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La rigueur de la domanialité publique et ses limites

PUBLIÉ LE 1er JUIN 2012
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La domanialité publique bénéficie d'une protection légale renforcée par l'exercice de la police de la grande voirie. La rigueur de ce régime a pu être considérée comme excessive par le Conseil constitutionnel qui a jugé qu'une liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. L e Conseil constitutionnel considère que la protection du droit de propriété ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi, à un titre égal, la propriété de l'État et des autres personnes publiques (1). Il a reconnu que les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux (2), et que cette évolution s'est également manifestée par des limitations à son exercice exigées au nom de l'intérêt général. C'est-à-dire que ce droit doit se concilier avec d'autres exigences constitutionnelles (3). La Cour de justice, pour sa part, a jugé que : «?le droit de propriété fait partie des principes généraux du droit de l'Union, lequel n'apparaît toutefois pas comme une prérogative absolue, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société?» (4), elle en conclut que «?par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l'usage du droit de propriété, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général poursuivis par l'Union, et qu'elles ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti?» (5). Selon l'article?2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les droits naturels et imprescriptibles de l'homme sont notamment la liberté, la propriété et la sûreté. Toutefois, des limitations peuvent être apportées au droit de propriété, notamment par l'institution de servitudes, sans que cette restriction revête un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit s'en trouvent dénaturés (6). Peut-on limiter également la portée du droit de la propriété publique ? La domanialité publique bénéficie d'une protection légale dont ne dispose pas le droit de propriété des particuliers. Le Code de la propriété des personnes publiques rappelle certains principes qui ne s'appliquent pas ou qui s'appliquent différemment à la propriété privée. Ainsi, l'occupation du domaine public est précaire et révocable (7), les autorisations s'y rapportant ne sauraient dépasser une durée cumulée de soixante-dix ans (8). La reconnaissance de droits réels au profit de l'occupant n'est pas systématique et leur cession ne peut intervenir qu'au profit d'une personne agréée par l'autorité gestionnaire, et ce, pour la durée de validité du titre restant à courir (9). La protection du domaine public est renforcée par l'exercice de la police de la grande voirie (10), dont les infractions sont réprimées avec sévérité par les juridictions administratives. Peut-on considérer que le régime de la domanialité publique est appliqué avec une rigueur excessive ? Cette question est suggérée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle une liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire (11). I. La rigueur de la loi et de la jurisprudence En principe, si la loi a pour vocation d'énoncer des règles qui revêtent une portée normative (12), certaines dispositions législatives n'ont pas ce caractère (13). En outre, le pouvoir d'interprétation des textes par le juge n'exclut pas qu'il opère une conciliation entre les intérêts en présence à condition de ne pas dénaturer les dispositions en cause. Tant à l'égard du droit de propriété que de la liberté d'exercice d'une activité économique, la Cour de justice considère que s'il est possible d'y apporter des restrictions, c'est à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général et que l'intervention législative ne constitue pas, eu égard au but poursuivi, une démarche démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti (14). Si la rigidité des principes régissant la domanialité publique est justifiée par la protection de l'intérêt général, se pose néanmoins la question de la nécessité de maintenir une telle rigidité dans le contexte d'une économie de marché et de libre concurrence. A. Le principe de précarité La gestion du domaine public constitue une mission de service public à caractère administratif (15), les contrats autorisant l'occupation dudit domaine sont des contrats administratifs (16). Cette circonstance implique la possibilité pour l'autorité administrative de modifier unilatéralement la convention et au besoin de la résilier. Comme l'a jugé le Conseil