La filière française de l’éolien en mer est une industrie encore naissante : seul un parc offshore d’une capacité de 500 mégawatts, en cours de construction au large de Saint-Nazaire, sera en activité à la fin de l’année 2022 et deux autres seulement, devraient être livrés en 2023. Mais le secteur se structure, emploie d’ores et déjà 5000 personnes et connaît d’important succès commerciaux à l’export : plusieurs centaines d’éoliennes parmi les plus puissantes du monde vont ainsi être produites en Loire-Atlantique par General Electric avant d’être exploitées au Royaume-Uni par Equinor, une illustration parmi de nombreuses autres de l’excellence française en ce domaine.
Dans un accord signé récemment avec l’Etat, les principaux acteurs de la filière se sont engagés à multiplier par 4 le nombre d’emplois sur le territoire national avant 2035. Un engagement pris contre la promesse que les pouvoirs publics permettront aux installations éoliennes offshore d’atteindre les 18 gigawatts installés en 2035 et les 40 gigawatts en 2050.
Ken Ilacqua, Responsable projets offshore pour Océole.
Un rythme largement insuffisant
Pour atteindre ces objectifs, les ministères en charge de l’énergie et de la mer ainsi que la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) devraient permettre la montée en puissance des infrastructures offshore à un rythme de 2 gigawatts par an. Or, au cours des cinq dernières années, un seul projet d’une capacité de 600 mégawatts a été attribué à EDF. Force est donc de constater que la procédure de gestion des appels d’offre ne permettra pas, sous sa forme actuelle, de faire émerger la capacité de production nécessaire.
Mieux planifier pour accélérer la transition
Pour que la volonté politique affichée de développer l’éolien offshore se transforme en réalité, un changement de méthode s’impose. Il s’agit avant tout d’instaurer les conditions d’une planification de long terme, permettant à l’ensemble des acteurs de la filière de disposer de la visibilité nécessaire pour organiser de façon cohérente le déploiement des 50 parcs visés au cours des 28 prochaines années. A ce titre, il est d’abord nécessaire de revoir en profondeur la procédure de définition des zones d’implantation et en particulier le déroulement des débats publics. Continuer d’organiser un débat public par projet éolien n’est tout simplement pas réaliste sur le long terme.
L’état actuel des connaissances sur les besoins en matière de pêche ou d’enjeux militaires et agricoles permettrait d’ores et déjà d’organiser un débat public pour chacune des trois façades maritimes de l’hexagone et ainsi de définir une feuille de route cohérente jusqu’en 2050. Cette méthode plus rationnelle permettrait notamment aux infrastructures portuaires en reconversion de diriger plus efficacement et leurs investissements. Elle serait également la clé d’une structuration plus rapide d’une filière industrielle locale permettant la création de dizaines de milliers d’emplois sur le territoire français et le développement de l’autonomie énergétique française.
Une planification inclusive pour un nouveau partage de la mer
Pour que cette programmation de long terme puisse aboutir à un partage équitable et rationnel de la mer et de ses ressources, il est particulièrement déterminant qu’elle soit inclusive et permette à l’ensemble des acteurs concernés de faire valoir leurs intérêts. En tant que responsable de la délimitation des zones d’implantation des projets offshore, l’Etat doit ainsi jouer son rôle de chef d’orchestre et réunir autour d’une même table les représentants de l’industrie touristique, des riverains, les professionnels du monde de la pêche et de l’agriculture maritime pour échanger autour des conditions d’un développement harmonieux et concerté de la filière éolienne offshore.
Pour donner toute sa légitimité à une telle initiative de planification, l’implication la plus large possible des collectivités et des citoyens sera décisive et pourra être facilitée par des mécanismes de participation citoyenne mais aussi par l’ouverture du capital des parcs à ces publics.
Permettre l’innovation et harmoniser la législation
Pour permettre une accélération suffisante du rythme de déploiement des projets offshore, cette planification devrait également tenir compte des progrès techniques réalisés dans ce secteur au cours des dernières années, notamment en ce qui concerne la distance des installations par rapport au rivage.
Les industriels disposent aujourd’hui du savoir-faire nécessaire pour déployer et maintenir des sites à plus de 100 voire 150 kilomètres des côtes, bien au-delà de la limite actuelle de 50 kilomètres. Faire confiance aux industriels dans ce domaine faciliterait considérablement la planification de long terme en permettant de chercher des zones de moindre impact sur la biodiversité tout en améliorant leur acceptabilité.
Une indispensable harmonisation légale
Cette visibilité dont a tant besoin la filière éolienne offshore pour se structurer n’est pas seulement une question technique mais aussi légale. Faciliter et accélérer la production de parcs éoliens exige une harmonisation réglementaire et l’établissement de règles précises permettant un traitement efficace des procédures les concernant. Si d’importants progrès ont été faits dans ce domaine, notamment en ce qui concerne le traitement des recours contre les parcs désormais traités directement par le Conseil d’Etat, beaucoup reste à faire, par exemple en ce qui concerne la définition d’une réglementation claire pour les éoliennes situées en Zone Économique Exclusive (au delà des 12 miles nautiques (22 km).
Se donner les moyens de ses ambitions
L’horizon fixé par le Président de la République en matière d’énergies renouvelables est ambitieux, en particulier au regard du retard accumulé par la France, seul pays de l’Union européenne à ne pas avoir atteint les objectifs européens en matière de développement des énergies renouvelables. Mais cet horizon n’est pas inatteignable et l’urgence climatique impose de déployer tous les moyens nécessaires pour relever ce défi.
Pour ce faire, l’Etat devra se donner les moyens de ses ambitions en créant rapidement les conditions d’une planification de long terme inclusive et tournée vers le développement d’une filière offshore locale. Une tâche difficile mais nécessaire pour concilier intérêts économiques et nécessité écologique.