Le récent rapport de l’IPBES, qui pointe l’agriculture intensive comme facteur majeur de régression de la biodiversité, atteindra-t-il les décideurs des politiques agricoles ? Il est permis d’en douter, au vu des propositions avancées par la Commission sortante sur la future PAC.
Conséquence du départ du Royaume-Uni, contributeur net à la politique agricole commune : sa mise au régime sec. Sachant que les domaines prioritaires (migration, sécurité, défense) bénéficieront de moyens accrus sous la prochaine mandature, ceux alloués à la PAC seront sérieusement rabotés.
La Commission évalue à 5 % le recul du budget affecté à cette politique historique, que la Cour des comptes européenne chiffre, en euros constants, à 15,3 %. Toujours en intégrant l’inflation, le premier pilier de la PAC (soutien au revenu, principalement en fonction des surfaces cultivées) s’appauvrira de 11,3 % et le second (appui au développement rural, incluant le volet environnemental) de 27,6 %. Ce dernier, déjà rogné en 2013, représentera alors en France 17 % des fonds perçus de l’Europe.
Pas de budget, pas de PAC
Ces perspectives, tracées pour 2021-2027, seront décalées car la proposition de budget, avancée par la Commission en mai 2018, n’a pas été adoptée en amont du scrutin du 26 mai. Il est envisagé de porter de 1 à 1,11 % du revenu national brut la contribution de chacun des 27 Etat-membres. « Il n’y aura pas d’accord entre la Commission, le Parlement et le Conseil avant l’été 2020 et la PAC ne se décidera pas sans budget communautaire, pose Jean-Christophe Bureau, professeur-chercheur à l’INRA1. Pour la première fois, se prolongeront les règles antérieures qui, par exemple, excluent le respect de la directive cadre sur l’eau des conditions d’aide ». Le nouveau régime ne s’appliquera pas avant janvier 2022, selon la Plateforme pour une autre PAC2.
Le cadre actuel profite aux exploitations les plus grandes, les plus rentables et les plus utilisatrices d’intrants chimiques, notait la Cour des comptes française dans un référé de janvier 2019. La France a pourtant « choisi de diviser par deux en cinq ans le soutien aux mesures agro-environnementales (2nd pilier) », rappelle l’expert de l’INRA. Et aussi de supprimer l’aide au maintien en agriculture biologique en 2017.
Vers la renationalisation
La Commission renforce la subsidiarité : au nom de la « simplification », elle approuvera, suivra et évaluera des « plans stratégiques nationaux ». L’eurodéputé sortant, Pascal Durand (élu EELV et candidat pour LREM,) y voit « la menace d’une renationalisation des aides ». Le ministère français de l’Agriculture aurait déjà rédigé ce plan, en lien avec la FNSEA, selon des ONG.
Les paiements verts (1er pilier), finançant des « surfaces d’intérêt écologique », passent à la trappe. « Les syndicats agricoles se voient en producteurs, pas en jardiniers de la nature », commente Jean-Christophe Bureau. Une « aide complémentaire au revenu en faveur de programmes pour le climat et l’environnement » est bien envisagée. « Mais cet "ecoscheme" est optionnel dans le 1er pilier, tempère l’ingénieure et économiste Aurélie Trouvé3. Le contribuable continuera à financer une agriculture qui détruit des emplois – l’Europe a perdu 4.000 exploitations en dix ans, selon Eurostat – et la biodiversité ».