d'État, le principe de mutabilité permet, pour un motif d'intérêt général, d'appliquer des conditions nouvelles aux contrats administratifs en cours (17). Les conventions de droit privé ne connaissent pas cette particularité, elles tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise (18). Outre la possibilité de résiliation à tout moment des autorisations d'occupation du domaine public pour un motif d'intérêt général, le principe de précarité de ces autorisations interdit la conclusion de baux commerciaux sur ledit domaine (19). La jurisprudence administrative va plus loin dans la rigueur, car elle considère que l'occupant du domaine public ne peut pas exploiter un fonds de commerce sur le domaine public. C'est ainsi que le Conseil d'État a jugé que, «?eu égard au caractère révocable, pour un motif d'intérêt général, d'une convention portant autorisation d'occupation du domaine public, ainsi que du caractère personnel et non cessible de cette occupation, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire?» (20). La Cour de cassation qualifie le fonds de commerce d'universalité mobilière (21), laquelle n'est pas incompatible avec l'occupation du domaine public, puisque le droit au bail n'est plus considéré comme un élément indispensable du fonds de commerce. Elle a jugé que l'activité commerciale exercée par un commerçant sur un marché implanté sur le domaine public avait une valeur patrimoniale (22). Au regard de la jurisprudence judiciaire, la position de la jurisprudence administrative tendant à écarter l'existence d'un fonds de commerce sur le domaine public peut être considérée comme une rigueur inutile entravant la liberté du commerce et de l'industrie (23). En effet, cette jurisprudence refuse de prendre en compte l'existence d'éléments patrimoniaux appartenant au commerçant, comme la clientèle, l'achalandage et le nom commercial. Il est vrai que le contentieux relatif à la cession de ces éléments échappe à la compétence du juge administratif. L'incessibilité (24), comme l'absence de droit à renouvellement (25) des autorisations d'occupation du domaine public ont pour objectif d'éviter la pérennité de l'occupation. À l'expiration de l'autorisation d'occupation du domaine public, les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier existant sur la dépendance domaniale occupée doivent être démolis soit par le titulaire de l'autorisation (26) sans indemnisation (27), soit à ses frais en cas de carence de sa part, à moins que leur maintien en l'état n'ait été prévu expressément par le titre d'occupation ou que l'autorité compétente ne renonce en tout ou partie à leur démolition. À propos d'une construction maintenue sans titre sur le domaine public maritime, le Conseil d'État a estimé que les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, pour contester l'obligation de remettre les lieux dans leur état antérieur à l'édification de la maison sur le domaine public maritime, de l'ancienneté de l'occupation des lieux, ni de ce que l'administration a toléré la poursuite de cette occupation (28). Il ajoute que «?l'obligation de remise en l'état de ladite parcelle sans indemnisation préalable du requérant ne constitue pas une mesure prohibée par l'article 1 er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en vertu duquel nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique ; qu'elle n'a pas davantage méconnu les dispositions de l'article?17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26?août 1789?». La Cour européenne des droits de l'homme a jugé cette affaire dans le même sens que le Conseil d'État, en considérant qu'il est opportun d'envisager le contrôle de proportionnalité sous l'angle de l'article 1 er du Protocole n°?1. De manière générale, l'imprescriptibilité et l'inaliénabilité du domaine public n'ont pas empêché la Cour de conclure (29) à la présence de «?biens?» au sens de cette disposition. Elle rappelle que pour déterminer s'il y a eu privation de biens au sens de la deuxième «?norme?», il faut non seulement examiner s'il y a eu dépossession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-delà des apparences et analyser les réalités de la situation litigieuse. La Convention visant à protéger des droits «?concrets et effectifs?», il importe de rechercher si ladite situation équivalait à une expropriation de fait. La Cour estime (30) que le non-renouvellement des autorisations d'occupation privative du domaine public, dont le requérant ne pouvait pas ignorer qu'il pourrait le concerner un jour, et l'injonction de détruire la maison en