Cet été, le gouvernement a appelé les entreprises, comme les ménages, à la sobriété énergétique. Fin août, Élisabeth Borne enjoignait les chefs d’entreprise à se mobiliser et à élaborer des plans d’économies d’énergie. Avec quelle feuille de route ? Réponse avec Guillaume Crézé, coordinateur de la cellule Mobilisation des entreprises à l’Agence de la transition écologique (Ademe).
Environnement Magazine : Qu’est-ce que la sobriété énergétique ? Et quelle différence avec l’efficacité énergétique ?
Guillaume Crézé : Sobriété et efficacité énergétiques sont relativement synonymes. Historiquement, on parle davantage d’efficacité énergétique, dont l’objectif est de faire la même chose avec moins d’énergie. La notion de sobriété, quant à elle, va plus loin. Elle renferme toujours cette notion d’efficacité, mais elle interroge en plus nos pratiques : comment faire différemment pour consommer moins mais aussi comment supprimer certaines activités qui induisent des consommations d’énergie inutiles.
Les entreprises ne partent pas de zéro en matière d’efficacité énergétique. Quel bilan dressez-vous des pratiques actuelles et quels sont les points perfectibles ?
Il est difficile de répondre globalement. Concernant les plus gros sites industriels, qualifiés d’« énergo-intensifs », des audits énergétiques sont obligatoires, par exemple. Nous avons également vu la mise en œuvre progressive, depuis plusieurs années, du management à l’environnement et du management de l’énergie, avec la mise en place de bonnes pratiques, comme l’usage du rail pour le transport de marchandises ou l’émergence de l’écologie industrielle et territoriale. L’un des enjeux aujourd’hui est de massifier ces bonnes pratiques. Un autre enjeu important est de faire prendre conscience aux entreprises qu’elles doivent économiser l’énergie, et ce sur le long terme. Jusqu’à récemment, l’énergie était peu chère, désormais la donne à changer. Si les gros industriels avaient déjà mis des actions en place, ce n’est pas le cas de toutes les PME, qui peuvent voir cet impératif de sobriété comme une nouvelle contrainte.
Ces bonnes pratiques à mettre en œuvre sont-elles les mêmes pour un industriel énergo-intensif et une PME justement ?
Oui et non. Dès lors qu’il s’agit d’efficacité comme de sobriété énergétique, toutes les entreprises sont concernées, et ce à plusieurs niveaux. D’abord, il y a un certain nombre d’actions simples à mener immédiatement, sans investissement, qui permettent d’obtenir des gains rapides. Ces actions relèvent des « petits gestes » à réaliser sur les postes qui concernent toutes les entreprises : l’éclairage, le chauffage, la climatisation, le numérique, la logistique, la mobilité des salariés, etc. Mais ces actions immédiates, si elles permettent de dépasser des difficultés momentanées, restent en-deçà des enjeux énergétiques mais aussi en termes de décarbonation. Dès maintenant, et au-delà de la crise énergétique actuelle, les entreprises doivent établir une stratégie de sobriété énergétique sur le long terme. Des investissements, moins généraux, portent sur le process industriel à proprement parler. Ils consistent, par exemple, à optimiser les procédés de fabrication, à isoler les bâtiments, etc. Enfin, d’autres mesures doivent être prises en fonction de l’activité même de l’entreprise. Si, par exemple, elle dispose d’un four ou d’un séchoir, les actions à mener sont différentes car sur-mesure.
Comment peuvent-elles faire ?
Elles doivent partir d’un diagnostic initial. Pour les PME de moins de 20 salariés, l’Ademe propose différents dispositifs, avec les chambres consulaires (CCI et CMA), permettant de faire une photographie des consommations énergétiques à un instant t ; photographie à partir de laquelle l’entreprise peut établir un plan d’actions sur les postes les plus importants. Le Diag Eco-Flux, par exemple, que nous proposons avec Bpifrance, permet de promouvoir des actions relativement simples et d’économiser 300 euros en moyenne par salarié et par an sur sa facture énergétique.
L’Ademe fournit également d’autres outils, comme des audits plus poussés, des études d’investissements sur des équipements spécifiques, les réseaux de froid et de chaleur, etc., pour inciter l’entreprise à prendre des actions plus ambitieuses. Dans ce cas, avec Bpifrance, nous pouvons octroyer des « prêts verts » ainsi que des Volontariats territoriaux en entreprise « verts », qui sont des aides au recrutement permettant à l’entreprise d’avoir un apprenti ou un jeune diplômé, rattaché directement au dirigeant et qui mène des projets structurants en faveur de l’environnement, comme le déploiement d’un plan sobriété. Enfin, une entreprise qui voudrait aller plus loin, au-delà de la sobriété énergétique, et qui se pose la question de son approvisionnement en énergies renouvelables peut également bénéficier d’un accompagnement de l’Ademe. Pour toutes informations, les chefs d’entreprise peuvent se rendre sur le site « Agirpourlatransition.ademe.fr ».
Au-delà de ces dispositifs de soutien, comment les entreprises peuvent-elles pérenniser leur démarche de sobriété énergétique ?
Pour l’instant, on est au pied du mur. On peut hélas craindre qu’après avoir mené la chasse aux gaspillages, l’activité économique reviendra à son fonctionnement « normal », une fois que la tension sera retombée. A l’Ademe, notre enjeu est de permettre des actions pérennes. Il faut certes mettre en œuvre des actions à court terme mais aussi avoir une vision à moyen terme pour mener une démarche ambitieuse et opérer ainsi un vrai changement. Finalement, derrière la sobriété énergétique, c’est aussi la décarbonation, l’écoconception et la sobriété dans la consommation des ressources qu’il faut pousser. Est-ce qu’une entreprise doit toujours chercher à produire en quantité ou doit-elle vendre un produit qui répondent vraiment aux différents besoins des utilisateurs ? Les entreprises doivent aussi faire leur entrée dans cette économie de la fonctionnalité.
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Article publié dans
Environnement Magazine n° 1798.