« L’affaire du siècle. » C’est ainsi que les ONG Notre affaire à tous, Greenpeace France, la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) et Oxfam France, nomment leur action en justice contre l’Etat français. Ce mardi 18 décembre en effet, les quatre associations ont déposé un recours en carence fautive devant le juge administratif français, concernant « l’inertie de l’Etat à mettre en œuvre des actions concrètes contre le changement climatique et son non-respect des obligations internationales, européennes, et nationales envers le climat ».
Après les Pays-Bas, la Colombie, le Pakistan ou encore la Pologne, c’est donc au tour de la société civile française de s’élever contre son gouvernement pour faire valoir une justice climatique. « Au lendemain de la COP 24, on constate que les écarts s’accroissent entre les engagements des Etats et leurs actes », s’inquiète Marie Toussaint, présidente de Notre affaire à tous. « Face à cette inaction, nous nous soulevons », explique-t-elle, en rappelant qu’à ce jour, une quinzaine de pays ont déjà saisi leurs tribunaux au même titre. Pour Marie Toussaint, en soutenant cette action en justice, les citoyens se font « les avocats du climat et de la planète ». Il s’agit « de demander à l’Etat de respecter ses objectifs dans la lutte contre les changements climatiques », explique-t-elle.
« Les dispositifs mis en œuvre sont gravement insuffisants »
En effet, Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, rappelle que la France s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40% d’ici à 2030, par rapport à 1990. « Aujourd’hui on en est seulement à une réduction de 16% », déplore-t-il. De même, « l’Etat doit respecter l’objectif fixé par l’Union européenne, d’atteindre 23% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique français d’ici à 2020 : en 2017 on en était à 16,3% ». Selon le président de Greenpeace France, « cet échec est dû au fait que l’Etat français s’est doté trop tard de mesures concernant le changement climatique : alors que ses causes sont connues depuis les années 1960, la France a commencé à agir en 2000 ». Pour les quatre ONG qui lancent « l’affaire du siècle », « l’ensemble des dispositifs mis en œuvre par l’Etat français pour lutter contre les changements climatiques est gravement insuffisant ». Et Audrey Pulvar, présidente de la FNH, d’ajouter : « quand le chef de l’Etat dit que la politique climatique coûte cher, il se trompe : ce qui coûte cher c’est de ne pas mettre en œuvre assez de mesures pour lutter contre le changement climatique ». Dans un contexte de crise des « gilets jaunes », causée par l’annonce de la hausse de la Taxe intérieure sur les carburant et les produits énergétiques (TICPE), Audrey Pulvar déplore que la réponse du gouvernement « mette totalement de côté les questions climatiques alors qu’elles amplifient les inégalités ».
Plus de 120.000 citoyens soutiennent déjà le recours
Déposé « au nom de la protection des droits des citoyens » français, ce recours est déjà soutenu par plus de 121.500 citoyens signataires d’une pétition lancée ce mardi. Pour la directrice générale d’Oxfam France, Cécile Duflot, « ce recours est un constat d’échec mais également une preuve de la colère et de la détermination de la société civile ». Elle rappelle notamment que les effets des changements climatiques sont déjà visibles et subis par les Français : « On constate des pertes de revenus dues à l’impossibilité de poursuivre sereinement une activité professionnelle telle que l’agriculture ou la pêche, mais également des impacts significatifs sur la santé publique. »
« Pas question d’une action symbolique, nous voulons des résultats »
Selon l’avocat Emmanuel Daoud, qui est l’un des 20 avocats et juristes impliqués dans ce recours, « il n’est pas question d’une action symbolique : nous voulons obtenir des résultats, nous sommes là pour gagner ». Une demande préalable indemnitaire vient d’être adressée à l’Etat. Celle-ci « rappelle le contexte et les risques liés au changement climatique pesant sur le monde et la France, les carences reprochées à l’Etat français et les demandes précises pour y remédier », détaillent les quatre ONG. L’Etat a deux mois pour apporter une réponse. Si elle n’est pas satisfaisante, les associations « procéderont en mars prochain au dépôt du recours de plein contentieux devant le tribunal administratif de Paris », ce qui s’ensuivra de plusieurs mois de procédure. « Si le jugement rendu ne répond pas aux attentes des ONG, elles pourront faire appel devant la cour administrative d’appel, et si besoin se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat », est-il précisé.
Pour rappel, en octobre dernier, la cour d’appel de La Haye a confirmé un jugement rendu en première instance en juin 2015, ordonnant au gouvernement néerlandais de réduire les émissions de GES du pays plus rapidement que prévu : -25% d’ici à fin 2020 par rapport à 1990. Le tribunal avait alors affirmé que l’Etat néerlandais agissait « illégalement et en violation du devoir de diligence ». Un recours avait été engagé par l’ONG Urgenda au nom de 886 citoyens néerlandais à la veille de la COP 21.