résultant peuvent s'analyser en une réglementation de l'usage des biens dans un but d'intérêt général. Il résulte de l'article L. 2122-9 du Code général de la propriété des personnes publiques que les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier dont le maintien à l'issue du titre d'occupation a été accepté deviennent de plein droit et gratuitement la propriété de l'État, francs et quittes de tous privilèges et hypothèques. Cette cession gratuite de biens immobiliers est-elle compatible avec les règles constitutionnelles relatives au droit de propriété ? À propos de dispositions législatives relatives à la délivrance d'un permis de construire ou de lotir, le Conseil constitutionnel a considéré (31) qu'elles étaient contraires à la Constitution dans la mesure où la loi ne définit pas les usages publics auxquels doivent être affectés les terrains ainsi cédés, et qu'aucune disposition législative n'institue les garanties permettant qu'il ne soit pas porté atteinte à l'article?17 de la Déclaration de 1789 concernant le droit de propriété. S'agissant des ouvrages construits et maintenus sans titre d'occupation sur le domaine public, la situation est différente, car l'occupant est présumé connaître la loi selon laquelle «?nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique… ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous?» (32), et le principe selon lequel le domaine public est imprescriptible (33). La jurisprudence relative à la police de la contravention de grande voirie réprime les infractions s'y rapportant. La protection du domaine public est particulièrement forte. B. La protection du domaine public par la police de la grande voirie Hormis le cas de la voirie routière dont le contentieux de la contravention de grande voirie relève de la compétence des juridictions judiciaires, ce sont les juridictions administratives qui statuent sur les infractions relatives aux atteintes portées au domaine public. Il est particulièrement difficile pour l'auteur des faits incriminés d'échapper à la répression. Il ne peut pas, par exemple, invoquer l'absence de délimitation du domaine public, car le juge est compétent pour en apprécier la consistance (34). Cela s'explique, car lorsqu'il s'agit du domaine public artificiel, il suffit de se référer aux actes de bornage, tandis que pour le domaine public naturel, celui-ci existe eu égard aux éléments de faits (35) que le juge peut apprécier. L'occupant sans titre du domaine public peut être condamné à démolir des ouvrages qu'il n'a pas lui-même construits (36). C'est en sa qualité d'exploitant au moment de la constatation de l'infraction qu'il doit assumer cette charge. Sur ce point, la situation est ambiguë, car l'occupant sans titre doit remettre dans leur état initial les lieux occupés et, par ailleurs, les ouvrages qu'il a construits irrégulièrement sont censés appartenir au propriétaire du domaine public. C'est ainsi qu'à la suite de l'incendie, provoqué illégalement par des agents de l'État de la paillote «?chez Francis?», la Cour de cassation a considéré (37) qu'en raison de sa construction irrégulière sur le domaine public maritime, l'ouvrage était devenu la propriété de l'État. L'infraction est constituée alors même que l'occupation irrégulière ne provoque aucun trouble pour les usagers du domaine public (38), ou que l'occupant a réalisé à ses frais des travaux d'embellissement du site (39). L'occupant sans titre ne peut invoquer la rupture d'égalité (40) à l'égard de ses concurrents implantés sur le domaine public et titulaires d'une autorisation domaniale régulière. Il est fréquent que les occupants sans titre paient une redevance d'occupation du domaine public. Cette démarche ne saurait leur conférer un titre d'occupation (41). Le juge de la contravention de grande voirie refuse ainsi d'admettre l'existence d'un contrat tacite qu'il admet pourtant dans d'autres circonstances (42). En tout état de cause, la tolérance de l'autorité administrative ne saurait constituer un droit (43). Il résulte d'ailleurs de la jurisprudence administrative que le gestionnaire du domaine public n'est jamais tenu d'accorder des autorisations d'occupation privative (44). L'occupant sans titre domanial ne peut utilement invoquer le respect des dispositions des documents d'urbanisme ou la détention d'un permis de construire (45) pour échapper à la répression. Il s'agit d'une autorisation accordée au titre d'une autre législation que celle relative au domaine public. Il ne peut pas non plus soutenir qu'une désaffectation de fait, à la supposer