C'est l'éternelle histoire de l'oeuf et de la poule : qui, du véhicule électrique ou de l'infrastructure de recharge, doit exister en premier ? La question est cruciale, car à l'heure où l'offre de véhicules électriques émerge enfin, il serait dommage de freiner son essor par manque de bornes de recharge. C'est pourquoi l'article 57 de la loi Grenelle 2 donne la possibilité aux collectivités territoriales « de créer et entretenir des infrastructures de charge nécessaires à l'usage de véhicules électriques ou hybrides rechargeables ou mettre en place un service comprenant la création, l'entretien et l'exploitation des infrastructures de charge nécessaires ».
Les collectivités qui souhaitent encourager l'usage du véhicule électrique sont assez démunies quand il s'agit d'installer les infrastructures de recharge. « Nous avons tout découvert, aussi bien les aspects techniques que juridiques, raconte Timothé Kolmer, chargé des transports et déplacements à la communauté urbaine de Strasbourg (CUS), qui teste actuellement une infrastructure de recharge. EDF nous a aidés à définir le cahier des charges, car nous ne savions pas quelles techniques exiger. Nous nous sommes aussi posé la question du montage juridique : public ou en partenariat avec le privé ? Finalement, les recharges en voirie sont du ressort de la CUS, tandis qu'EDF gère ceux des parkings publics. »
Autre difficulté : la législation ne prévoit pas la possibilité de réserver des places en voirie pour la recharge, si bien qu'il n'est pas possible de verbaliser les voitures non électriques qui occupent ces places. Enfin, une collectivité ne peut pas, légalement, facturer l'électricité qu'elle fournit, mais seulement le stationnement sur les emplacements équipés pour la recharge.
C'est pour aider ces collectivités que le gouvernement prépare un livre vert sur les aspects techniques, juridiques et économiques des infrastructures de recharge. Sa parution est imminente et certaines recommandations filtrent : « Dans la sphère privée (domicile ou entreprise), le propriétaire paiera l'installation. Dans le domaine public, après avoir étudié onze modèles économiques, nous en recommandons trois principaux : la société publique locale, le partenariat public-privé et la concession », confie Jean-Louis Legrand, coordinateur interministériel pour le véhicule électrique.
Côté technique, il existe essentiellement deux types de recharge. La recharge normale (huit heures) ne nécessite qu'une ligne électrique classique (3 kVA), contrairement à la recharge rapide (quinze à trente minutes) qui a besoin d'une ligne électrique de forte puissance. « Environ 90 % des recharges se feront au domicile ou au travail, en mode normal, estime Igor Czerny, directeur transports et véhicules électriques chez EDF. Les 10 % restants se partageront équitablement entre recharge rapide et recharge normale. » Avec des bornes sur la voie publique.
La recharge rapide est dix fois plus coûteuse que la normale, de l'ordre de 50 000 euros, génie civil compris. Elle pose des questions de sécurité liée à la puissance utilisée (jusqu'à 50 kVA). Elle se trouvera dans des lieux spécifiques, par exemple dans les stations-service, comme vient de le faire Schneider Electric qui a livré six bornes de recharge universelles dans les stations-service de Total Belgium. Il faudra aussi instituer des modalités de paiement simples, et surtout standardisées, pour qu'un automobiliste recharge dans n'importe quelle ville. Pour Jean-Louis Legrand, le paiement par carte bleue, trop compliqué, est à éviter, l'idéal serait un paiement automatique semblable à celui des télépéages sur autoroutes.
Le gouvernement a fixé des objectifs pour 2015 : 75 000 prises dans l'espace public (60 000 pour la charge normale, et 15 000 pour la charge rapide), pour 500 000 véhicules électriques et hybrides. Parallèlement, 900 000 prises privées seraient installées, sous réserve de deux points à régler. D'une part, la sécurité, qui pourrait passer par la certification des installations et la pose par un installateur agréé. D'autre part, pour faciliter l'installation d'infrastructures de recharge dans les copropriétés, la loi Grenelle 2 a ouvert un « droit à la prise » sur le modèle du « droit à l'antenne » en télévision. Ainsi, les nouvelles habitations équipées de places de stationnement devront prévoir les équipements nécessaires à l'alimentation d'une prise de recharge, tandis que dans les immeubles existants, le syndic devra inscrire à l'ordre du jour de l'assemblée générale la question des travaux permettant la recharge. De leur côté, les entreprises auront l'obligation d'électrifier leurs nouveaux parkings à partir de janvier 2012, et les parkings existants en 2015.