Pas de neutralité carbone sans sobriété ! déclarent France Stratégie et le Conseil général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) à l’occasion de la présentation de leur rapport intitulé « Prospectives 2040-2060 des transports et des mobilités-20 ans pour réussir collectivement les déplacements de demain ». La synthèse de ce travail prospectif, qui comporte six rapports thématiques et un rapport transversal, est sans appel : les mutations de motorisations et la sobriété des déplacements sont indispensables pour une mobilité décarbonée.
Le travail mené dans ce rapport s’articule autour de « l’urgence climatique, les enjeux d’acceptabilité et d’équité sociale ». L’analyse prévisionnelle prend notamment en compte l’enjeu principal de la mobilité, celui des rejets de gaz à effet de serre, qui est traité « par une approche en empreinte carbone « complète » incluant une analyse en cycle de vie des véhicules et des infrastructures (y compris les émissions des importations), ce qui la distingue de la SNBC, qui porte sur les seules émissions de la France », précise-t-on dans l’étude. Celle-ci élargit également le périmètre d’analyse aux transports internationaux maritimes et aériens concernant la France, « qui ne sont pas les secteurs les plus aisés à décarboner ».
Pour rendre compte de ces résultats, le groupe d’experts animé par France Stratégie et le CGEDD a établi sur une approche prospective des mobilités, sept scénarios en fonction des évolutions technologiques et les comportements marqués par la notion de « sobriété d’usage ». Pour ce faire, les experts ont combiné des approches de backcasting « partant d’un objectif à terme de neutralité carbone complète », et des approches de forecasting « qui déroulent des avenirs possibles, que ceux-ci soient considérés comme désirables ou non », à longue échéance 2040-2060.
L’importance des progrès technologiques
Parmi les sept scénarios, cinq relèvent d’une logique de forecasting, « c’est-à-dire qu’il ne prennent pas l’objectif de neutralité carbone comme une donnée d’entrée ». Sont présentés les scénarios suivants :
- « Ambition de base » qui intègre l’ensemble des mesures et des objectifs fixés. Dans celui-ci, les progrès technologiques sont « importants et les comportements plutôt parcimonieux ». Ce scénario afficherait ainsi une chute de 59 % de son empreinte carbone par rapport à 2018 (à 122 MtCO2). « Cette baisse serait obtenue malgré une forte progression des
déplacements, des ménages comme des marchandises (respectivement + 64 % et + 50 %) », précisent les experts.
- « Poussée de sobriété » marqué par des efforts plus considérables en termes de sobriété. Par exemple, un renforcement du télétravail, développement des modes ferroviaires et TCU lourds en lien avec un renforcement du covoiturage.
- « Poussée de technologie » avec des avancées technologiques plus marquées. Ce scénario permettrait d’atteindre la neutralité carbone en émissions.
- « Hypercontraint » qui fait l’hypothèse qu’en l’absence d’amélioration « technologique probante, les contraintes d’usage sont fortement renforcées ».
- « Pire climatique » qui allie de « faibles progrès technologique et une faible évolution des usages ».
Les scénarios envisagés. Crédit : France Stratégie et le CGEDD
Priorité à la neutralité carbone
En outre, deux scénarios présentés dans ce rapport sont fondés sur une logique de backcasting qui tient compte en priorité de l’objectif de neutralité carbone « complète » en 2060. Le premier scénario appelé « pari technologique » joue davantage sur les leviers technologiques tandis que le deuxième, « pari sociétal », est axé sur les leviers comportementaux.
D’après le rapport, le scénario « pari technologique » retient les mêmes hypothèses technologiques que le scénario « poussée de technologie », mais se repose sur davantage de sobriété. Le deuxième scénario, « pari sociétal », retient les mêmes hypothèses technologiques que les scénarios « ambitions de base » et « poussée de sobriété », mais il est beaucoup plus volontariste que tous les scénarios de forecasting en termes de sobriété. Ce dernier suppose une réduction de 14 % du nombre de voyageurs par km ainsi qu’une stagnation des tonnes transportées.
Les résultats quantifiés des scénarios. Crédit : CGEDD-France-Stratégie
Globalement, en comparant les sept scénarios, « seuls les deux scénarios de backcasting atteignent (par construction) la neutralité carbone en empreinte à horizon 2060), c’est-à-dire une émission résiduelle de 51 MtCO2, correspondant à 53 % des émissions négatives (puits de carbone) de l’ensemble des secteurs qui sont estimées à 95 MtCO2 », soulignent les experts.
Une électrification de la motorisation
À partir de ces scénarios prospectifs, France Stratégie et le CGEDD relèvent les actions essentiels pour la mobilité de demain. D’après ce groupe de travail, la mise en place de leviers économiques et réglementaires « précoces », comme l’interdiction de commercialisation de certaines motorisations à des échéances prévues avec dix ou vingt ans d’anticipation, normes européennes d’émissions, zones à faibles émissions, est indispensable pour parvenir à une réduction des émissions issues du transport. Parmi les solutions évoquées, les experts pointent également le basculement des voitures et les poids lourds « vers des motorisations électriques ».
Toutefois, pour réduire l’empreinte carbone de la mobilité, « il ne suffit pas de convertir les motorisations ». Il est important d’accompagner la décarbonation du transport de marchandises et l’optimisation des chaînes logistiques qui lui sont associées. Les politiques de décarbonation « robustes » doivent se traduire par des plans d’actions concrets « pour le fret ferroviaire avec des objectifs intermédiaires bien définis, par la mise en place de stratégies collectives pour la logistique nationale avec un accent particulier sur les plateformes plurimodales et sur les aires urbaines pour la logistique urbaine, et par le maintien d’un juste équilibre entre les rythmes de décarbonation du secteur maritime décidés en Europe et à l’OMI ».
Acceptabilité des mesures de sobriété
Par ailleurs, la neutralité carbone « complète » ne peut être atteinte qu’en associant une plus grande sobriété d’usage (voyageurs et marchandises) aux progrès technologiques : mobilités actives, covoiturage, réduction de la longueur des parcours, et la fréquentation des transports collectifs. « Au vu de la maturité des technologies et de l’urgence de l’objectif de neutralité complète, une meilleure sobriété semble clairement nécessaire et il est loin d’être acquis qu’elle puisse être la résultante de la seule évolution spontanée des pratiques individuelles », soulignent les experts.
Néanmoins, l’efficacité opérationnelle de telles politiques publiques est soumise aux questions de l’acceptabilité. Cette adhésion des citoyens « repose sur la prise en compte de la diversité des univers de choix (l’accessibilité réelle des alternatives) et sur la mise en place simultanée, voire préalable, des mesures d’accompagnement nécessaires, en faveur en particulier des premiers déciles. Les plus riches, qui émettent plus et pour lesquels les choix sont plus ouverts, doivent s’attendre à être appelés à contribuer proportionnellement plus aux efforts », conclut l’étude.