc temps de considérer et d’appréhender l’efficacité énergétique électrique comme un moyen stratégique de créer de la capacité de production additionnelle. Et, pour ce faire, il conviendrait, pour commencer, de donner aux projets d’efficacité une rémunération équivalente en mégawatts à celle produite par l’EPR de Flamanville, augmentée du prix du transport (TURPE[4]). À ce tarif-là, d’importantes économies pourraient être réalisées et des capacités ainsi dégagées.
Il est temps d’agir dans ce sens. Notre prospérité et notre avenir sont en jeu.
1 https://www.connaissancedesenergies.org/quelle-consommation-delectricite-en-france-en-2050-la-bataille-des-chiffres-220218
2 https://www.20minutes.fr/economie/3208347-20211231-automobile-marche-francais-plus-bas-2021-vehicules-electriques-plus-haut
3 https://energieplanete.fr/exergie/
4 https://fr.wikipedia.org/wiki/Tarif_d%27utilisation_du_réseau_public_d%27électricité
2 https://www.20minutes.fr/economie/3208347-20211231-automobile-marche-francais-plus-bas-2021-vehicules-electriques-plus-haut
3 https://energieplanete.fr/exergie/
4 https://fr.wikipedia.org/wiki/Tarif_d%27utilisation_du_réseau_public_d%27électricité