établie, en l'absence d'un acte juridique de déclassement (46), a pu avoir pour effet de faire sortir le terrain concerné du domaine public (47). Avec le temps, les règles d'occupation du domaine public deviennent moins contraignantes sous l'effet de la loi et de la jurisprudence, même si les principes fondamentaux de la domanialité publique subsistent. II. Une libéralisation limitée du régime d'occupation du domaine public La Cour de justice estime, dans le cadre du droit de la concurrence, qu'une distinction peut être faite quant à l'occupation du domaine public à des fins économiques ou d'intérêt général (48). L'occupation en elle-même de ce domaine ne permet pas de définir le régime juridique de l'activité exercée (49). Afin de déterminer si le gestionnaire du domaine public intervient en tant qu'autorité publique, il ne faut pas se fonder sur l'objet ou le but de l'activité (50), mais sur l'exercice ou non de prérogatives de puissance publique (51). Lorsqu'un tel pouvoir est exercé, l'activité concernée ne présente pas un caractère économique selon la jurisprudence de la Cour, et n'est pas soumise au droit de la concurrence. En droit interne, bien que la gestion du domaine public constitue un service public à caractère administratif impliquant l'exercice de prérogatives de puissance publique, elle est soumise au droit de la concurrence. Le Conseil d'État a jugé (52) que le gestionnaire de ce domaine devait respecter la liberté du commerce et de l'industrie et prendre en compte le droit de la concurrence. Le contentieux résultant de l'application de ces principes relève des juridictions administratives (53). Ainsi, le gestionnaire du domaine public ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire absolu dans l'exercice de sa mission. À diverses reprises, des textes et parfois la jurisprudence ont encadré ou restreint ce pouvoir. A. La protection de l'occupant du domaine public par le droit de la concurrence Si le domaine public constitue une source de revenus pour la collectivité propriétaire, c'est également le siège d'activités économiques exercées par des entreprises du secteur privé. On observera que, dans certains cas, l'offre de terrains faisant partie du domaine public se trouve en concurrence avec celle de propriétaires privés. Dès lors, la collectivité publique ne doit pas adopter un comportement qui fausse ou qui serait susceptible de fausser la concurrence. La Commission des communautés européennes a considéré que l'application par un opérateur public d'une redevance d'occupation inférieure au prix du marché constituait une aide d'État prohibée (54). À l'inverse, certains opérateurs publics notamment d'infrastructures de transport qui, étant en position dominante (55) sur un marché, ne peuvent pas appliquer des tarifs à un taux excessif sans que cela constitue un abus. Pour le Conseil de la concurrence (aujourd'hui Autorité de la concurrence), «?la mise en place, par une entreprise en situation dominante, d'un barème général fixant tarifs et remises est licite, dès lors que ce barème s'appuie sur des caractéristiques transparentes, objectives et non discriminatoires?» (56). La Cour de cassation estime quant à elle que la fixation par une entreprise dominante des prix de ses services peut révéler une exploitation abusive de sa domination. Il en a été ainsi pour des augmentations de tarif décidées dans le but avoué de porter atteinte au libre jeu de la concurrence au profit d'une entreprise et au détriment d'une autre (57). Il convient de noter qu'une entreprise (comme un établissement public à caractère industriel et commercial, par exemple) disposant d'une position dominante est en droit de défendre ses intérêts, mais elle doit le faire dans les limites d'un comportement loyal et légitime (58). Ce principe doit s'appliquer à la gestion du domaine public, laquelle ne saurait, en tout état de cause, faire l'objet d'une rigueur qui ne soit nécessaire (59). Le juge administratif recherche si les conditions imposées aux candidats lors d'une mise en concurrence pour l'occupation du domaine public constituent un abus de position dominante (60), ou si les droits conférés à un concessionnaire permettent à celui-ci de se placer dans une telle situation (61). Le choix de l'occupant du domaine public n'est pas totalement libre pour son gestionnaire. Outre la circonstance qu'il ne peut accepter que des activités compatibles avec la destination (62) dudit domaine, il est parfois soumis à une obligation d'appel à candidatures. C'est le cas d'une manière générale pour l'attribution