Romain Berrou, chercheur au Square Research Centery. Crédits : Square
Les acteurs de la finance intègrent les effets du changement climatique dans leur gestion des risques. Ces gestionnaires d’actifs annoncent même leur engagement pour éliminer les investissements en lien avec des activités nocives pour l’environnement. Selon Romain Berrou, chercheur au Square Research Centery, cette communauté financière doit encore déterminer le bilan carbone, présent et à venir, des actifs qui composent ces portefeuilles.
Lors de la COP 21 en 2015, l’attention était presque exclusivement portée sur les états membres de l’ONU, qui ont dû proposer des engagements chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Changement de paradigme en 2021 : à Glasgow, en novembre, les gérants d’actifs, les banques et les investisseurs seront au cœur des débats de la COP 26.
Ces acteurs financiers témoignent d’une prise de conscience croissante des conséquences potentielles du changement climatique. Pionnier en la matière, Larry Fink, le PDG de Blackrock, le plus grand gestionnaire d’actifs financiers du monde : dans les communications qu’il adresse chaque année aux dirigeants des 17,000 entreprises dans lesquelles Blackrock exerce ses droits de vote, on le voit aborder progressivement en 2018, puis en 2019 les sujets de la croissance durable. Il souligne l’impératif pour les entreprises de cesser de fixer leurs objectifs en termes de pure profitabilité, pour prendre en compte des critères de responsabilité sociale et environnementale.
En 2020, à l’aube de la crise sanitaire, nouveau changement de ton, avec un message frappant pour la communauté financière : le risque climatique va intégralement remodeler le fonctionnement de la finance moderne. Il ne s’agit plus d’une opportunité conjoncturelle, mais d’un changement systémique. Message renforcé en 2021, cette fois en pleine crise de la Covid-19: maintenant que nous avons pris conscience de notre fragilité, nous devons agir afin de limiter le réchauffement climatique à +2°C.
Réduire les émissions carbones des portefeuilles d’investissement
Larry Fink n’est pas seul. Cette année, en préparation de la COP26, 127 des plus importants investisseurs et gérants d’actifs de la planète se sont réunis au sein de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero. Dans le cadre de cette alliance, ces acteurs s’engagent tous à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre de leurs portefeuilles d’investissement à zéro d’ici l’année 2050.
Il faut toutefois des outils pour réaliser cet objectif. Cette « Alliance » répond aussi à un besoin marqué, au sein de la communauté financière de pouvoir comprendre plus précisément dans quelle trajectoire de réchauffement climatique s’inscrit chaque portefeuille d’investissement. Pour les acteurs financiers, être capable de modéliser ces trajectoires permettra de constater dans quelle mesure ils participent ou non à atteindre l’objectif global défini lors des Accords de Paris. Plus schématiquement, il faut déterminer quel est le bilan carbone, présent et à venir, des actifs qui composent ces portefeuilles.
Or, la mesure des émissions totales de gaz à effet de serre d’une grande entreprise est un processus complexe, à multiples entrées. A fortiori, projeter les émissions futures de toutes les entreprises d’un portefeuille et faire correspondre ces émissions futures à une trajectoire de réchauffement climatique nécessite de développer une expertise pour laquelle il existe aujourd’hui un débat technique et méthodologique sur la pertinence de ces modèles, qui amène parfois à remettre en question les chiffres communiqués par les acteurs qui se soumettent à cet exercice. A titre d’exemple, la trajectoire de Véolia pour l’année 2100 a été évaluée à 6°C par un acteur et à 2°C par deux autres (Raynaud et al, 2020).
Mesurer, limiter puis éliminer les émissions
Un travail important est donc nécessaire afin d’améliorer la précision et la fiabilité de ces modèles. Lors de la COP 26, les acteurs financiers vont s’engager formellement à mesurer, limiter puis éliminer les émissions de leurs portefeuilles d’investissement. Il reste cependant à définir ce que cela signifie en pratique, et quelles seront les démarches à suivre afin de pouvoir atteindre cet objectif. Il faudra aussi que les instruments de mesure, en quelque sorte les baromètres du carbone, fassent consensus, et qu’ils soient validés par les instances internationales de la régulation financière.
Une fois ces réserves levées on peut espérer qu’’à travers cet engagement une nouvelle finance voie le jour. Reste à bien évaluer et maîtriser un risque climatique que la Finance ne sait aujourd’hui pas mesurer, avec comme objectif actuel d’intégrer la limite des +1.5°C et des +2°C dans ses systèmes d’évaluation et de prise de décision.
Pour cela, les professionnels de la finance ont vocation à développer une nouvelle forme d’expertise alliant compétences financières et compréhension fondamentale des scénarios de réchauffement climatiques et de leurs impacts. Sans cette expertise, ceux-ci s’exposent à un risque nouveau : celui de ne plus être pertinent dans le monde d’une finance moderne durable, remodelée par le risque climatique.