des délégations de service public (63), ou des marchés publics concernant des contrats de partenariat public-privé (64), lesquels peuvent emporter occupation du domaine public ainsi que le prévoit l'article?13 de l'ordonnance n°?2004-559 du 17?juin 2004. L'appel à candidatures impose certes l'organisation d'une consultation, mais laisse une liberté de choix du candidat retenu après négociation (65) avec ceux qui satisfont aux conditions imposées par l'autorité publique. Toutefois, l'occupation du domaine public ne donne pas systématiquement lieu à l'exploitation d'un service public (66). Les autorisations d'occupation temporaire de ce domaine ne constituent pas des délégations de service public ou des contrats de partenariat et peuvent être conclues sans procédure d'appel à la concurrence obligatoire (67). En définitive, pour apprécier si le gestionnaire du domaine public respecte les règles d'une concurrence loyale, il revient au juge administratif de prendre en compte les motifs d'intérêt général sur lesquels les pratiques contestées sont fondées, et d'examiner dans quelle mesure elles se concilient avec d'autres préoccupations d'intérêt général. B. L'extension des droits des occupants du domaine public Sous l'influence du libéralisme économique, le législateur a été amené à accroître les droits des occupants du domaine public par étapes successives (68). Selon C. Mamontoff, «?le domaine public aujourd'hui est considéré comme une composante économique?» (69). La possibilité de reconnaître l'existence de droits réels au profit des occupants a constitué une réforme importante en instituant une garantie financière pour compenser une éventuelle éviction anticipée du domaine public. La loi n°?94-631 du 25?juillet 1994, aujourd'hui codifiée, intervient en réalité dans le prolongement de la jurisprudence (70) considérant que l'occupant du domaine public est propriétaire des ouvrages qu'il réalise, et ce, pendant la durée de l'autorisation domaniale. Ultérieurement, le Conseil d'État considérera (71) que ce droit de propriété ne peut toutefois être reconnu pour des ouvrages constituant un accessoire indispensable au domaine public. Cependant, cette réforme comporte des limites (72) au détriment des occupants. La reconnaissance d'un droit réel n'intervient pas de plein droit, le gestionnaire du domaine public peut en refuser le bénéfice à l'occupant. Lorsqu'il est accordé, il porte nécessairement sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier réalisés pour l'exercice d'une activité autorisée par le titre. Les aménagements en cause ne peuvent être cédés, ou transmis dans le cadre de mutations entre vifs ou de fusion, absorption ou scission de sociétés, pour la durée de validité du titre restant à courir, qu'à une personne agréée par l'autorité compétente, en vue d'une utilisation compatible avec l'affectation du domaine public occupé. On observe un manque de réalisme s'agissant du régime du droit réel sur le domaine public dans la mesure où l'article L. 2122-8 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose que les ouvrages et aménagements en cause «?ne peuvent être hypothéqués que pour garantir les emprunts contractés par le titulaire de l'autorisation en vue de financer la réalisation, la modification ou l'extension des ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier situés sur la dépendance domaniale occupée?». Eu égard à la destination du domaine public, ce qui importe c'est l'affectation des installations et non la personnalité de l'acquéreur en cas de réalisation de l'hypothèque, d'autant que celui-ci devra nécessairement être agréé par le gestionnaire du domaine indépendamment de la cause de la cession du droit réel. La plupart des grandes entreprises implantées sur le domaine public portuaire ou aéroportuaire disposent de succursales sur différents sites, et l'interdiction qui leur est faite de garantir, par une hypothèque sur des ouvrages implantés sur une infrastructure de transport, le financement de travaux réalisés sur une autre infrastructure porte atteinte à la liberté d'établissement et de circulation des capitaux. Dès lors qu'une telle prohibition n'est pas justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général, elle va à l'encontre des principes de l'économie de marché (73). Parmi ceux-ci on relève la perspective de rentabilité pour les investisseurs privés (74), l'exercice de la libre concurrence (75), la fixation des prix par le jeu de la concurrence normale (76), l'égalité de traitement entre les secteurs public et privé dans le cadre d'investissements à finalité économique (77), ou d'apports en capitaux à une société (78)… Tandis que les conventions d'occupation du domaine public prévoyaient que la modification de l'actionnariat d'une entreprise occupante entraînait souvent de plein droit la résiliation de ladite convention, la jurisprudence est venue nuancer cette pratique en estimant que ce n'est que dans l'hypothèse d'une modification substantielle de la composition du capital de l'entreprise occupante que le gestionnaire du domaine public pouvait prononcer cette résiliation, dès lors que l'entreprise en cause ne présente plus les garanties au vu desquelles l'autorisation initiale lui avait été attribuée (79). La cession d'actions d'une entreprise n'entraîne pas à elle seule la modification de sa personnalité juridique (80), ni la cession de l'autorisation domaniale dont elle est titulaire (81). Malgré le caractère personnel et non cessible des autorisations d'occupation du domaine public (82), certains textes ont permis leur transfert à des tiers sous réserve de l'accord de l'autorité publique, c'est le cas pour les autorisations de cultures marines (83), ou pour les emplacements dans les marchés d'intérêt national (84). La réforme la plus importante en cette matière concerne la création des sociétés aéroportuaires (85) et portuaires (86). Le législateur permet en effet la cession ou l'apport en société de la concession, laquelle comporte l'autorisation d'occuper le domaine public (87). Les autorisations domaniales acquièrent ainsi une valeur marchande, il s'agit certes d'une exception, mais la voie est ouverte pour qu'elle devienne un principe. La jurisprudence apporte sa contribution au processus de libéralisation de la gestion du domaine public. Si l'occupation sans titre demeure répréhensible au titre de la police de la grande voirie, le juge n'ordonne pas systématiquement (88) l'expulsion des intéressés. Avant de se prononcer sur une demande de cette nature, il vérifie que l'urgence est justifiée (89), qu'il n'y a pas de contestation sérieuse et, le cas échéant, que la mesure ne porte pas atteinte à une liberté fondamentale. L'amarrage irrégulier d'un bateau menaçant la sécurité de la navigation justifie l'urgence à ordonner son expulsion (90), de même que lorsqu'il empêche l'amarrage d'autres embarcations inscrites sur une longue liste d'attente (91). Mais pour chaque espèce, le juge apprécie (92) la gêne occasionnée aux usagers du domaine public ou au fonctionnement du service public. Conclusion Certains indices permettent de penser que l'assouplissement du régime de la domanialité publique va se poursuivre. Dans certaines de ses décisions, le Conseil d'État évoque l'existence sur le domaine public d'un fonds de commerce dont l'occupant est propriétaire (93). De plus, il renonce semble-t-il à la théorie de la domanialité publique globale en dissociant un local à usage commercial d'un ouvrage public destiné à un service public culturel (94). Le Conseil constitutionnel pour sa part estime (95) que le législateur peut déclasser le domaine public affecté au service public aéroportuaire, à condition toutefois que la continuité du service public soit garantie. On soulignera que ce service n'est pas obligatoire puisqu'à l'occasion de la mise en œuvre de la décentralisation des infrastructures de transport résultant de la loi n°?2004-809 du 13?août 2004 modifiée, le Conseil d'État a jugé (96) que si une communauté urbaine ne pouvait pas refuser le transfert d'un aérodrome à son profit, elle avait la possibilité de ne pas maintenir la fonction aéroportuaire du patrimoine transféré. Dans cette hypothèse, le déclassement du domaine public est envisageable. La valorisation économique des autorisations domaniales est progressivement acceptée, l'illustration la plus significative de cette évolution est l'apport en capital ou la cession des concessions portuaires et aéroportuaires. La Cour de justice de l'Union européenne a statué (97) dans le même sens à propos de l'utilisation du domaine public hertzien. Afin d'éviter les contraintes objectivement injustifiées de la domanialité publique, ne pourrait-on pas envisager des règles de gestion du domaine public différentes selon que celui-ci est affecté à des activités industrielles et commerciales ou à des missions de service public à caractère administratif ? L'appréciation restrictive (98) de la consistance du domaine public par le Code général de la propriété des personnes publiques constitue un progrès appréciable !
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